Un paysan-brasseur contre une usine à vaches

A 37 ans, Mathieu Glorian est paysan-brasseur dans le Pas-de-Calais. Ancien animateur régional de la Confédération paysanne, il demeure actif syndicalement, participant notamment à la lutte contre la ferme-usine des 1000 vaches, à Drucat (Somme).

« La Brasserie paysanne de l’Artois (BPA), c’est la création d’une activité de diversification sur une ferme afin de pouvoir s’y installer de manière progressive pour devenir paysan » : Mathieu Glorian présente ainsi son activité. La ferme est l’outil de travail et lieu de vie de François Théry, paysan à Gavrelle, près d’Arras, depuis plus de 20 ans.
Mathieu et François commencent à réfléchir ensemble à une installation-transmission progressive sur sa ferme en 2010. Ils s’y prennent tôt : François n’a alors que 50 ans.

« Mes parents n’étaient pas paysans mais j’ai fait des études en agriculture, explique Mathieu. Un stage en première année dans une ferme laitière m’a donné le coup de foudre pour le métier de paysan. Pour moi le meilleur moyen d’être écolo, c’était d’être paysan ! J’ai ensuite travaillé dans un parc naturel régional puis cherché à m’installer dans un projet collectif qui est tombé à l’eau. J’ai travaillé pendant quelques années pour la Confédération paysanne où j’ai rencontré François. En 2009, il a fait savoir qu’il cherchait un repreneur et je me suis présenté ! »

C’est à ce moment-là, «  parce qu’une reprise est un projet à long terme et qu’il n’y avait pas sur l’exploitation un salaire pour deux paysans  », que germe dans l’esprit de Mathieu l’idée de créer son propre emploi, avec une micro-malterie-brasserie pour transformer en bière l’orge que François produit déjà. En 2013-2014, le second finance l’aménagement d’un local pour permettre au premier de créer son activité sur le corps de ferme.

François cultive ses 52 hectares de terre en bio depuis 2001 ans et y produit du blé, du triticale, de l’avoine, de la luzerne, des pommes de terre, des chicorées « à café » et donc de l’orge de brasserie. Le paysan est également le premier de l’ex-Nord-Pas-de-Calais a avoir décidé de confier l’achat de terres qu’il cultive à Terre de Liens, dans l’optique d’en faciliter la transmission ultérieure (2).

A partir de l’orge de printemps, Mathieu produit depuis novembre 2014 une quinzaine de lots de 250 à 300 kilos de malt. Le succès de l’Epinette (60 hectolitres en 2016), bière de garde blonde de fermentation haute non filtrée et refermentée en bouteille, en appelle d’autres…

Officiellement installé depuis octobre 2016 après trois ans en couveuse d’entreprise sur la ferme, Mathieu s’est endetté pour rendre l’activité viable : 100 000 € d’équipements, à 85 % sur la malterie-brasserie. L’idée est d’atteindre d’ici 2-3 ans 500 hectolitres par an et de pouvoir financer un appoint salarié dès 2018-2019 ; il devra alors se rendre plus disponible pour les cultures, avec la perspective du départ en retraite de François d’ici 5 ans. La culture de houblon ainsi que l’accueil d’autres porteurs de projets sont aussi en réflexion, comme la création d’un petit élevage de vaches allaitantes pour renforcer la cohérence agronomique du système et créer de nouvelles possibilités d’emplois. « La dimension collective du travail en agriculture m’a toujours attiré », précise le néo-paysan qui voit dans l’avenir de la ferme pleins d’évolutions possibles : «Nous pourrions faire vivre une bonne dizaine de personnes en diversifiant les productions ».

Plusieurs brasseurs régionaux étant intéressés par du malt bio local, Mathieu a, avec quelques amis, initié fin 2015 la création de Malts de Terroirs en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. L’association est soutenue par le financement solidaire de Pas-de-Calais Actif (3) dans son projet de préfiguration d’une micro-malterie coopérative locale : « Parallèlement, nous animerons la réflexion sur la structuration d’une micro-filière car il faut convaincre des paysans de semer de l’orge de brasserie bio (4) et tous les acteurs d’investir dans un outil partagé d’une autre dimension ».

Parallèlement, il est aujourd’hui co-porte parole de la Confédération paysanne interdépartementale du Nord-Pas-de-Calais, partie prenante de la nouvelle structure régionale des Hauts-de-France. S’il privilégie encore la consolidation de son activité de paysan-brasseur, il n’hésite pas à participer à des actions syndicales marquantes. Ainsi, le 9 septembre 2016, il était en première ligne pour bloquer et vider à la frontière belge un camion de lait en provenance de l’usine des 1000 vaches de Drucat (Somme), un des combats emblématiques contre l’industrialisation de l’agriculture dans lequel est engagée la Confédération paysanne.

(1) www.brasseriepaysanne.fr

(2) https://www.terredeliens.org/

(3) http://www.pasdecalaisactif.fr

(4) Seulement une douzaine en fait dans la région Hauts-de-France