De la liberté de penser et de dire

Réflexions à partir des médias

Ce matin j’ai écouté,  comme je le fais presque chaque matin, la chronique de Thomas Legrand sur France Inter puis je me suis amusé un instant du billet de Charline Vanhoenacker, la plus belge des françaises ou la plus française des belges, comme il vous plaira. Son billet plein d’humour et de causticité   est comme une respiration matinale, après l’avoir écouté, je me sens comme vacciné contre la bêtise et même les formes les plus aigües de l’imbécilité politique. L’idée que des centaines de milliers d’auditeurs l’écoutent et l’entendent en même temps que moi me plait beaucoup. C’est comme si nous respirions le même air purifié.

J’ai poursuivi en  dépliant Le Monde, à dire vrai, avant de le déplier, j’ai scruté le dessin de presse de Plantu en première, puis lu l’éditorial du jour en dernière avant d’attaquer la chronique quotidienne sur deux colonnes de cette même dernière. Chaque jour un autre éditorialiste et un chroniqueur différent selon les sujets traités. Quand un événement retient mon attention et que l’envie me prend d’en savoir plus ou que le besoin me taraude de connaître le point de vue sur la question de la droite conservatrice,  je me  rends à la Maison de la Presse  et j’achète Le Figaro. Ce matin, comme il n’y en avait plus en rayon, je me suis rabattu sur L’Opinion, de sensibilité politique voisine. J’aurai bien voulu connaître également l’avis du parti communiste mais la Maison de la Presse ne recevait reçoit  plus L’Humanité pour cause d’invendus à répétition.

Sur le chemin du retour, je me suis arrêté pour boire un café « au zinc ». J’entreprends  de consulter les titres de mes journaux, tout en remuant la cuillère dans ma tasse pour faire fondre un sucre que je n’y mets plus depuis longtemps quand une vieille relation  entre et s’installe à mes côtés. Nous  échangeons quelques considérations politiques à partir d’un titre qu’il a entrevu. Un inconnu installé en bout de comptoir se mêla de notre conversation, y mit son grain de sel pour conclure qu’il ne croyait plus en la parole de nos hommes politiques et encore moins dans celle de l’actuel gouvernement, il s’emporta quelque peu contre le président de la république qu’il désigna sous le sobriquet peu amical de « paltoquet du Touquet » ce qui nous parut excessif.

Il nous fit part s’être abstenu autant à la présidentielle qu’à la législative et il  avait bien l’intention de persévérer dans ce sens pour les scrutins à venir. Il était de toute évidence très mécontent de l’action de la majorité actuelle et passablement énervé rien que d’en parler. Il tenait absolument  à le faire savoir et cela à qui voulait bien l’entendre. C’était sa respiration matinale à lui. Le cafetier lui donna partiellement raison mais conclut que celui qui s’abstient aux élections ne doit pas venir geindre après, même si  le  mode de scrutin ne lui paraissait pas satisfaisant. Il risquait de perdre un client mais  visiblement lui aussi tenait à sa liberté d’expression. Cette conversation à quatre, sans agressivité entre nous et dans  laquelle des points de vue différents s’étaient exprimés plus qu’affrontés, prit fin et je rentrai chez moi.

Nous avions parlé d’une voix normale, échangé des points de vue,  sans chuchoter, ni surveiller la porte. Nous parlions politique dans un lieu public donc ouvert à tous, sans cacher nos opinions et sans crainte aucune. Nous savions  que même si d’aventure un gendarme ou un policier était entré à ce moment pour acheter un paquet de cigarettes cela n’aurait rien changé à la situation. Pour paraphraser Winston Churchill expliquant la différence entre dictature et démocratie, nous savions que si quelqu’un venait à sonner chez nous à six heures le lendemain matin, ce serait le laitier et non la police.

Nous vivons dans un pays dans lequel la diversité des opinions est non seulement admise mais peut même s’exprimer à voix haute en public. Quand l’envie nous prend d’entamer une discussion politique, nous ne sommes ni contraints de nous réunir dans les catacombes, ni obligés de fermer les volets et de tirer les double-rideaux pour chuchoter à notre aise.

De la même manière, nous vivons dans un pays dans lequel la diversité de la presse écrite s’affiche insolemment dans les kiosques et les commerces qui portent une enseigne merveilleuse : MAISON DE LA PRESSE. Nous ne pouvons que regretter que malheureusement le nombre de ces commerces se réduise d’année en année, non par l’action d’une censure ouverte de la presse, mais la plupart du temps par une forme de censure plus insidieuse que sont les  difficultés de certaines entreprises et le recul de l’audience de la presse écrite.

Si télé-Bouygues a encore de beaux jours devant elle, les tentatives de mises au pas de Canal + et de i Télé par le sinistre Vincent Bolloré ont fait long feu. Arte est toujours vaillamment sur le pont et taille des croupières, La 5 et France 2 ont accueilli les  transfuges des premières et la pensée libre galope toujours sur les ondes. Une pensée libre qui n’exige pas de nous que nous soyons d’accord avec tout ce qui se dit ou s’écrit. Une pensée qui ne nous demande  pas d’aimer ou de détester tel ou telle journaliste ou intervenant, mais une pensée qui nous contraint. Une pensée qui nous contraint à réfléchir, à nous faire une opinion propre qui ne soit ni immuable, ni réduite à du prêt à porter. Une pensée qui s’alimente à la diversité des sources et ne se contente pas de se regarder, telle la Castafiore dans son propre miroir. Une pensée libre qui s’oppose à la facilité et à la paresse de l’esprit.

Les partisans d’Erdogan en France ont tenté d’imposer sous la menace le retrait de cette première d’un kiosque, ce que Le Point a refusé avec raison.

Notre liberté de pensée, celle de la presse et celle des journalistes qui la font ont destins liés, indissolublement. Qu’un média asservi côtoie une presse libre ne doit pas  nous déranger. D’abord parce que nul n’est tenu d’aller à lui, ensuite parce l’asservissement de la pensée n’a aucun avenir durable.

En politique, l’imbécilité existe également et elle n’est pas toujours heureuse. Elle aime les approximations oiseuses, les jugements à l’emporte-pièce et les fusillades au sens figuré et parfois même au sens propre. Elle devient alors criminelle.

Non, Emmanuel Macron n’est pas un dictateur, ni même un apprenti autocrate. Monsieur Maduro au Vénézuela et Monsieur Erdogan en Turquie sont là pour nous remettre les yeux en face des orifices dans ce domaine. Que Le Point fasse sa une sur Erdogan, que cette une soit affichée à la devanture  des kiosques, n’attente pas à notre liberté de penser, elle s’accorde avec la perception  de la vie politique en Turquie de la plupart des observateurs et elle est l’expression d’une opinion. Cet affichage relève de la liberté de la presse. En feuilletant l’hebdomadaire, quinze pages documentées explicitent le choix de la première de couverture. Parce que nous veillons à croiser nos informations en provenance de sources diversifiées, nous pouvons nous faire une opinion,  non seulement sur ce qui se passe en Turquie mais également sur le point de vue développé par ce magazine. Si le doute venait à nous effleurer sur une information donnée, nous pouvons soit lever ce doute soit émettre librement et à haute voix nos réserves sur la qualité de l’information fournie.

La liberté de la presse, la liberté du choix des sujets traités ne connaissent qu’une seule limite, celle que la loi fixe. Les propos appelant à la haine qui englobent l’apologie des crimes contre l’humanité, les propos antisémites, racistes ou homophobes sont une des limites de cette liberté. L’injure et la diffamation en sont la seconde. Nous vivons dans un pays où ces limites sont inscrites dans la Loi dont l’institution judiciaire assure l’interprétation et l’application. Cette application de la Loi n’est pas laissée à la libre appréciation  d’un pouvoir quel qu’il soit,  de la même manière que l’adoption d’une loi reste soumise à sa conformité avec la Constitution. Nous vivons dans un Etat légal c’est à dire régi  par des lois votées par les Assemblées mais également dans un Etat de droit car ses lois ne sauraient être élaborées  et votées par un pouvoir législatif agissant à sa guise en fonction d’une idéologie.

Gardons-nous bien de laisser les apprentis-sorciers jouer avec la Constitution, les Constituantes et les Républiques à renuméroter et concentrons-nous sur l’essentiel.

 Freddy KLEIN