Autour du sacrifice des paysans

Une catastrophe sociale et anthropologique : le livre de Pierre Bitoun et Yves Dupont a été l’occasion d’une interview de l’un des auteurs à la radio PFM, à Arras ; et de deux rencontres-débat.

Pourquoi ces rencontres-débat (l’une à Arras, l’autre à Liévin) ?

Parce que c’est un fait de société très souvent ignoré, en tout cas étudié très -trop- rapidement.
Bien sur, il en est question de temps en temps dans les médias :

– un exemple tragique a touché, le 13 décembre, un village du côté de Vitry-en-Artois : le suicide d’un jeune agriculteur de 41 ans. Beaucoup de personnes savent certainement que les paysans sont actuellement les premiers concernés par le suicide : un tous les deux jours !

– Récemment sur France 3, un documentaire : « la FNSEA, forteresse agricole »

– Plus récemment, sur France 2 (vers minuit) un autre documentaire : « adieu paysans »

– Dans la Voix du Nord de mercredi 8 février , en pages 38 et 39, 4 articles : « l’agriculture productiviste va-t-elle tuer les paysans ? »

– Une anecdote pittoresque pour notre région, dans la revue du conseil régional, sous la rubrique « au travail » – ce qui laisse évidemment entendre que notre région a attendu la nouvelle équipe pour chercher du travail !- : page 7, éloge du salon international de l’agriculture qui aura lieu fin du mois à Paris. Bien entendu, il y est question d’aider les agriculteurs et de soutenir les winners ! On ne parle évidemment pas de paysans mais d’agriculteurs.

On ne peut donc pas dire qu’on ne parle pas du secteur agricole… même quelquefois de façon très caricaturale. Mais les vrais problèmes sont vite rangés dans un placard bien profond.

C’est pourquoi il était important d’organiser ces rencontres-débat car l’avenir de notre société est en jeu : « pas de pays sans paysans, ou pas de planète habitable sans paysans, ou pas de paysans sans citoyens », disent P Bitoun et Y Dupont.

Voilà ce qui devrait nous diriger dans la réflexion.

Comment résumer rapidement un si gros livre ?
D’abord, cette analyse du monde paysan est resituée dans le contexte politique global passé et présent. Il est d’abord question de faire le point sur les trente soi-disant
« glorieuses » (1945 à 1975), puis sur les quarante honteuses (grosso modo de 1975 jusqu’à nos jours)

Cela permet de comprendre pourquoi notre société ne veut plus de ces paysans ; elle veut des entrepreneurs qui vont facilement s’insérer dans ce monde de la consommation, dans ce monde capitaliste, voulant tout dévorer … Ce phénomène n’est évidemment pas spécifique à la problématique paysanne. On le retrouve dans d’autre domaines.

C’est pourquoi, il est important pour ce système capitaliste de supprimer cette culture paysanne -comme on a fait avec les Indiens ou les cow-boy. Deux façons d’opérer :

1- éliminer physiquement : cela s’appelle un génocide ;

2- éliminer par l’acceptation de la culture dominante : c’est ce qu’on appelle un ethnocide. La culture occidentale est non seulement ethnocentriste (comme de nombreuses cultures) mais surtout ethnocidaire.

Les enjeux ont été bien définis ; notamment les 7 principales raisons du sacrifice des paysans ; pour finir sur une note combative, les motifs de continuer le combat … en lien avec d’autres secteurs de la société française et mondiale.

Ces rencontres-débat ont reçu l’appui de différentes structures :

– Al’ terre circuit

– Les amis de la Confédération Paysanne

– ATTAC

– CEDAPAS

– Confédération Paysanne

– OC 62

Elles ont permis effectivement de débattre : il y a eu souvent consensus ; quand il y avait opposition, il y avait un respect et une écoute de la parole prise.

Deux débats assez différents. Comme le disait une personne : « 2 temps réconfortant ce vendredi avec 60 personnes et samedi matin d’après les échos que j’en ai eu. »

Cela a notamment permis de rappeler notamment quelques faits -parmi beaucoup d’autres :

– dans le dernier numéro de « campagnes solidaires » (revue de la confédération paysanne), il est fait mention d’un sondage montrant que 91 % des personnes interrogées plébiscitent les petites fermes. Mais cela ne fait pas oublier que ces petites fermes sont poussées à la faillite au profit des grosses structures agro-industrielles :

1- contrôles fréquents et très normatifs ;

2- grippe aviaire ;

3- fil à la patte poussant à la mort à cause du remboursement d’emprunts et de l’achat de produits chimiques dangereux … ;

4- variations climatiques avec conséquences dramatiques immédiates -on l’a vu dans la région avec les inondations récentes ; …

– Il faut savoir qu’un tiers des paysans gagne environ 350 € par mois !

– le rôle prépondérant et efficace de la Confédération paysanne, notamment dans quatre domaines :

1- prudence vis à vis ce ce qu’on appelle la modernité ;

2- solidarité (nationale et internationale avec adhésion à Via Campésina) ;

3- acceptation du pluralisme ;

4- actes de désobéissances civiles – par exemple avec les actions symboliques et non-violentes chez Mac Do, contre les OGM, contre la ferme des 1000 vaches …

Sur ce blog, il y a déjà eu quelques articles. Ci dessous, un interview de Pierre Bitoun paru dans La Voix du Nord du 8 février.

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« Une cohabitation de plus en plus schizophrénique »

Qui a décidé d’industrialiser l’agriculture française ?

« L’industrialisation a commencé dès 1945 à pas lents et n’a plus cessé, depuis, de s’accélérer. L’État, les institutions publiques, les firmes privées, le syndicalisme agricole, une partie des paysans eux-mêmes qui, imprégnés de la culture catholique, se sentaient investis de la mission de nourrir le pays après la guerre… Au fond, à l’époque, tout le monde a participé de ce mouvement de modernisation de l’agriculture. »

Comment les paysans ont-il été convaincus de changer leur façon de travailler ?

« Par un énorme travail de stigmatisation, de dévalorisation des anciennes pratiques paysannes et de leur monde. On leur a dit, à grand renfort de travaux d’économistes, de techniciens qui venaient dans les élevages, les champs, qu’avec la mécanisation, l’emploi de pesticides, d’engrais, leur travail serait plus productif, moins pénible.

Toutes les institutions publiques ont poussé à l’intensification avec un discours parfois violent, parlant d’inoculer aux paysans « le microbe modernisation », de les sortir de l’archaïsme.

Ce discours a pu prendre car existait un sentiment de honte de n’être qu’un paysan, lié au fait qu’on les considérait depuis longtemps comme des ploucs, des arriérés.»

Ce processus a-t-il été bénéfique, au moins au début ?

« Pendant la Reconstruction, il y a eu des bienfaits. Une partie de la paysannerie a eu le sentiment d’accéder à un travail moins difficile grâce à la mécanisation et à un statut de citoyen comme les autres.

C’est surtout à partir des années 1960-1970 que leur situation s’est dégradée. Leur travail, de plus en plus productif, permettait de nourrir les villes et d’exporter mais au prix d’un travail de plus en plus lourd au bout du compte et une spirale de l’endettement nécessitant de produire toujours plus.

Le recours aux emprunts engendra une perte croissante de leur autonomie et leur inscription dans un lacis de contraintes, de normes…

Vinrent ensuite les dégâts écologiques, liés aux remembrements, et sanitaires liés à l’utilisation des pesticides. Autre dégât, le gigantesque travail d’élimination de ceux considérés comme archaïques, condamnés à se reconvertir par un arsenal de politiques économiques, sociales, et aujourd’hui environnementales ou sanitaires. Ce tri a peu à peu contribué à vider les campagnes et y

créer un fort ressentiment. »

Et aujourd’hui ?

« On est dans une sorte de cohabitation de plus en plus schizophrénique. D’un côté des agriculteurs productivistes, dont une fraction construit des fermes-usines avec de très gros soutiens financiers, et une autre fraction, constamment en crise, qui subit des revenus négatifs et se fait éliminer au nom du tri des plus performants. Performants signifiant accepter la robotisation, la numérisation du travail, le recours aux biotechnologies.

Et de l’autre côté, il y a des paysans, soutenus par des consommateurs, qui participent à la revitalisation des campagnes, tendance montante mais encore marginale car les soutiens publics, financiers vont toujours massivement au productivisme. »

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Toujours dans La Voix du Nord

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Entre 1988 et 2010, en France, le nombre de fermes a diminué de moitié, il en restait, en 2013, 452 000.

Parallèlement, leur taille a presque doublé : 52 hectares en moyenne contre 26 en 1988.

Les exploitations de moins de 20 ha représentent 46 % du total en 2010, mais leur proportion tend à diminuer (57 % en 1988).

Ces 46 % cultivent 4,9 % de la surface agricole utilisée, les 4 % d’exploitations de plus de 200 ha, 21 %.

Source ministère de l’agriculture

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