Voter ? Ne pas voter ? (1/3)

On le sait, durant les deux dernières décennies, le « parti des abstentionnistes » n’a fait que grandir au point qu’aujourd’hui on l’annonce comme le « premier parti de France ». Alors la question de « voter ou ne pas voter ? » semble désormais tranchée démocratiquement. Comment en est-on arrivé là ?

Car ceux qui après 1968 lançaient « élection piège à cons » étaient restés bien isolés pour ne pas dire ultra-minoritaire et en voie de disparition avant la fin du siècle passé. Pour eux : si voter servait à quelque chose, cela se saurait et, en toute logique politique, le vote serait interdit pour le plus grand nombre !

Un constat qui fait réfléchir : depuis septembre 2016, les élections à venir alimentent les discussions, tant dans les médias que dans les sphères publiques et privées. En plus des candidats et de leur formation politique, le dispositif médiatique veut nous persuader que l’on va sortir de l’ornière grâce à l’heureux élu sorti des urnes.

En réalité, on parle très peu de :

chômage de masse, pauvreté, famine, suicides, changements climatiques, sacrifice des paysans et agro-industrie, eau impure, extraction des énergies fossiles, danger du nucléaire, air mortel, médecine, pollution des voitures et des avions …

Plus exactement, on en parle mais de façon très homéopathique.

L’important pour les médias est de faire le buzz -et d’en rajouter- principalement sur :

– le Terrorisme, les attentats ; surtout les terroristes, les djihadistes, les intégristes (musulmans, bien sûr…) ; la peur du citoyen étant nécessaire à la bonne continuation du système …

– les Élections,

– le Sport, notamment le football.

C’est ce qu’on peut appeler les infos TES.

Le second point a été particulièrement fourni depuis sept mois -et continuera encore au moins jusqu’en juin minimum- : il y a tellement à dire sur les turpitudes de nombreux candidats. On a l’embarras du choix ; mais en même temps il faut orienter subtilement, présenter ceux qui ont la préférence du système (sous le jour à la fois d’experts incontournables -seuls capables de diriger un pays- et de figures du renouveau alors qu’ils sont là pour perpétuer le pouvoir réel des financiers et des multinationale) …

La Finance en éminence grise et le cynisme en politique

En Grèce, le 25 janvier 2015, Syriza emporte les élections… avec une orientation plutôt à gauche. Son projet politique vise à faire aboutir les revendications légitimes du peuple grec, notamment en direction de l’Europe. On connaît la suite de l’histoire : le choix sorti des urnes fut sabré par l’intransigeance financière de la troïka -le FMI, la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne- qui ont d’emblée exigé un premier plan draconien, trouvant inadmissibles les analyses de Syriza. Ce plan a été refusé par les Grecs lors du référendum du 5 juillet 2015. Berlin et ses alliés n’ont pas supporté le nouveau verdict et n’ont eu de cesse de faire payer cet affront à la Grèce. C’est ce qui explique la situation actuelle de la Grèce qui a dû privatiser des services publics pour rembourser des créances, vendre son patrimoine (port du Pirée …) et qui s’enfonce dans l’austérité -évidemment pas pour tout le monde. Cela sonne comme un avertissement : l’Europe fera le maximum pour s’opposer à un verdict des urnes qui n’irait pas dans son sens. Syriza a donc courbé l’échine devant les diktats de l’Europe.

Le 29 mai 2005, les Français ont rejeté le référendum sur le Traité de Constitution Européenne (TCE). Moins de trois ans plus tard -le 14 février 2008- la France, sous le règne de Nicolas Sarkozy, ratifie le traité européen de Lisbonne -une copie du TCE-, après acceptation par l’Assemblée nationale et le Sénat !

En 2016, arriva par la petite porte le CETA. Les collectifs stop-CETA ont déclaré : « Le Parlement européen a adopté le traité de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada (ou CETA) le 15 février 2017. 90 % de ce traité entrera en application provisoire à partir du 1er mars, sans approbation des Parlements des États membres. La phase de » ratification nationale « commence donc »… « Et ce sont 38 parlements nationaux ou régionaux qui vont devoir se prononcer sur le traité pour qu’il soit définitivement validé dans l’ordre juridique européen. » L’ordre démocratique aurait été de demander d’abord leur avis aux citoyens de chaque pays -et de tenir compte du résultat des urnes-, puis de décider au niveau des différents États. En dernier recours, l’Union Européenne aurait eu le dernier mot. Mais dans ce monde des mauvais coups portés dans le dos, on ne se gêne plus pour faire l’inverse. Bien entendu, il est peu probable que l’on demande l’avis du citoyen français : la leçon du vote du 29 mai 2005 a été retenue !

Ces quelques expériences récentes où le marché et la finance imposent leur système néolibéral montrent, en ce début de 21e siècle, l’état de délabrement avancé de la démocratie et le peu de place politique accordée aux citoyens.

Les pratiques récentes au sommet de l’État

On retrouve cet arbitraire au sommet de l’État. La pratique du pouvoir s’oriente de manière caricaturale par les choix telles qu’a pu l’écrire récemment Serge Halimi dans l’analyse de cette période monarchique :

« De ce pouvoir M. Hollande a fait un usage discriminatoire autant que solitaire. C’est lui qui a » … « engagé la France dans plusieurs conflits extérieurs, autorisé l’assassinat de plusieurs suspects par voie de drone. Lui aussi qui a fait modifier le code du travail, contraignant sa majorité parlementaire à une réforme qu’elle refusait d’endosser (recours à l’article 49-3 de la constitution) et pour laquelle ni elle ni lui n’avaient reçu mandat du peuple…

… Les proclamations ronflantes sur la démocratie, la République, butent sur un constat que la présidence de M. Hollande a rendu aveuglant : l’exercice solitaire du pouvoir conforte la faculté illimitée de piétiner les engagements d’une campagne qui pourtant devrait fonder le mandat du peuple souverain.

Si un sentiment de trahison s’est ancré dans les esprits, c’est sans doute en raison d’une phrase qui a marqué sa campagne de 2012 et que chacun a entendu cent fois depuis : « mon seul adversaire est le monde de la finance ». Or M. Hollande a pris sitôt élu un ancien banquier de chez Rothschild pour conseiller à l’Élysée, avant de lui confier les clés du ministère de l’économie.

Des institutions monarchiques qui permettent toutes les roueries, tous les reniements ; une vie politique verrouillée par la peur du pire ; des médias qui s’accommodent des unes tout en se repaissant de l’autre ; … ». Monde diplomatique d’avril 2017.

L’abus de pouvoir fait feu de tout bois et opportunité de n’importe quoi. On l’a vu récemment avec l’usage immodéré de l’état d’urgence pour dévoyer le peu de démocratie subsistante. L’attentat de janvier 2015 avait déjà montré la politique spectacle, avec une tête d’affiche nationale pittoresque -les présidents turc, israélien, France-africainsdéfilant pour sauver la démocratie. L’attentat du Bataclan, le 13 novembre de la même année, est arrivé à point nommé dans l’agenda des affaires de l’État pour mettre en place -par décret puis par lois- une mesure liberticide. Sans surprise, les médias ont relayé de bon cœur les injonctions sécuritaires du gouvernement : on allait enfin avoir les moyens pour lutter contre les réseaux terroristes à l’origine du « péril imminent » et adopter l’attitude la plus guerrière possible.

Dans les faits, cet état d’urgence a été une opportunité pour des assignations à résidence et des perquisitions, des interdictions de territoires, des fouilles de bagages ou de véhicules, des interdictions de manifestations ou de rassemblements (sous des prétextes souvent fantaisistes). C’est une parade fort utile pour museler des militants trop actifs. On l’a vu avant et durant la COP 21 de décembre 2015 à Paris avec 24 assignations à résidence de militants écologistes, (assignations préventives, sans délit, sans justification) ; puis durant la longue lutte contre la loi El Khomri… La commission de suivi parlementaire a également fait état de l’utilisation de l’état d’urgence à Calais contre les migrants.

Désormais l’état d’urgence s’invite en trouble-fête ou maître des cérémonies à l’occasion de grandes manifestations régionales traditionnelles, comme on a pu le voir dans la gestion des fêtes de Bayonne ou le carnaval de Dunkerque. Maintenant, dès qu’il est question de rassemblement -associatif, politique, culturel, sportif, festif, voire commercial …- on s’évertue à habituer les citoyens à considérer le dispositif sécuritaire et de contrôle de l’état d’urgence comme partie intégrante de la manifestation. Cela peut aller jusqu’à des annulations pures et simples d’événements lorsque les surcoûts sécuritaires deviennent prohibitifs.

Le 9 février 2016, les chiffres donnaient déjà le tournis : 3 336 perquisitions administratives, 344 gardes à vue et assignation à résidence de 400 personnes. Cette situation aura au moins permis de passer à la trappe les contestations relatives à la « gestion » de la COP 21.

En résumé, sans que le citoyen ait été consulté, on met insidieusement en place un état d’exception permanente, une radicalisation de la déchéance de nationalité ; on fait incontestablement glisser l’État français vers un État policier. On assiste de plus en plus à une incapacité de la justice à mettre en cause les pratiques de la police. Tout ceci explique une évolution beaucoup moins orientée vers la discussion et accentue les clivages qui se dessinent dans une France de plus en plus communautariste et raciste.

« État d’urgence » est donc entré dans le vocabulaire ordinaire de cette République démocratique ! Rappelons que, depuis 2015, on en est à la cinquième prorogation de six mois de l’état d’urgence.

La menace terroriste a-t-elle véritablement diminué ? La réponse va de soi !

Le propos de Bernard Dréano, dans le livre « urgence antiraciste », va dans ce sens : « la « lutte contre le terrorisme » sert à justifier les lois d’exception, les opérations néocoloniales comme au Mali et en Centrafrique, les alliances avec les dictatures et les États agresseurs, et surtout conforte partout le discours de guerre ».

On peut aussi constater une autre dérive dans ce pays de plus en plus centralisé et bureaucratisé : le citoyen ne peut et ne doit pas donner son avis sur différents sujets ; par exemple :

– dans le pantouflage du lobby bancaire au sein de la haute administration,

– dans le domaine social et économique (avec toutes les questions liées au chômage et au productivisme),

– dans le domaine de la recherche,

– dans la gestion du nucléaire,

– dans le domaine de la politique étrangère ; on ne veut jamais parler des responsabilités réelles des politiques guerrières et de la prédation organisée des ressources de certains pays que l’état mène avec zèle. Sur ce sujet, le dernier livre de Pascal Boniface est significatif: « Je t’aimais bien, tu sais ».

Cela vaudrait le détour de développer ces thèmes évoqués -non exhaustifs.

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Cet article est la première des trois parties sur le sujet ; la suite demain.