Service national Macron

Une France qui a peur de sa jeunesse

C’est à la caserne que l’on confie le soin de rectifier ce que l’école n’aurait pas su faire. Le service national version Macron n’obéit à aucune autre préoccupation.

Avec l’annonce d’un service obligatoire de 3 à 6 mois, quelque part entre les Chantiers de jeunesse et la caserne de grand-papa, entre une fixation irrationnelle sur la conscription et une méfiance bien réelle pour la jeunesse, la France de Macron fait un grand bond en arrière et surtout montre un sinistre visage.

Peut-on, en France, imaginer une citoyenneté qui ne s’incarnerait pas à travers les images, répandues ces derniers jours avec une complaisance malsaine, de militaires marchant au pas ou s’entraînant dans une cour de caserne ? Et s’entraînant à quoi au juste ? Une communauté qui ne serait pas au garde-à-vous devant un drapeau national ? Une société qui trouverait ailleurs que dans la guerre sa raison d’exister ? Le mythe de la conscription n’en finit pas de gangréner les imaginaires collectifs en dépit de ses tares, de ses vices et d’un passé monstrueux.

L’école des charniers

Car on peut bien se bercer d’illusions sur l’origine prétendument révolutionnaire ou républicaine de la conscription, c’est bien mal connaître la réalité d’un système de recrutement massif dont l’objectif est de transformer de simples individus qui ne demandent qu’à vivre en paix, en soldats, en guerriers puis en cadavres. Bien avant la Révolution française, les armées de Louis XIV étaient essentiellement constituées d’hommes du peuple recrutés de force – c’est bien la définition de la conscription – pour des causes qui n’avaient rien à voir avec la défense d’un pays.

La loi Jourdan (1798), souvent considérée, à tort, comme l’acte de naissance du service militaire moderne, est l’œuvre d’un régime politique, le second Directoire, davantage tourné vers le pillage de l’Europe que vers le bonheur de la population. C’est d’ailleurs cette même armée qui ouvrira la voie à la longue dictature militaire napoléonienne et aux charniers qui couvriront bientôt l’Europe entière.

Quand, à la fin du 19e siècle, la 3e République se cherchera un modèle militaire, c’est la Prusse qui le lui fournira, un modèle bâti sur la soumission absolue de toute une tranche d’âge à une autorité brutale, indispensable pour remplir ce qui restera jusqu’à nos jours la fonction de la conscription : apprendre à de simples civils à tuer ou à se faire tuer sur ordre. 1,5 million de soldats français tués pendant la première Guerre mondiale, plusieurs millions de blessés : aujourd’hui encore, les thuriféraires de la conscription évoquent avec fierté cet inventaire monstrueux pour légitimer, sans honte, une institution qui reste l’une des plus totalitaires de l’histoire des hommes.

L’armée de conscription sera à nouveau employée, massivement, au printemps 1940 puis, une dernière fois, en Algérie, avec, en ces deux circonstances, les résultats que l’on connaît. Voilà le bilan de cette formidable création sur laquelle, paraît-il, la France se serait construite et que Macron et beaucoup d’autres s’emploient à ressusciter… en 2018.

Au service d’un ordre social

L’instrumentation de l’histoire est également à l’œuvre avec cette autre fiction attachée au service militaire celle du « brassage social », des vertus d’« intégration » dont il serait porteur.

Outre que dans les tranchées de Verdun et d’ailleurs, ce sont d’abord les paysans qui mouraient les premiers, que les classes dirigeantes et les fauteurs de guerre meurent rarement à la guerre, mais qu’également les conscrits n’hésiteront jamais (ou rarement) à tirer sur le peuple quand on le leur demandera, on comprend que la discipline militaire, loin de participer à un « brassage social », s’est au contraire toujours mise au service d’un ordre social, et le plus brutalement qui soit, notamment par l’utilisation, dans la « formation » des soldats, de techniques de conditionnement, d’abrutissement aboutissant à un véritable décervelage.

Dans la France du 21e siècle, gangrenée par les inégalités, les injustices sociales, d’ailleurs renforcées par le présent gouvernement, il est proprement ahurissant que des individus normalement constitués puissent se laisser berner par ce mensonge. Arrivés à 18 ans, les jeunes ont derrière eux une bonne quinzaine d’années de vie commune, ils ont appris ce qu’était la vie en collectivité, avec ses règles et ses exigences : un domaine où l’école est quand même plus légitime que la caserne.

Les jeunes sont jugés collectivement coupables

Pour accéder à la citoyenneté, il faudrait donc en passer par la coercition, la sanction, l’infantilisation ? Finalement, cette décision de Macron d’imposer un encasernement général à toute une classe d’âge n’arrive pas aujourd’hui par hasard. Indépendamment de l’attachement magique et absurde pour une institution objectivement mortifère et brutale, les dernières années, notamment depuis les attentats de 2015, ont renforcé une large partie de l’opinion dans la méfiance viscérale entretenue pour les jeunes, jugés collectivement coupables – par défaut de discipline, de sentiment d’intégration – d’un terrorisme dont les dirigeants sont pourtant les principaux responsables.

Après janvier 2015, on s’est défoulé sur l’école, où, paraît-il, « on a laissé passer trop de choses » (Valls), on a multiplié les attaques les plus stupides et les plus brutales contre un système éducatif accusé de tous les maux. Macron se situe dans cette perspective punitive, illustrée entre autres par cette déclaration de son conseiller Serge Lepeltier pendant la campagne électorale, fixant comme objectif au service obligatoire “l’inculcation de la discipline, de l’autorité, des priorités stratégiques de la France”. Le brassage social sert à tout, à condition de savoir s’en servir. Manifestement, Macron sait s’en servir.

Un service national d’oubli de la régression sociale

Aujourd’hui, c’est à la caserne qu’on confie le soin de rectifier ce que l’école n’aurait pas su faire et c’est sur les jeunes que les politiciens et une partie de l’opinion font porter le poids de leurs propres erreurs, de leur incompétence, de leurs fautes. Six mois de service obligatoire pour dispenser ces tricheurs d’avoir à travailler sur eux-mêmes, d’avoir à se remettre en cause.

A l’heure actuelle, la plupart des pays européens ont aboli le service militaire, certains de longue date déjà (Grande-Bretagne, 1957), faisant le choix d’une armée de métier. La France, au nom d’une illusoire grandeur, entretient à la fois une ruineuse armée de métier (295 milliards d’euros pour les années à venir), tout en réactivant un service obligatoire également ruineux (30 milliards d’euros) et moralement indéfendable. La crispation de la France sur la conscription en dit bien davantage sur ce pays frileux, méfiant envers ses propres enfants, que sur les enfants eux-mêmes.

=> Source : Histoire, école et compagnie. 

Photo : En mes jeunes années j’ai refusé de faire le service militaire. Un soldat, ça ne sert pas à défendre la nation ou autre calembredaine aussi grandiloquente qu’abstraite, non, ça sert à tuer. Tuer des enfants, tuer des mères, tuer de pauvres gens, tuer des civils sans arme.

Photo : L’enfer existe. Oui. Pour les survivants. À Gaza en été 2014 comme ailleurs et comme partout. Et ce sont les hommes — pas besoin des dieux — qui créent l’enfer.

En réponse à des réactions de lecteurs : J’ai un peu hésité à mettre cette photo car, oui, elle est choquante. Mais mon but n’est pas de choquer et je suis désolé de vous avoir révulsés. La photo illustre un propos. Il ne faut jamais oublier qu’une armée sert à cela : tuer. Et tuer avant tout des enfants, des familles, des gens qui n’ont aucune prise sur des stratégies ou des enjeux qui les dépassent.

Les guerres modernes tuent pour l’essentiel des civils dont beaucoup d’enfants. Les soldats pilotent à distance des armes, des drones ou des avions qui bombardent. Même eux ne voient pas de près le résultat de leurs œuvres. On peut se contenter d’examiner les chiffres dans des colonnes après la guerre. Et constater que le nombre de soldats morts est dérisoire en regard du nombre de civils tués. Cela reste abstrait.

Diffuser de telles photos permet de mettre une réalité face à l’abstraction des chiffres. En cela, si cette photo est choquante, elle n’est pas inutile. Elle nous rappelle qu’un service militaire est fait pour apprendre à tuer. Et que la réalité est dégueulasse derrière la grandiloquence des mots tels “la défense de la Nation”. Vous écrivez votre désaccord et nous dialoguons : voilà ce qui devrait toujours se faire plutôt que d’imposer un point de vue par la terreur des armes.

« Puis cueillez des bouquets d’amour / Puisque l’amour dure toujours / Donnez-les à tous les soldats / À tous les chefs du monde entier / Pour que les fusils soient bouchés / Par les roses et par le lilas. » Pierre Vassiliu chante “En avant les petits enfants”.

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