Ungersheim, l’écologie et la décroissance

A propos d’Ungersheim. Il se trouve que j’ai fait un débat avec le maire.

Le maire est « de gauche », c’est certain, mais il fait avec ce qu’il a : un vote aux présidentielles qui est en effet à plus de 50% FN.

La décroissance « de droite » (type Eugénie Bastié, de la revue Limite et du Figaro, Natacha Polony n’est pas toujours très claire ; Antoine Waechter également, voir son dernier livre, avec un proche d’Alain de Benoist) consiste en gros à vouloir jouer le « réenracinement », le retour à certaines traditions, l’idée que la coutume sait mieux que nous comment nous devons vivre, que la société ne peut pas être transformée, que nous devons respecter les aristocraties naturelles. Charles Maurras défendait dans les années 1910 un localisme nostalgique du moyen-âge (quand « la France » était très décentralisée, le Roi n’ayant un pouvoir que principalement régalien) ; il y a de l’inspiration de ce côté-là. La décentralisation va avec un nationalisme puissant : les « ethnies » locales sont homogènes, « enracinées », mais également parfaitement loyales envers « le roi » (= le gouvernement central) voire « l’empereur » (= l’Europe, en tant que chrétienne, contre « les sarrazins »), dans leur esprit. C’est un peu le paradoxe : un localisme qui va de pair avec un militarisme nationaliste qui ne lâchera jamais le nucléaire puisque c’est ce qui « nous » protège des sarrazins (pour faire simple, mais l’islam est en effet considéré comme l’ennemi séculaire, d’où Charles Martel notamment).

La décroissance que mettent en place le maire et ses amis à Ungersheim ne vont pas contre ça, mais pas pour non plus : il est plus correct de dire qu’ils ne jouent pas le conflit (qu’ils perdraient sûrement). Le maire est, de par sa position (la mairie), dépositaire d’une « aristocratie naturelle », s’il sait jouer de l’ambiguïté ; il peut laisser exister les coutumes tout en essayant de faire progresser l’autogestion (alsacienne). Comme le débat est purement local les enjeux nationaux ne sont pas rencontrés frontalement. Comme ils n’ont certainement pas de « sarrazins » ou de perçus comme tels, le débat à ce sujet reste cathodique et national, pas local. Si le maire est malin il peut avancer sans poser cette question-là – sinon il n’avancerait pas.

Ungersheim n’est pas le seul endroit où il y a des ambiguïtés ; Maurras est également anticapitaliste, au nom de la lutte contre la destructuration de la coutume – cette coutume devant être remise en cause cependant s’il faut se renforcer face aux sarrazins, raison pour laquelle le conservatisme peut également être ordolibéral, tout en critiquant fortement le libéralisme économique et culturel : il n’accepte la croissance capitaliste qu’à regrets, et souhaite qu’elle soit étroitement contrôlée, parce qu’elle détruit « la société » (la référence à Polanyi ou à Dardot-Laval ou à Michéa est donc appréciée). Certains courants conservateurs sont plus centralistes que Maurras, ils peuvent être anticapitalistes et étatistes, comme par exemple Carl Schmitt ou le nazisme. Un pouvoir fort, central, anticapitaliste (et accessoirement antiécolo) : cette description ne conduit pas forcément à Chavez mais également à des partis conservateurs ou ultraconservateurs. Tout dépend des buts poursuivis. Ce que je veux dire par là est que les anticapitalistes qui croient que le problème du « confusionnisme » est seulement du côté des écolos se trompent : l’anticapitalisme n’est pas non plus à lui seul un marqueur « sûr » du progressisme. L’accueil massif de réfugiés peut également se faire pour diverses raisons qui ne sont pas toutes progressistes (par exemple les raisons peuvent être religieuses : la religion joue souvent -mais pas toujours- un rôle important du côté conservateurs). Le fait d’admettre l’homosexualité n’est pas non plus un marqueur fort car les courants « païens » de droite s’identifient aux guerriers antiques qui étaient plus homo qu’hétéro – la femme étant surtout là pour s’occuper de la maison. Certains groupuscules d’extrême-droite (les Identitaires, de mémoire) étaient ainsi opposés à la Manif pour Tous… parce que favorables à l’homosexualité (virile)

Ce qui marque le progressisme est :

1/ la défense des droits et donc de l’égalité (pas d’aristocratie naturelle)

2/ l’autogouvernement, l’idée qu’on choisit son destin (pas de coutume qui donne à chacun sa place)

3/ la liberté c’est-à-dire le droit d’être qui on est, dans la limite de l’égalité c’est-à-dire que la liberté des uns passe par la liberté des autres (la liberté n’est pas la licence).

On peut reprocher beaucoup de choses à Chavez de ce point de vue mais pas d’être de droite. Par contre Poutine est clairement de droite / conservateur 🙂 Pour corser encore un peu le tout, l’autogouvernement et les droits peuvent bien aboutir à choisir un style alsacien, non pas pour des raisons coutumières, mais esthétiques, ou autres…

Il n’y a pas qu’Ungersheim qui compose avec la Réaction : qui connaît la sociologie exacte des soutiens de NDDL ? je parierais qu’il y a également des FN. En tout cas une partie de la littérature conservatrice soutient cette lutte, c’est un fait avéré. Regardons dans les syndicats, dans les foires écolo… on ne trouvera pas que des progressistes (cf. statistiques de vote lors de la dernière présidentielle – le FN est plus bas que la moyenne dans le syndicalisme, mais pas à zéro – 22% à la CGT, 33% à FO).

http://www.humanite.fr/les-syndicats-face-la-vague-fn-537267

Le problème de toute lutte sectorielle ou ponctuelle (NDDL ou autre) est qu’elle évite de se diviser sur des questions qui n’ont pas de rapport direct avec son objet.
Évitons donc de faire de ce village un cas unique.

FF

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Autre commentaire

« Peuton être écolo et de droite… Attention l’exemple de Ungersheim semble le prouver… »

ben on peut surtout être de droite et réac et de droite et rétrograde… ce que j’en ai vu est surtout un retour au mode de vie des années 50  où  il n’y avait pratiquement pas de voitures pratiquement pas de tracteurs, pas d’élevage industriel etc…

revenir en arrière simplement parce que comme dit l’autre « c’était mieux avant » n’est pas foncièrement innovant mais va bien avec une certaine droite

On peut aussi être de gauche et réac et de gauche et rétrograde… Il y a des tas de gens – et pas spécialement du côté Macron – qui pensent que la distinction droite/gauche n’est plus spécialement éclairante, surtout quand on est de gauche. Si les gens prennent en charge leur vie plutôt que la laisser gérer par d’autres, je trouve ça positif même si c’est pour opérer – soit-disant- un « retour aux années 50 ».

une vrai réflexion décroissante ne repose pas sur la nostalgie mais sur la capacité à s’interroger sur le « progrès » …en gros est ce que tout ce qui est nouveau et « techno » est nécessairement bon ?