Aéroport de NDDL

Quelles raisons ont conduit à ne pas construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Le monde bouge comme il ne l’a peut-être jamais fait. Je n’entends pas pointer ici la rapidité des événements, celle de la redistribution des rapports de force économiques et politiques à l’échelle de la planète. Non, je vise la tectonique des plaques mentales sur lesquelles les civilisations sont construites. L’idée selon laquelle nous entrons dans l’Anthropocène – à savoir un entrelacs histoire et nature –, est plus ou moins acquise. Mais nous commençons seulement à en pressentir les conséquences. Or, sur un plan symbolique, elles sont majeures. Et tout semble s’accélérer sous nos yeux. Il nous a fallu toute la seconde moitié du vingtième siècle pour revenir sur les critères classiques de la partition entre homme (animal humain) et animal. Or, la conception que nous nous faisons du monde végétal, de l’abime censé le séparer du monde animal, s’effrite avec une célérité étonnante. Et ce avec des succès de librairie internationaux. Nous avons appris que les arbres communiquaient entre eux face à des attaques de prédateurs, pouvaient faire preuve de solidarité, échangeaient des signaux électriques (support de nos représentations) par leurs systèmes racinaires, disposaient d’un rythme interne réglé sur les ondes gravimétriques, etc. Nous avons encore appris que les échanges chimiques entre plantes pouvaient varier légèrement d’une communauté botanique à une autre. Etc. Toutes ces informations nous permettent de mieux comprendre les liens qui nous unissent aux mondes végétal et animal. Nous sommes capables d’entrer en vibration avec les pulsations internes d’un arbre donné. Le contact avec le milieu naturel est doté de vertus thérapeutiques. L’anthropologie, en prenant appui sur les peuples amérindiens, est en train de nous donner des outils pour décrypter les communications que les êtres humains sont susceptibles d’entretenir avec les non humains. Etc.

Et, en même temps, presque chaque jour, paraissent des études scientifiques nous informant de la destructivité que nous exerçons sur la nature, sur le climat ou la biodiversité.

En même temps encore, nos gouvernements gouvernent, à peu de choses près comme si rien de ce qui vient d’être évoqué n’existait.

Un des intérêts de l’entretien avec Michel Badré que nous publions est de mettre en lumière à propos de Notre-Dame-des Landes, là où l’on s’y attendait le moins, la quasi absence de la nature (climat et biodiversité au premier chef) dans le processus de décision qui a conduit au renoncement à la construction de l’aéroport de NDDL.

Difficile de ne pas évoquer ici la réforme constitutionnelle en cours qui vient conforter les conclusions que l’on peut tirer de l’affaire NDDL. Il n’y sera pratiquement pas question d’environnement, alors même qu’une Constitution exprime les grandes orientations d’une nation. Alors que les pouvoirs publics ont été avertis de la dangerosité à introduire le climat seul dans la constitution, et par des scientifiques du climat (http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/03/07/inscrire-la-protection-du-climat-dans-la-constitution-ne-suffit-pas_5267222_3232.html), ils persistent et signent. Pire encore, à ce jour il est toujours question d’introduire le climat à l’article 34. Difficile de ne pas soupçonner quelque vilenie. Inscrire le climat dans l’article qui définit les domaines d’action privilégiés du parlement, pourrait être un moyen de protéger les gouvernements futurs d’attaques juridiques contre leur incurie climatique. On trouvera bien l’expression de « long-terme » au sujet de la réforme plus que cosmétique du CESE en chambre de la participation, mais sans que la transformation de l’actuelle composition du CESE soit à l’ordre du jour. Il est d’excellents représentants de l’environnement au CESE, mais la composition de cette assemblée leur interdit de disposer d’un poids réel.

Où est la cohérence entre la déploration sur l’état de la planète du Président Emmanuel Macron devant le Congrès américain et le projet de réforme constitutionnelle dont il porte au premier chef la responsabilité ?

Dominique Bourg, Université de Lausanne, directeur de la publication

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https://lapenseeecologique.com/un-entretien-avec-michel-badre/

Extraits

Dominique Bourg : Vous avez été un des trois membres de la commission désignée par le gouvernement français pour lui remettre un rapport destiné à éclairer sa décision quant au sort à réserver au projet d’un nouvel aéroport au Nord de Nantes, à Notre-Dame-des-Landes. Les deux autres membres étaient Anne Boquet, membre du corps préfectoral, et Gérard Feldzer, ancien pilote de ligne et ancien directeur du Musée de l’air, spécialiste de sécurité aérienne et réputé pour être proche de Nicolas Hulot. Je vous demanderai de bien vouloir vous présenter et de rappeler les grandes lignes de votre parcours.

Michel Badré : A l’issue de ma formation d’ingénieur j’ai d’emblée choisi de travailler dans le domaine de l’environnement. Après j’y suis toujours resté et par goût et par conviction parce qu’il y avait des enjeux. Quand je dis que je suis toujours resté, j’ai d’abord passé 25 ans à l’Office national des forêts, les pieds dans la glaise, et ensuite les 15 dernières années de ma vie administrative au ministère de l’environnement. A la fin de cette période, j’ai été amené à mettre en place et à présider l’Autorité environnementale, une instance d’évaluation de la prise en compte des enjeux environnementaux au sein des grands projets et grands programmes. C’était une expérience passionnante. Elle m’a donné l’occasion en cinq ans de voir les 400 plus gros projets arrivés au stade de la déclaration d’utilité publique en France, entre 2009 et 2014. Et je précise que le projet de Notre-Dame-des-Landes, qui était arrivé au stade de la déclaration d’utilité publique en 2008, n’est pas passé devant l’Autorité environnementale, laquelle n’a été instituée qu’en 2009. Depuis 2014 je suis fonctionnaire retraité, mais je continue à m’intéresser à l’environnement au sein d’une association, Humanité et biodiversité, qui m’a désigné comme son représentant au Conseil économique social et environnemental.

Dominique Bourg : Pouvez-vous nous indiquer la façon dont vous avez été nommé et la manière dont les rapporteurs ont commencé leur travail ?

Michel Badré : Je ne connaissais pas particulièrement le dossier. En 2017, durant la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait évoqué l’opportunité de désigner un médiateur pour sortir de la situation délicate de NDDL. Le nouveau gouvernement d’Édouard Philippe, en mai 2017, a décidé la mise en place d’une commission de trois médiateurs. J’ai été appelé au téléphone par le directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, ministre des transports. Il se trouve que je l’avais déjà rencontré à plusieurs reprises. Il était directeur de Voies navigables de France quand je présidais l’Autorité environnementale. Plusieurs projets nous avaient été soumis et nous nous étions un peu accrochés, mais en même temps estimés. J’ai accepté tout de suite cette mission tout en sachant qu’elle serait compliquée. Je ne connaissais pas les deux autres membres et en réalité aucun de nous ne  connaissait les deux autres. L’une, Anne Boquet, était une préfète encore en activité à l’époque, je suppose proposée par le ministère de l’Intérieur. Le troisième était Gérard Feldzer, connu de beaucoup de monde, mais non de moi alors. Il a été nommé en tant que spécialiste du domaine de l’aéronautique. Ancien pilote d’Air France, ancien directeur du Musée de l’air et ami de Nicolas Hulot.

Lorsque notre triple nomination a été annoncée, dans les derniers jours du mois de mai, la réaction immédiate de Bruno Retailleau, président du Conseil régional des Pays de Loire et président du syndicat mixte aéroportuaire, structure support chargée de piloter les études sur le projet, a été de mettre en cause la légitimité de notre commission. Deux de ses membres, déclarait-il, sont de parti pris ; et non la troisième, ce qui n’était guère sympathique pour elle. Pourquoi ? Parce que le premier est ami de Nicolas Hulot, et le second membre d’une association dont le président d’honneur est Hubert Reeves qui s’était autrefois déclaré contre le projet de NDDL. Une réaction reprise par d’autres élus et par la presse.

Dominique Bourg : Le lecteur appréciera la logique de cet élu de la République : « Vous ne partagez pas mon propre parti pris, donc vous n’êtes pas neutre … ». Et bien sûr avant même de prendre connaissance de quelque méthodologie que ce soit de votre part.

Michel Badré : Cette entrée en matière nous a au bout du compte été utile : il est normal que les experts aient un avis personnel, mais c’est la procédure d’expertise qui doit être rigoureuse et objective. La critique à notre égard nous a d’emblée incités à une grande rigueur et à chercher dans cette affaire des points d’expertise solides, où l’on pouvait départager le vrai du faux. Ces points n’emportent pas la décision par eux-mêmes, laquelle reste politique. Mais il nous revenait de proposer des éléments solides pour une décision qui ne relevait pas de notre légitimité. Et tout au long de notre mission nous avons été attentifs à ne pas aller nous-mêmes sur le terrain de la décision. Notre méthode devait être rigoureuse, tout ce que nous avancions devait être public pour être soumis au débat, tout devait être argumenté. Donc au bout du compte ce soupçon initial nous a conduits à la plus grande clarté possible.

Dominique Bourg : Comment avez-vous pris connaissance du dossier ?

Michel Badré : J’ai oublié avant d’aborder ce point, d’indiquer qu’en plus des trois membres, la commission comportait une quatrième personne, Emmanuel Constantin, un jeune ingénieur des mines, qui nous a beaucoup aidés et a réalisé un énorme et excellent travail.

La première chose que nous avons faite c’est de rassembler toute la littérature sur le sujet via Internet, le ministère, comme la direction de l’aviation civile, etc. Il était intéressant d’être également attentif à ce qui ne figurait pas dans ces documents communiqués.

On a parlé de NDDL dès 1965 via le préfet d’alors. La zone d’aménagement différé date de 1973. Le département a acquis depuis cette époque de 200 à 300 hectares par droit de préemption. Ensuite le projet est tombé en léthargie et était quasi oublié à la fin des années 1990. Le projet refait surface au début des années 2’000 à l’initiative de Jean-Marc Ayrault. Lors de son intéressante audition, acceptée sans réserve par lui dès le début de notre mission, alors que Bruno Retailleau avait refusé de nous voir, il nous a indiqué qu’à ses yeux NDDL était un projet d’urbanisme de la ville de Nantes, plus qu’un projet aéroportuaire. Compte tenu du dynamisme de la ville et de son taux de croissance plus élevé que celui de la plupart des autres grandes villes, il envisageait de grosses opérations immobilières de densification dans la partie Sud de la ville, et notamment un grand projet de réaménagement au lieu-dit « l’Ile de Nantes », au milieu de la Loire. Et l’actuelle maire de la ville Johanna Rolland, nous a tenu un discours similaire. Le projet de réaménagement de cette zone apparaissait contradictoire avec le développement du trafic de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique, pour une raison d’exposition au bruit consécutive au trafic aérien et à son augmentation. Le plan d’exposition au bruit leur paraissait devoir immanquablement empiéter sur la zone à densifier, au point de rendre cette opération d’urbanisme impossible. L’ouverture d’un nouvel aéroport en zone rurale très au Nord de l’agglomération apparaissait ainsi comme la condition sine qua nonau développement de cette aire urbaine, rendu lui-même nécessaire par l’essor de la ville.

Dominique Bourg : Information effectivement capitale.

Michel Badré : Je reviens à la suite. Il y a eu un débat public en 2002 et 2003, qui a été le premier débat public conforme à la révision par Dominique Voynet (loi Voynet 2002) de la loi Barnier de 1995 instaurant les débats publics. On a revisité ce débat qui ne parle que d’un projet aéroportuaire et donc nullement d’urbanisme. Le débat public a conclu que beaucoup de choses s’étaient dites, qu’il fallait en approfondir d’autres, et qu’il fallait donc continuer les études …. Vous connaissez la ritournelle puisque nous nous sommes rencontrés la première fois lorsque vous étiez commissaire d’une commission particulière du débat public (CPDP).

La phase suivante est la déclaration d’utilité publique datée de 2008. Le dossier de déclaration a été préparé en 2006 et 2007. Nous avons épluché les documents de l’enquête publique préalable à la DUP et avons eu accès à un autre rapport, non public, celui du rapporteur de la section des travaux publics du Conseil d’État. Dans son projet d’avis sur la déclaration d’utilité publique, il remarque que le dossier ne comporte pas d’aspect environnemental, et notamment rien en matière d’application de la loi sur l’eau, et donc rien sur les impacts d’un projet destiné à être implanté dans une zone humide, celle de NDDL. Ce qui me conduit à estimer qu’un tel dossier n’aurait pas été accepté par l’Autorité environnementale, qui a plusieurs fois recommandé dans ses avis, tous rendus publics, que de grands projets ayant des lacunes très semblables soient repris avant d’être mis à l’enquête publique, ce qui a été fait notamment pour l’un des projets du réseau de transport du Grand Paris. Le rapporteur lui-même affirme d’ailleurs que si ces aspects avaient été joints cela aurait pu conduire à une autre appréciation du dossier. Néanmoins, il donne un avis favorable à la déclaration d’utilité publique. La raison en est simple à ses yeux : le trafic aéroportuaire se situe déjà à l ‘époque à plus de 2,5 millions de passagers et, selon les affirmations du dossier, l’aéroport actuel serait saturé à 3,5. Il convient donc de résoudre ce problème, ce qui justifie la construction d’un nouvel aéroport. Or, je signale qu’en 2017 ce sont 5,5 millions de passagers qui ont transité par Nantes-Atlantique. Et c’est le même aéroport qu’au moment de la DUP. Le dossier avançait l’hypothèse selon laquelle il aurait fallu 40 millions d’investissements pour passer à 4 millions de passagers. Le dossier en question était donc passablement fragile, sur la justification principale de la DUP.

La DUP a été prononcée. En 2008, la même année, c’est l’arrivée à NDDL des premiers occupants sans titres, des « zadistes » comme ils seront appelés plus tard.

La phase suivante est la signature en décembre 2010 du dossier de concession qui a été passé entre l’État, avec un décret signé par le Premier Ministre d’alors, François Fillion, mais aussi quatre ministres, et Vinci. Un contrat établi pour 55 ans stipulant que Vinci est chargé de construire le nouvel aéroport de NDDL, de gérer celui de Nantes-Atlantique jusqu’à sa fermeture prévue en 2017 et, en prime, est aussi chargé de gérer l’aéroport de Saint-Nazaire, dédié principalement au fret. Ce même dossier comporte une clause de résiliation tout à fait curieuse, qui prévoit que si la résiliation intervient moins de deux ans après la mise en service du nouvel aéroport, le concessionnaire a droit à une indemnité calculée sur sa perte de recettes jusqu’à la fin de la concession, en 2065, avec un taux d’actualisation des recettes futures nettement plus bas que ce qui se pratique dans des cas semblables, ce qui conduit à majorer fortement le calcul de la perte de recettes cumulées.