Veolia et le lobby de l’eau

Sous Macron, leur influence est encore plus grande.

Les élections passent, le lobby de l’eau reste. On a beaucoup épilogué sur le renouvellement de l’Assemblée nationale suite aux derniers scrutins français.

En réalité, Veolia et plus largement le lobby français de l’eau y restent plus présents que jamais, avec trois élues anciennes employées de la multinationale ou ex dirigeantes d’officines liées au lobby. Brune Poirson, chargée de la responsabilité sociétale de Veolia dans le cadre de la privatisation de l’eau de Nagpur, en Inde, s’est même vue confier un poste de secrétaire d’État au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire.

L’Assemblée nationale a beau avoir été profondément renouvelée, les lobbys y restent tout aussi puissants. Et peut-être plus puissants que jamais, si l’on considère qu’au sein de la « société civile » ralliée au parti d’Emmanuel Macron, on trouve surtout des profils liés au monde des affaires. Ce sont ainsi pas moins de trois nouvelles députées (deux de La République en Marche, l’autre siégeant parmi les Républicains « constructifs »), dont l’une a été rapidement propulsée secrétaire d’État, qui ont des liens étroits avec le lobby de l’eau.

Au sein de La République en Marche, Célia de Lavergne, élue dans la troisième circonscription de la Drôme, a ainsi été responsable de la responsabilité sociale d’une filiale de Veolia au Niger entre 2006 et 2009. Elle a ensuite été directrice de l’ASTEE (Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement), l’un des chevilles ouvrières du lobby français de l’eau.

Autre allié de poids de ce dernier : Sophie Auconie (UDI), élue dans la troisième circonscription d’Indre-et-Loire. Elle est co-présidente du Cercle français de l’eau et gouverneure du Conseil mondiale de l’eau, deux autres pièces maîtresses de la toile d’araignée tissée par Suez et Veolia en France et à l’international pour favoriser leurs intérêts. En 2014, alors qu’elle était élue européenne, elle s’était illustrée par sa défense des multinationales lors de l’examen de l’Initiative européenne sur le droit à l’eau.

Parallèlement, le lobby de l’eau peut toujours compter au Sénat sur le soutien d’alliés de longue date, comme Christian Cambon (LR, Val-de-Marne), vice-président du SEDIF (lire notre article).

Le greenwashing au Ministère

Mais c’est évidemment Brune Poirson, élue dans la 3e circonscription du Vaucluse et nouvelle Secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, qui retient le plus l’attention. Celle-ci, qui se présentait sur son site de campagne comme « auto-entrepreneuse dans le domaine de l’innovation et de la responsabilité sociale des entreprises » avec des expériences à la fois dans le public, le privé et le secteur associatif, est en fait employée par Veolia depuis de nombreuses années. Elle a notamment été étroitement associée, en tant que directrice de la « responsabilité sociétale », à la privatisation de l’eau de la ville de Nagpur, en Inde.

La multinationale de l’eau avait conçu son implantation à Nagpur comme un vitrine de son savoir-faire et un tremplin pour conquérir d’autres marchés en Inde. Elle avait aussi abondamment vanté cette expérience en France, en faisant venir des journalistes sur place quelques mois à peine après avoir signé le contrat, pour vanter la manière dont elle « apportait l’eau » aux pauvres Indiens, sans mentionner que le financement de l’opération était d’origine publique.

L’Observatoire des multinationales avait consacré à l’époque une longue enquête à cette privatisation prétendument exemplaire, documentant de nombreuses accusations de corruption et d’irrégularités financières, ainsi que la résistance parfois violente opposée par les populations locales à Veolia, par crainte de voir le prix de l’eau exploser. Un récent reportage sur place du quotidien indien The Hindu confirme que cinq années après l’arrivée de la multinationale française, la promesse d’une eau de qualité pour tous 24 heures sur 24 est encore très loin d’être tenue, et que les résidents continuent à se plaindre de factures exorbitantes.

La communication éhontée de Veolia à propos de ses réalisations à Nagpur, très éloignée de la réalité du terrain, a d’ailleurs valu en 2013 à la multinationale un « prix Pinocchio », destiné à dénoncer le pire greenwashing de l’année. Après cette expérience à Veolia Inde, Brune Poirson est restée « conseillère « Open Innovation » » pour la multinationale de l’eau.

Privatisation de l’écologie et du développement

Ce positionnement d’une employée de Veolia au coeur du ministère chargé de traiter d’enjeux aussi importants que le climat ou la biodiversité fait craindre à beaucoup que le poids des multinationales s’y trouve encore renforcé. Déjà, au cours de la mandature précédente, on avait observé une tendance de plus en plus marquée à confier au secteur privé, à commencer par les grands groupes tricolores, les clés de la politique climatique et environnementale de la France. Ce qui se traduit notamment par la priorité donnée aux solutions technologiques et financières portées par ces entreprises (les voitures électriques, les grands projets d’énergies renouvelables centralisés…) et par la volonté affichée de vendre la prétendue expertise environnementale des grands groupes français à l’étranger (lire par exemple notre enquête Comment, au nom du climat, la France cherche à imposer ses intérêts et ses entreprises à l’Afrique).

Veolia s’est depuis longtemps positionnée sur ce créneau, par exemple en vantant sa contribution aux « objectifs de développement durable » (ou ODD) lancés par les Nations unies l’année dernière. Ceux-ci sont en train de devenir pour de nombreuses multinationales une excuse pour relégitimer la privatisation et la commercialisation au nom du « développement » et des besoins des populations pauvres de la planète. Tout comme Veolia a essayé de le faire à Nagpur.

Quand aux associations qui militent pour le droit à l’eau et craignent une nouvelle offensive de Veolia et consorts pour revenir sur l’interdiction des coupures d’eau (lire nos articles ici, ici et ), elles ont demandé des assurances à Nicolas Hulot. Sans réponse pour l’instant.

Multinationales.org