Désormais, on sait !

On sait répondre à la question : l’Etat de droit a-t-il cessé d’exister en France ?

« La question se pose de savoir si la France est encore un Etat de Droit ». La personne qui lance cette sentence historique en ce début d’année 2019 est compétente pour le faire ; elle est avocate de profession. Depuis quelque temps, en effet, il se passe des choses graves qui désormais font système et qui, par ce fait même, apparaissent lourdes de conséquences pour l’avenir de la démocratie puisqu’aujourd’hui plus que jamais, une oligarchie menace la viabilité même du territoire Français. On est sorti des habituelles magouilles et affaires crapuleuses qui, à leur rythme au siècle passé, défrayaient la chronique politico-affairiste de la 5e République.

L’environnement n’a toujours pas droit de cité dans l’Hexagone et le saccage des paysages n’a fait que s’accélérer dans la première décennie de ce siècle. L’Etat-providence du CAC 40 est resté aveugle et sourd à la situation et aux alarmes pour continuer ses offrandes d’éléphants blancs des géants du BTP. En paraphrasant une formule célèbre on pouvait déplorer le désastre de 60 ans d’arbitraire de l’Etat en France : « bétonnage et bitumage étaient les deux mamelles de la croissance ». Depuis, les ravages sur les paysages n’ont fait qu’empirer pour s’afficher au premier plan. Des projets ubuesques du type Europa-city, dignes du Zaïre de Mobutu Sese Seko par leur délirante démesure, sont encore possibles en France.

A l’ère du néolibéralisme décomplexé qui est aussi celle du « capitalisme du désastre », il semble que les casses sociale et environnementale s’affirment de plus en plus comme les deux nouvelles mamelles de la croissance ; comprendre les deux axes par lesquels l’Etat de Droit en déliquescence assure les profits maximums et rapides aux entreprises transnationales. Loin d’être isolés avec leur climato-scepticisme, les Etats-Unis donnent toujours la cadence des sacrifices en masse au profit de ses industries ; sur cet exemple, la clique En Marche, tête baissée derrière son premier de cordée, lui emboîte le pas…

Par son évolution régressive rapide, la France rejoindrait la Pologne et la Hongrie dans la catégorie intermédiaire des « Démocraties illibérales » où le pouvoir hypertrophié du chef, du meneur ou du « premier de cordée » associe au culte de la personnalité du président élu une casse systématique des droits et libertés civiles. Tout s’est brutalement accéléré au tournant du siècle et trop d’indicateurs vitaux flashent dans le rouge depuis trop longtemps.

Cependant Corinne Lepage, pour la nommer, est compétente à plusieurs titres pour répondre à l’interrogation qu’elle soulève : elle est femme politique de longue date, de sensibilité écologique, elle fut ministre de l’écologie de 1995 à 1997 et préside, depuis 2014, « Le Rassemblement citoyen-Cap21 » ; ce qui aggrave encore la portée historique de sa sentence.

Nouveauté historique de ce siècle, les décisions et choix politiques du pouvoir en place se font désormais sous le triple éclairage du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et de la crise sanitaire liée aux pollutions multiples de tous les milieux …

Au sommet de sa clique En Marche, le « Premier de cordée » semble complétement déconnecté des réalités. Mais il faut craindre que cette posture délibérément provocatrice fasse désormais partie du casting présidentiel depuis le cas Sarkozy. Non seulement les décisions et choix de l’Etat s’opèrent de manière arbitraire et vont à l’encontre de l’intérêt général ; non seulement l’Etat ne traite  aucun des problèmes évidents et urgents de notre temps mais les moyens mis en œuvre pour imposer sa loi martiale libèrent régulièrement une violence policière extrême. Même l’ONU s’en inquiète de manière officielle à Genève par la voix de la Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme.

De toutes parts, l’Etat est pris en flagrant délit d’irresponsabilité sociale et environnementale et ne semble pas le moins du monde affecté pas la conscience collective des crimes qu’il couvre.

Lors du Quinquennat précédent il était déjà question d’instituer par prorogation « l’état d’urgence » permanent pour annihiler par la violence policière l’expression publique de la conscience du désastre environnemental.

Le constat de Corinne Lepage est historique. Il représente une alerte suffisamment grave pour qu’on ne la laisse pas isolée sans écho comme le message perdu d’une tribune individuelle.

Marx et l’Etat de droit

Avant de réfléchir sur l’état de délabrement de l’Etat de droit en France et sa dérive irrésistible vers l’arbitraire d’un régime autoritaire -voire pire vu l’explosion des violences policières incessantes-, il nous faut faire une brève parenthèse pour donner le point de vue marxiste sur le sujet. C’est en fait très simple, pour le matérialisme historique : « l’Etat de droit » ça n’existe pas, point à la ligne. Il est un leurre, une imposture ou une illusion d’optique liée à de grossiers a priori idéologiques. La classe dominante qui prospère sur l’exploitation des masses laborieuses et sur la destruction de la planète pense qu’elle incarne la raison savante et l’intérêt général. L’illusion d’optique cesse quand le peuple se manifeste et quand le délabrement de l’environnement éclate au premier plan. Ce qui est désormais le cas aujourd’hui.

En élargissant le champ d’analyse aux innombrables victimes en référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, si la France était un « Etat de droit » il n’y aurait pas de « Françafrique ». Si la France était un « Etat de Droit » il n’y aurait pas eu d’affaire de l’amiante, il n’y aurait pas eu les irradiés du Centre de recherche scientifique du Pacifique. Il en va de même  pour la catastrophe de la chlordécone. La France a désormais son Bhopal basse intensité, non pas par l’explosion accidentelle d’une usine chimique de pesticides mais par la volonté crapuleuse d’un Etat qui se prétend de droit.

Si l’Etat française se souciait un tant soit peu du sort de la population dont il est censé assurer le bien-être, il n’y aurait pas aujourd’hui de déni de justice infligé aux victimes de tous ses choix arbitraires et délibérément criminels. La liste est loin d’être exhaustive…

Fermons ici cette parenthèse et faisons comme si la notion « d’Etat de droit » avait quelques fondements juridiques à défaut d’être une réalité sociétale.

L’Etat de droit mort-né pour l’environnement

Il existe un domaine où de toute évidence « l’Etat de droit » n’a jamais existé en France : l’environnement. Si tel avait été le cas, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Un demi-siècle d’aménagement du territoire au profit de la circulation automobile, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, un demis-siècle de crime environnementaux sans entrave… Pour ce qui est de ce vaste secteur, l’interrogation de Corinne Lepage peut donc être plus radicalement posée. En reprenant les termes de l’avocate on a : la question se pose de savoir s’il y a eu un jour un Etat de droit en France.

Inutile de se creuser la tête, la réponse est claire encore une fois. Elle fut d’emblée donnée par le premier ministre de l’écologie de la 5e République, Robert Poujade : « mission impossible ». Son bref séjour à ce poste de 1971 à 1974 lui laissa un goût amer et lui inspira un livre : « Le Ministère de l’Impossible ». Le ton fut donné depuis le début, de belles lois furent votées pour rester lettre morte. A la même époque, René Dumont publiait son livre manifeste : « L’Utopie ou la Mort »… Et, malgré les cris d’alarme, les choses n’ont fait qu’empirer par la suite avec le programme nucléaire, l’aménagement autoroutier du territoire et le triomphe de l’agriculture industrielle poly-chimique. A chaque étape du désastre environnemental il fallait distribuer des lots de consolation aux associations naturalistes et le ministère de l’écologie servait d’organe tampon pour valider les déprédations et encaisser les doléances de sauvetages d’urgence.

A la fin du siècle dernier un autre homme politique, simple « chargé de mission », découvrit à la fois l’ampleur de la catastrophe environnementale et la situation kafkaïenne de sa dite « mission d’information ». A nouveau la conjonction des deux lui inspira un livre : « La France toxique ». L’avant-propos commençait ainsi « La catastrophe a déjà commencé. Depuis peu certaine maladies connaissent une véritable explosion : cancer, asthme, allergie affection neurologique, affaiblissement du système immunitaire… » Nous connaissons désormais cette réalité sanitaire qui s’est encore dégradée par d’autres pathologies. L’auteur concluait naïvement son avant-propos avec une belle mission pleine d’illusions  pour ce qui passait encore pour un « Etat de droit » : « Désormais les pouvoir publics ne doivent plus attendre que les médias braquent leur projecteurs sur des problèmes de santé publique pour nous informer et agir ». L’auteur, dans son élan lyrique, avait simplement oublié que tous les scandales sanitaires de la fin du 20e siècle ont bénéficié à des degrés divers de complicités bien placées et souvent de premier plan dans l’appareil d’Etat : amiante, sang contaminé, vaches folles…

La suite de l’histoire, on la connaît : l’effondrement brutal du droit environnemental en France.

Signalons cependant un épisode mémorable.

L’éternel témoin assisté, Nicolas Sarkozy, qui court toujours en bénéficiant d’une justice précautionneuse de déférence malgré son titre de « délinquant Chevronné », s’était offert au temps où il servait de Président, le rare plaisir de rouler dans la farine l’ensemble des associations environnementales avec son « Grenelle de l’Environnement ». En ce début de siècle, les projecteurs des médias étaient entre autre braqués sur « Ces maladies créées par l’Homme » et « les révélations sur un scandale français : les Pesticides ». Les pouvoirs publics n’avaient toujours pas agi face à la double catastrophe sanitaire et environnementale. Une des promesses phare de ce Grand Débat National concernait l’usage des pesticides. Sans nul doute, l’Etat de Droit avait enfin reçu le message d’urgence et le plan Ecophyto des pouvoirs publics fixait une réduction ambitieuse de 50%  à l’horizon 2020.  Dix ans plus tard on découvrait dans la catastrophe sanitaire et l’effondrement de la biodiversité que la consommation de pesticides n’avait pas cessé de croître… avec la complicité active de l’Etat qui avait effectivement agi mais pour massivement désinformer la population.

Inutile d’évoquer le cas de Nicolas Hulot, le héros écolo des français qui occupa durant un an de luxueux locaux avant de s’apercevoir qu’on l’avait logé au « Ministère de l’impossible » …

 

L’Etat de Droit en couverture du crime organisé

D’entrée de jeu, pour la France il est difficile de faire comme si l’Etat de Droit avait une réelle existence. Alors quittons quelque temps l’atmosphère polluée et suffoquante de l’Hexagone pour les paradisiaques alpages helvétiques.  Mais là encore, surprise ! Dans son analyse de la Suisse et de son respectable système bancaire, Jean Ziegler ne faisait pas dans la dentelle. Il citait d’emblée Che Guevara : « La démocratie libérale [ou l’Etat de droit] est la forme politique du pouvoir de la bourgeoisie quand le peuple est docile, la dictature (ou le fascisme) est la forme politique de l’Etat quand la classe dominante a peur pour son pouvoir ».

Pour ce qui est de la Suisse, il y a bien longtemps que la classe dominante n’a plus peur pour son pouvoir tellement il est puissant et tentaculaire. Le ruissellement semble suffisamment abondant et le peuple, bien repu, apparaît comme un exemple de docilité à toute épreuve. Ainsi ce pays sain du sommet à la base entre de plein droit dans la catégorie de « l’Etat de droit ». L’élite dirigeante peut même convoquer sans crainte le peuple pour lui demander son avis sur des sujets d’une certaine importance politique…

Pourtant, nul ne l’ignore, la Suisse est une place centrale où s’effectue le lavage de l’argent sale du crime organisé. C’est un secret bien gardé de Polichinelle. Ainsi l’Etat de droit semble compatible avec le crime. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Les criminels et « délinquants chevronnés », à partir d’une certaine aisance financière, accèdent à un statut social qui leur assure dans un Etat de Droit une certaine respectabilité et une immunité totale vis-à-vis du droit. Au siècle passé, en effet, les gros bonnets de la drogue avec leur statut quasi-diplomatique  avaient pignon sur rue et résidence cossue dans les austères capitales, refuges du protestantisme européen.

Aujourd’hui, en regard des prouesses vertigineuses de la haute finance transnationale, les vieilles figures épiques du narcotrafic peuvent presque paraître comme de pittoresques personnages folkloriques. Pourtant, avec leur sens épuré de l’éthique, ils pourraient postuler pour le titre de précurseurs de l’hyper-capitalisme, car en définitive, arrivé à ce stade avancé, le capitalisme ne se confond-il pas avec le crime organisé ?

Mais si le blanchiment de l’argent sale du crime organisé proprement dit peut parfois tomber sous le coup de la loi, il ne constitue que la partie émergée de l’Iceberg financier celle qui tombe sous les feux de la rampe.

La finance en général -et helvétique en particulier- a d’autres potentialités criminelles intrinsèques. Plus consistant dans la division internationale du travail d’Etat, il y a le crime organisé légal institutionnel. Pour ce secteur immergé de l’iceberg financier, il faut savoir qu’aux côtés d’autres puissances économiques, la croix rouge financière Suisse,  avec ses petites économies, ses soins et traitements de faveur, a su très tôt œuvrer pour la santé et la longévité des régimes dictatoriaux du Sud. Les juntes militaires d’Amérique latine, les despotismes familiaux d’Asie et le régime de l’Apartheid furent bénéficiaires des largesses des riches institutions financières helvétiques. En retour, les généraux et clans familiaux soucieux de protéger leurs biens les mettaient à l’abri dans les banques suisses. Tous les grands noms qui ont défrayé la chronique du siècle passé -Bébé Doc, Marcos, Mobutu- et bien d’autres moins en vue doivent une partie de célébrité internationale aux bons soins des institutions financières helvétiques.

Ainsi l’argent sale des divers crimes organisés mafieux ou étatiques permit d’assurer une paix sociale durable en Suisse et un consensus national favorable au développement d’un décorum de démocratie libérale et d’Etat de droit irréprochable.

Avant Jean Ziegler et sa grille de lecture de type marxiste, le secret de la Suisse avait aussi inspiré à Châteaubriand une réflexion encore actuelle : « Neutre dans les grandes révolutions des Etats qui les environnaient, les Suisses s’enrichissent des malheurs d’autrui et fondèrent une banque sur les calamités humaines ». Depuis cette époque, le champ d’influence philanthropique de la finance helvétique s’est élargi au monde.

En revenant dans l’univers suffocant de l’Hexagone, on retrouve dans son rayonnement le même souci philanthropique. Par ses aides financières et ses bonnes œuvres militaro-humanitaires, l’Etat de droit français a lui aussi ses petits protégés : les clans familiaux kleptocrates avec leur président élu à vie rassemblés dans son pré carré de Françafrique.

 

Etat de droit enseignant le meurtre de masse

Lire l’article complet de jean Marc SEREKIAN :

Desormais On Sait