« Le rapport de force commence à basculer »

Un article de la confédération paysanne.

Le deuxième -en fin d’article-  s’intitule « au coeur des luttes »

Campagnes solidaires a souhaité conclure par un entretien avec Yves Manguy, premier porte-parole de la Confédération paysanne de 1987 à 1989. Un point de vue rétrospectif qui ouvre sur les combats à mener.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager au sein de la Confédération paysanne ?

Je suis sorti de l’école à 14 ans. Formé à la Jac, la Jeunesse agricole chrétienne, je suis parti deux ans en Afrique aider au mouvement d’éducation populaire après l’indépendance. Je me suis installé en 1966 sur la ferme où j’habite encore. Beaucoup de gens de la Jac étaient engagés dans le syndicalisme, avec la volonté de prendre leur destin en main dans le devenir de l’agriculture. J’ai milité deux ans au CNJA, le Centre national des jeunes agriculteurs, mais il était mené par les céréaliers sans prise en compte des petits paysans.

Au bout d’un an, j’ai participé au contre-rapport « Pour un syndicalisme de travailleurs » qui n’a pas été adopté. S’en sont suivis une scission au CNJA, la création des Paysans Travailleurs, puis de la CNSTP (Confédération nationale des syndicats des travailleurs paysans) et de la FNSP (Fédération nationale des syndicats paysans). En 1986, l’arrivée de François Guillaume, le président de la Fnsea, au ministère de l’Agriculture s’est traduite par la coupe des financements publics des syndicats minoritaires. Ça a précipité l’organisation d’Assises nationales de l’agriculture. On a abouti à un accord sur le développement d’une agriculture paysanne, en opposition à l’agriculture productiviste. On avait besoin d’un syndicat qui porte ça et on a créé la Conf’.

C’est à ce moment là que l’on vous demande d’être porte-parole…

Oui. Dès mars 1987, s’est tenue notre première grande manif avec 45 tracteurs partis de différents départements pour se rassembler sur le Champ de Mars, à Paris. On a déposé au Parlement un document qui présentait notre projet d’agriculture paysanne. Un sacré moment ! Je ne suis pas allé au delà des deux ans de mandat car je ne me sentais pas l’âme d’avoir des responsabilités de ce niveau-là.

Vous êtes ensuite restés au comité national pendant trois ans et êtes encore membre de la commission semences. Quels combats vous ont le plus marqué ?

En 1989, juste après avoir quitté le secrétariat, le problème de l’interdiction faite aux paysan.nes de ressemer leurs récoltes s’est posé. Je me suis engagé au nom de la Conf dans cette bagarre avant de devenir le porte parole pendant dix ans de la CNDSF, la Confédération nationale de la défense des semences fermières. Cette lutte a fait du bruit bien au-delà de la France. Je me suis également beaucoup engagé contre les OGM, élément de la destruction de notre agriculture.

« Deux millions de paysans », c’était l’un des mots d’ordre de la Conf au moment de sa création. Cet objectif n’est pas atteint : comment l’expliquez vous ?

C’est vrai, on n’a pas atteint les objectifs, mais le rapport de force était disproportionné. Face à nous, il y a des gens qui tiennent tous les pouvoirs. Et il y a toujours eu une collusion forte entre la Fnsea et les ministres de l’Agriculture ! On a compté sur la population pour nous aider, et celle-ci est de plus en plus présente à nos côtés. Le rapport de force commence à basculer.

L’unité entre paysans et ouvriers était forte dans les années 70. Aujourd’hui elle a peu de sens… A quoi est-ce lié ?

L’idée des « paysans travailleurs » consistait à dire que nous étions comme les ouvriers, exploités dans notre métier de paysan. Le droit au travail était inscrit dans la Constitution, et ça commençait par l’accès à la terre et la rémunération des paysans et travailleurs. On se situait comme travailleur et pas comme chef d’entreprise, à la différence du CNJA par exemple pour qui il fallait grossir, investir, peu importe si on faisait crever les voisins. Cela explique aussi le rapport « Pour un syndicalisme de travailleurs », puis le sous-titre de la Conf’ : « Syndicat pour l’agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs ». Mais les ouvriers avaient tendance à nous considérer comme des gens riches car certains d’entre nous étaient propriétaires de la terre. Il y avait des a priori des deux côtés…

Face à la situation actuelle du monde paysan, quels sont les combats prioritaires à mener ?

Il y a ce qui a été dénoncé depuis longtemps : la politique agricole, qui a toujours favorisé ceux qui ont le plus. C’est la compétition qui sert de base à la politique actuelle. Or la compétition élimine. L’un des éléments positifs aujourd’hui, c’est la prise de conscience des consommateurs qui voient bien que cette agriculture de compétition, avec ses fermes-usines et ses pesticides, rend les gens malades. C’est un axe fort du combat de la Confédération paysanne, même s’il reste encore beaucoup de travail à faire et surtout des décisions politiques à prendre au niveau français et européen.

Campagnes solidaires ; juin 2017

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Au cœur des luttes pour les droits des paysan·nes sur leurs semences

L’articulation de la désobéissance civile non violente, des mobilisations paysannes et citoyennes et de la représentation syndicale sans concession a permis de repousser de nombreuses offensives de l’industrie contre les droits des paysan·nes sur leurs semences et d’inscrire ces victoires dans les lois.

La Confédération paysanne n’a que 2 ans lorsque, en août 1989, la Fnsea signe un accord interdisant le triage à façon des semences de ferme. Les paysan.nes organisent de nombreuses manifestations, protègent les trieurs et créent une coordination de défense des semences de ferme, la CNDSF (1) : l’accord ne sera jamais appliqué. En 1991, les semenciers français tentent d’inscrire l’interdiction des semences de ferme dans une convention intergouvernementale, l’Upov (2). La mobilisation paysanne permet de rejeter l’interdiction, mais pas le paiement de royalties. 25 ans après, la majorité des paysan.nes utilisent toujours leurs semences de ferme sans payer. En 2013, un projet de loi vise à permettre aux obtenteurs de saisir leurs récoltes. La Conf’ occupe les bureaux du Gnis (3) et obtient son retrait. Seules les espèces administrées, comme le blé, permettent aux organismes agréés par l’État de prélever les royalties lors du paiement de la récolte.

Dès l’arrivée des premiers OGM en 1997, la Conf’ organise le fauchage à visage découvert de plusieurs essais, tous suivis de procès qui deviennent autant de tribunes. Les condamnations financières mettent le syndicat au bord de la faillite, mais la mobilisation s’étend à toute l’Europe et bloque toute autorisation de cultures transgéniques. Avec la naissance des Faucheurs volontaires lors du rassemblement altermondialiste du Larzac de 2003, les citoyen.nes prennent le relais, la lutte continue sans mettre en péril le syndicat paysan.

La même année, de nouveaux règlements européens imposent l’évaluation et l’étiquetage des OGM, mais lèvent aussi le moratoire. En 2007, le maïs transgénique couvre plus de 20 000 ha en France. Fauchages, manifestations, grèves de la faim, communes et régions sans OGM : une mobilisation d’une ampleur inégalée. Le « Grenelle de l’environnement » se conclut sur un refus des « OGM pesticides ». La Conf réalise qu’il est temps de passer de la seule dénonciation à la proposition de lois opérationnelles. Dès 2008, un moratoire national interdit la culture du seul OGM autorisé (4). La loi soumet l’utilisation des OGM au respect des cultures et des filières « sans OGM » et impose la participation des organisations paysannes et de la société civile aux recommandations du Haut Conseil des Biotechnologies.

La Fnsea veut alors organiser la coexistence. Lorsque le HCB rappelle que le respect du « sans OGM » rend son projet inapplicable, elle claque la porte et se retourne vers le Conseil d’État qui annule le moratoire. Il est aussitôt repris, puis annulé, puis repris… jusqu’au vote en 2014 d’une loi interdisant la culture de maïs MON810, seule espèce OGM cultivée en Europe.

Mais à quoi bon refuser les OGM si les paysan.nes restent dépendants de l’achat de semences industrielles et si leurs gènes brevetés contaminent toutes les semences paysannes ? Pour répondre à ce défi, la Conf’, les organisations bio et la CNDSF convoquent en 2003 l’assemblée constitutive du Réseau Semences Paysannes. Le syndicat s’engage à défendre tout paysan poursuivi pour avoir échangé ou vendu ses semences. Des manifestations répondent à chaque injonction du Gnis. La Conf’ démontre que ces injonctions sont abusives, le gouvernement dessaisit le Gnis de sa mission de contrôle du marché et aucun paysan n’est condamné. Les semis collectifs, les bourses d’échanges et les programmes collaboratifs de sélection paysanne se multiplient. La Conf suscite la création du collectif « Semons la biodiversité » pour proposer une loi protégeant les droits des paysan·nes. Le HCB sert de caisse de résonance et de lieu de négociation. Des élus se mobilisent. En 2014, le Parlement annule la portée des brevets en cas de contamination des semences. En 2016, il reconnaît le droit des paysan·nes d’échanger leurs semences et interdit les brevets sur les semences issues de procédés traditionnels de sélection.

Les sociétés semencières ne supportent plus le refus européen des OGM, au cœur des résistances internationales à leur domination. Elles décident de contourner ce verrou avec leurs OGM cachés qui permettent de breveter les gènes « natifs » des plantes et des animaux (5). Dès 2008, les visites citoyennes de plate-forme d’essais se multiplient. En réponse au gouvernement qui tergiverse, les Faucheurs volontaires passent à l’action tandis que la Conf’ et huit organisations citoyennes saisissent le Conseil d’État qui renvoie le dossier à la Cour de justice européenne. Dans l’attente de sa décision, la diffusion massive des savoirs paysans qui permettent aux semences paysannes de conquérir chaque année de nouveaux champs annonce les prochaines victoires.

Campagnes solidaires ; juin 2017

  1. La Coordination nationale de défense des semences de ferme rassemble la Confédération paysanne, le Modef, la Coordination rurale, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) et les Trieurs à façon.

  2. Union pour la protection des obtentions végétales

  3. Groupement national interprofessionnel des semences et plants

  4. Le maïs MON810, de Monsanto

  5. Campagnes solidaires a consacré plusieurs articles sur ce sujet, notamment sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse (VrTH).