Quid du Linky et de ces gadgets « intelligents » ? (suite)

Deuxième et dernière partie

Fin du paragraphe  « Intelligence artificielle et robotique »

Le philosophe Éric Sadin ne se laisse pas abuser pas les annonces dithyrambiques. Dans un livre, il explique avec force détails que « la silicolonisation du monde », loin de nous libérer du capitalisme, nous y enfonce jusqu’au cou. Derrière la rhétorique émancipatrice, le même complexe militaro-industriel est à l’œuvre… A l’ancien impérialisme géographique et économique, vient s’ajouter par l’industrie numérique un nouvel expansionnisme capable de s’immiscer au plus profond des rapports sociaux.

« Dans ce livre, à la langue précise et élégante, le philosophe montre comment, par l’agencement technique de l’espace vital, un capitalisme d’un nouveau type tisse sa toile et comment il est en train de s’instituer. Ainsi via les objets connectés et l’intelligence artificielle, un techno libéralism est à l’œuvre et  entend tirer profit du moindre de nos fait et gestes, inaugurant l’ère d’une « industrie de la vie ».

http://ericsadin.org/node/5643

Le « progrès », c’est la société des robots. L’Homme augmenté tend à devenir une réalité. Bien entendu, l’humanité sera diminuée !

Le livre de Philippe Baquet, « homme augmenté, humanité diminuée » s’intéresse au juteux secteur de la santé de l’homme malade ou défaillant. Les perspectives d’investissement sont vertigineuses. Aux traditionnelles spéculations des laboratoires pharmaceutiques soutenus par les politiques publiques, sont venus s’ajouter les projets mégalomaniaques des Géants du Net : Google, Apple, Facebook ou Amazon (GAFA). L’auteur montre comment le secteur de la santé s’impose comme l’un des plus gros “business” pour les décennies à venir. Les nouvelles technologies négligent l’humain et pourraient bien réaliser un projet de société eugéniste des corps et des consciences.

La maison du futur dans les Hauts-de-France

Nul n’échappe à la frénésie collective. Sans originalité, la région des Hauts-de-France, n’est pas plus épargnée. Elle produit ses prophètes. Avec une visite de la maison du futur, on est mis au parfum. Le numéro de cocorico siliconé a eu lieu à Arras, jusqu’au 27 octobre, dans l’enceinte de la citadelle. Sans surprise, la nouvelle équipe régionale – qui, comme la précédente équipe (socialiste), s’est adjointe les services de Jeremy Rifkin, le prophète venu des Etats-Unis- apporte son soutien à cette initiative, avec en première ligne un vice-président régional. A l’énumération de ses charges : « transition écologique », « troisième révolution industrielle » (TRI) et « bio-économie », on soupèse le poids lourd incontournable de la politique locale. Non content de ses missions futuristes, ce vice-président s’occupe des problèmes domestiques en tant que président de la Communauté Urbaine d’Arras (CUA) ; accessoirement administrateur au sein de l’entreprise « Maisons & Cités, société anonyme d’’HLM ».

La maison du futur est dédiée aux objets connectés et a été conçue par le Centre d’Innovation des Technologies sans Contact (CITC).

Tout y passe, même en dehors de la maison : culture, tourisme, industrie, agriculture …

La maison est le lieu idéal pour déresponsabiliser les occupants :

  • rappel avec SmartPharma du médicament à prendre … avec sa posologie
  • vision de la consommation énergétique en temps réel
  • rappel des prochaines factures à payer
  • utilisation du frigo évidemment connecté : proposition de menus, commande directement en cas de manque …

C’est là que l’on voit ce qui nous attend, nous les humains : plus besoin de réfléchir et de faire soi-même, la machine s’est emparée de la tâche, le robot nous met sur la touche et s’affaire déjà dans un espace conçu pour lui !

Comme dit un spot publicitaire : « C’est pas beau la vie ! » Mais que reste-il d’elle… la vie ? Un de ces jours, grâce à la région, l’humain ne servira plus à grand-chose ; il ne pourra plus contester puisque ce qui lui est proposé est obligatoirement ce qu’il y a de mieux.

Assister l’humain, l’infantiliser, le déresponsabiliser : c’est le « progrès » ? On ne peut rien contre ? Pas sûr !

Transhumanisme

Il faut avoir en tête que la technologie –qui est à la base du transhumanisme- est la « politique de notre temps ».

Le projet transhumaniste est la poursuite de cette chimère funeste qui a pour nom « la croissance ».

Cela part du principe de base suivant : seuls les experts sont capables de résoudre tout –en tout cas de très nombreux problèmes. Presque tous les humains sont nuls et doivent accepter de se faire mener par la main, quand ce n’est pas par le bout du nez.

Ce devrait être le règne des machines intelligentes qui analyseront, décideront et agiront à la place de l’Homme.

Cela passe donc par l’intelligence artificielle, les RFID, les nanotechnologies, les objets connectés, la planète intelligente … pour aboutir au transhumanisme.

Le but essentiel est de surpasser l’Homme dans ses capacités d’analyse et d’action pour au final l’en déposséder comme on le voit avec le « trading haute fréquence » (THF) : tout anticiper et organiser avec des machines de plus en plus performantes en puissance de calcul –le sommet étant le robot « intelligent ». « Grâce » à la science, il est possible de tout transformer … même l’Homme. A terme, cela signifie que l’Homme ne sera plus qu’un sous-produit du robot, une variable d’ajustement dans la vie.

Petit à petit, mêmes les ingénieurs vont être supplantés par les robots « intelligents ». L’Homme –même augmenté- est trop petit pour faire face à la situation.

L’avenir de l’Homme semble donc s’orienter vers le robot humanoïde et/ou l’humain robotisé. En tout cas, c’est ce qu’on veut nous vendre.

Donc les robots vont mener le monde et la nature. Les Hommes deviendront des sous-robots. Il y aura deux catégories :

  • ceux qui essaieront de s’en sortir : ce sont les Hommes augmentés, les Hommes connectés …
  • Et il y aura les autres, ceux qui ne suivent pas le processus « révolutionnaire » : ce seront les chimpanzés … selon les paroles célèbres du prophète transhumaniste Kevin Warwick.

En toutes circonstances, il faudra subir -si nécessaire sous la contrainte- le système mis en place progressivement.

Les perspectives sont grandioses si l’on se fie à un rapport officiel, co-écrit par un sociologue transhumaniste -William S. Bainbridge ; cette orientation, c’est tous azimuts : « Si le transhumanisme progresse sans encombre, c’est qu’il est l’idéologie de l’accélération technologique et du progrès -qu’on-n’arrête-pas. Autrement dit, développer les NBIC, nanotechnologies, biotechnologies, informatique et neurotechnologies (et la convergence entre elles, qui multiplie leur puissance), c’est faire place, de fait, au post-humain. Les technologies convergentes fournissent à celui-ci les outils de sa fabrication : implants neuro-électroniques pour réguler l’appétit, le comportement, les addictions, stimuler l’attention et la cognition ; modification des souvenirs par optogénétique ; puces RFID sous-cutanées ; prothèses de membres commandées par le cerveau ; implants cochléaires et rétines artificielles ; exosquelettes ; interfaces neuronales ; séquençage ADN ; sélection génétique des embryons ; ingénierie tissulaire et organique ; dispositifs de réalité augmentée ; objets connectés «intelligents», big data ;  intelligence artificielle, etc. C’est ce qu’annonçait dès 2002 un rapport pour la National science foundation (l’organisme qui pilote la recherche américaine) et le Département du commerce, préconisant «l’amélioration des performances humaines par les technologies convergentes». Avec notre petit esprit, on n’osera pas vérifier si quelque chose a été oublié.

Ultime affront, ceux qui en ont encore la force réussissent cependant à catégoriser ce futur progrès dans des choses déjà connues. Bernard Stiegler considère en effet que le transhumanisme est une nouvelle forme dangereuse du « darwinisme », ici en l’occurrence forcément social. Il lui reproche de s’en remettre au scientisme pour décider du sort des hommes au sein de la société. Cela refléterait une forme de prédestination oligarchique des conditions de la majorité, répondant au principe de sélection naturelle. Pour lui, l’ « organe artificiel » serait plus exposé à cette règle. Il souligne à cet égard l’importance de la responsabilité sociale vis-à-vis de la science et de toutes les innovations découlant des découvertes faites par les chercheurs.

 « Quel est ce « projet de société » que nous finançons sans l’avoir choisi ? Big Data, Cloud, computing, objets connectés, réalité augmentée, logiciels et systèmes embarqués, services sans contact, hôpital numérique, e-éducation, cybersécurité, nanoélectronique, textiles techniques et intelligents, robotique, TGV du futur, supercalculateurs, alimentation « intelligente », véhicules à pilotage automatique, réseaux électriques « intelligents », énergies renouvelables, dispositifs médicaux innovants, biotechnologies médicales, chimie verte et biocarburants, usine du futur, qualité de l’eau et gestion de la rareté, recyclages et matériaux verts …

Lemonde.fr héberge le site promotionnel de la « ville intelligente » d’Enedis, baptisé « Smartlink ». En 2008, Le Monde organisait pour les cyber-technocrates (moyennant phynances) des rencontres professionnelles consacrées aux opportunités  du marché des puces communicantes RFID. Mais qu’attendre d’un groupe de presse (le monde, Télérama, l’observateur, le courrier international, huffinghton Post, la vie, le monde diplomatique …) dont les propriétaires (un banquier progressiste, un millionnaire post-moderne, un homme d’affaire high tech) assemblent le portrait-robot de la technocratie de gauche ?

Perspectives

On est à la croisée des chemins : qui va orienter le monde ? La machine ou l’Homme social ?

« Qui donc est cet Homme agi par des pulsions mortifères  et destructrices ?  Dans cette humanité vouée au pire, que sont ces jeunes allemands de la Rose Blanche, les Germaine Tillion, les Georges Guingoin, les Saint-Exupéry ? Des martiens ? Des chimpanzés ? Des aberrants ? Ces réfractaires incarnent –ô combien- l’esprit seul capable de résistance à l’imaginaire  de masse et au pouvoir anonyme de l’organigramme. Ils sont les humains comme nul technocrate ne saurait et ne voudrait l’être, puisant en eux-mêmes la capacité de décider pour eux-mêmes. « Etre homme, c’est nécessairement être responsable », disait Saint-Exupéry qui le prouve en actes. Le vieux pilote, qui s’est battu contre la bureaucratie militaire et gaulliste pour reprendre du service dans une guerre qu’il déteste, veut agir pour avoir le droit à la parole. »

« Je suis prêt à subir mon sort, forcé que je fus, dès ma vingt-huitième année, à être philosophe. Ce n’est pas facile et, pour un artiste, c’est plus difficile que pour tout autre … Que les malheureux se consolent d’avoir trouvé un de leur semblable qui, malgré tous les obstacles de la nature, a fait tout ce qui est en son pouvoir pour être recueilli dans la rang des artistes et des hommes dignes », disait Ludwig Van Beethoven.

« C’est ainsi que l’anthropophobie suinte des labos scientifiques et universitaires pour imprégner l’opinion. Voilà pourquoi nous avons le devoir de mettre en forme  notre volonté de rester humain, de l’exprimer de manière claire, intelligible et non négociable. Nous refusons de discuter avec ceux qui préparent notre élimination, quelles que soient leurs nuances, libérales californiennes, progressistes ou « écologistes ».  Nous débattons avec tous ceux qui le veulent des moyens de combattre  sans complaisance et politiquement, les ennemis de l’humain. Quitte à constater notre désaccord sur le fond avec ceux qui prônent à toute force la trompeuse convergence des luttes. »

 « Pour refuser le diktat de l’efficacité et les intérêts de la technocratie … pour renverser la catastrophe écologique, balayons d’abord l’amalgame entre progrès technologique et progrès social et humain. Contre le regrès (recul) social et humain, allégeons l’emprise technologique sur nos vies. Cessons de perdre notre temps à essayer d’en gagner : prenons-le ! Inversons l’inversion des fins et des moyens, de l’essentiel et du superflu »

Eric Sadin résume la situation de la façon suivante : « Au-delà d’un modèle économique, le modèle civilisationnel qui s’instaure est fondé sur l’organisation algorithmique de la société, entraînant le dessaisissement de notre pouvoir de décision. C’est pour cela qu’il est urgent d’opposer à ce mouvement prétendument inexorable d’autres modalités d’existence, pleinement soucieuses du respect de l’intégrité et de la dignité humaines. »

Si nous ne remettons pas l’Homme dans son environnement écosystémique en relation complexe  avec les autres êtres vivants, il sera difficile de combattre cette funeste orientation qui se pare de ses plus beaux atours, laisse croire que toute opposition est vaine et se met en place tout en disant que ce n’est pas encore prêt.

On le sait, le débat sur l’Homme « bon » ou « mauvais » peut mouliner à l’infini. Au siècle passé, la société qui corrompt selon Jean-Jacques Rousseau a été transformée en univers technique complexe ; ce nouvel espace rationnel, régulé par la performance des machines a paradoxalement fait pencher la balance dans le sens de Rousseau. Tout va de mal en pis avec la croissance permanente des puissances de calcul.  Si l’on ne peut pas trancher sur « l’Homme naturellement bon », les furies du développement technique du siècle passé et leurs perfectionnements numériques durant les deux dernières décennies confirment le pouvoir puissamment corrupteur de la civilisation industrielle.  Ne faut-il pas laisser l’Homme dans son environnement écosystémique, social, culturel et ses efforts philosophiques à l’échelle humaine sur la liberté et le sens de la vie ? Contre l’accélération permanente, l’enjeu est en effet de préserver ce cadre lentement mouvant.

Faute de quoi, la bataille sera perdue  et l’on ne pourra que constater le décès humain de l’Humanité. Bien entendu, la Nature pourra se passer de l’Homme.

************              **************

Pour lire le document complet :  Du linky au transhumanisme 1712

************           ****************

Cet essai d’analyse existe :

  • avec l’aide d’ami.es,
  • après lecture de nombreux documents,
  • grâce à des articles ou livres provenant de PMO Grenoble -Pièces et Main d’œuvre ; http://www.piecesetmaindoeuvre.com/ ; ce qui est écrit en italique et non référence est extrait de documents PMO.

Une émission sur « radio campus Villeneuve d’Ascq » sur le transhumanisme à ne pas rater :

http://www.campuslille.com/index.php/entry/manifeste-des-chimpanzes-du-futur-contre-le-transhumanisme-1