Le collant

Le symbole de l’obsolescence programmée (encore un)

Bien pratiques pour joliment mettre ses gambettes à l’air ou pour se réchauffer sous un pantalon, les collants sont au coeur d’une industrie fort polluante, révèle un rapport publié par l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) ce mardi 15 mai. Voyons ça de plus près.

Le bas blesse

Quelle nana n’a pas râlé contre cette maille filée repérée juste avant de quitter le domicile le matin ? Ou pire, après ? Comment ne pas pester contre ce vêtement qui bien souvent nous agace par sa fragilité ? Car depuis les premières mailles de nylon inventées en 1939 par Wallace Hume Carothers et Du Pont de Nemours, les choses ont bien changé, ainsi que nous le rappelait déjà Cosima Dannoritzer à la minute 35 de son documentaire Prêt à jeter diffusé sur Arte en 2010 :

Après la seconde guerre mondiale, les industriels revoient la formule initiale et les collants « sans couture » de masse apparaissent sur le marché dès le début des années 1960. Et si aujourd’hui « 70% des personnes interrogées portent  des collants très régulièrement voir tous les jours », révèle HOP, il s’avère que dans 7 cas sur 10, les collants ne survivent pas à plus de six utilisations (voir seulement trois utilisations pour plus de 4 cas sur 10, cf. le graphique ci-dessous).

Quelle cohérence y a-t-il, dans ces cas là, à dépenser plusieurs centaines d’euros par an pour générer plus de 7315 tonnes de déchets et ainsi gaspiller une matière non recyclable ? C’est pour répondre à cette question que l’association spécialisée dans les coups de communication efficaces (la plainte contre les imprimantes Epson fin 2017, c’est elle. La plainte contre Apple en janvier dernier, c’est aussi elle) a lancé cette étude et récolté pour cela 3000 témoignages dont les analyses sont éloquentes : comme l’illustre le graphique ci-dessous, « la fin de vie des collants est quasiment toujours due à une obsolescence technique et non esthétique. On se sépare de ses collants car ils sont hors d’usage, non pas parce qu’ils ne sont plus à la mode ou pour des raisons psychologiques »

D’après les calculs fournis par l’étude, un utilisateur doit acheter en moyenne 10 à 11 paires de collants par saison, et ce alors que 130 millions de paires sont vendues chaque année en France (8 milliards de paires dans le monde)

Les trous dans le filet

Ce qu’il y a d’utile, dans l’approche de l’association HOP, c’est d’expliquer comment nous en sommes arrivés là, et comment les industriels peuvent changer la donne. En retraçant l’historique de cette industrie, HOP montre à quel point cette industrie est polluante : « les bas et les collants, dont les publicitaires ont fait la quintessence du glamour, sont en fait un produit pétrochimique issu de l’une des industries les plus polluantes qui soit. Initialement conçus en nylon, ils ont évolué vers un mélange de nylon et élasthanne pour assurer un plus grand confort » est-il précisé en rappelant à quel point les intrants chimiques sont présents à chaque étape de la confection d’une fibre textile (pour mémoire, le secteur de la mode est l’un des plus polluant au monde). Dans le documentaire cité ci-dessus d’ailleurs, le chimiste allemand Michael Braungart rappelle que la quantité d’agent de protection aurait été diminuée, rendant les fils de nylon plus sensibles aux rayons ultraviolets et à l’oxygène de l’air. « Avec l’appui de nos experts chimistes, nous pouvons affirmer que de telles pratiques sont possibles » précise d’ailleurs l’étude, qui émet l’hypothèse selon laquelle les fabricants peuvent jouer sur les additifs chimiques pour rendre plus ou moins robuste un collant, et ainsi programmer sa fin de vie.

Parmi les marques évaluées par les répondants (celles citées par au moins 200 personnes), quelles sont les plus solides, donc ? La marque Wolford arrive en tête (avec une note de durabilité de 3 sur 5), juste devant Bleuforêt (2,9/5) et Gerbe, qui obtient sa place en troisième position, à égalité avec Calzedonia (2,7/5). Dans la queue de peloton, les marques de grandes surfaces (1,6/5) et Golden Lady (1,6/5), à égalité dans le bas de gamme… Well ne s’en tire pas beaucoup mieux (1,9/5). A noter : « Dim, malgré son ancienneté sur le marché, n’est pas capable d’atteindre la moyenne (avec une note de 2/5), tandis que H&M est loin d’être recommandable (1,9/5), tout comme Le Bourget, nonobstant un meilleur score (2,3/5)« , précise l’association.

De fait, faut-il acheter une ou deux paires à 40 euros pièce et les garder plusieurs saisons ou acheter des dizaines de paires pas chères tous les ans ? A cette question, HOP répond clairement : « un collant cher au moment de l’achat ne l’est pas sur le long terme. Si l’achat d’un collant plus onéreux mais plus durable coûte le même prix par nombre d’utilisations que les autres types de collants bon marché, il représente un gain de temps et une économie en déchets pour la planète. Nous recommandons donc de se tourner vers les collants reconnus par nos pairs comme les plus durables. » Comme souvent avec ces problématiques d’obsolescence programmée, nous sommes prêts à payer plus si la qualité est là : « Nos répondants déclarent dépenser environ 9€ en moyenne pour une paire de collants. Mais ils seraient prêts à monter jusqu’à 17€ (presque le double) s’ils ont la preuve que la paire « durable » s’avère réellement plus résistante que l’offre actuelle ».

Une responsabilité partagée

Si les industriels sont ainsi mis face à leurs responsabilités, tout porte à croire que les marques les plus installées sur le marché n’ont pas encore de quoi être inquiétées : « les parts de marché des marques les plus durables, à savoir (selon cette étude) Wolford, Bleuforêt, Gerbe et Calzedonia restent faibles par rapport à certains mastodontes low cost. En effet, malgré une perte de vitesse, le marché demeure dominé par quelques géants. Malgré son piètre score en termes de durabilité, la marque Dim (rachetée en 2015 par l’américain Hanes) est en première position avec plus de 43% de parts de marché. Viennent ensuite les marques de distributeurs qui occupent 24% des parts de marché, puis les marques Well et le Bourget. Les marques étrangères sont peu présentes sur le marché, à l’exception notable de l’italien Calzedonia qui fait une percée remarquée sur le marché hexagonal depuis une dizaine d’années, et de l’autrichien Wolford racheté en mars 2018 par le groupe chinois Fosun (déjà propriétaire du Club Med et de La Perla). »

En attendant que l’offre change ses pratiques, c’est au consommateur de prendre ses responsabilités : aujourd’hui, les collants voiles transparents représenteraient en France encore 72% du marché, contre 21% pour les opaques, et 60% des répondants au sondage HOP mené en mars 2018 déclarent porter des collants dont la densité est inférieure à 40 deniers. Or pour avoir du solide, il est crucial d’adopter de bons réflexes – choisir des deniers supérieurs à 40 (ou des collants en matières plus naturelles, plus épaisses et solides), favoriser l’achat de bas (cela évite de jeter tout le collant), manier le produit avec délicatesse (cf. les conseils proposés par HOP ci-dessous), mettre un peu de vernis pour stopper les mailles filées encore invisibles (sur les pieds ou sur le haut de la jambe…), et quand vraiment le produit n’est plus utilisable, penser à bien le recycler (une fois collectés, ils finissent souvent brûlés…) ou en détourner l’usage :

Comme le mentionne HOP, plusieurs produits ou solutions plus responsables sont en cours d’élaboration un peu partout dans le monde – tel le fil recyclé à partir de bouteilles plastiques, en Italie, par la société Fulgar ou le Nylon conçu à partir de filets de pêche et de déchets plastiques en fin de vie imaginé par la société Aquafil, en Slovénie. Les marques Dear Deniers, Swedish Stockings et Berthe aux grands pieds sont aussi citées par Hop comme de bons exemples à suivre nés, justement, du ras le bol de voir les collants se consumer à la vitesse de l’éclair. Reste aussi à voir ce que donne l’infilable collant, si certain.e.s ici ont déjà testé ?

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