Une fausse victime du Bataclan indemnisée, oui.

Un journaliste flingué par Israël, non. 

Il y aura bientôt 19 ans que le journaliste Jacques-Marie Bourget a été victime d’une tentative d’assassinat par un soldat israélien. A Ramallah un « sniper » qu’il l’aligne et lui colle une balle dans le poumon gauche à deux doigts du coeur. Inutile de décrire les séquelles et l’impossibilité de se retourner contre Israël, état au-dessus du droit. Aujourd’hui c’est le gouvernement français qui est son adversaire et refuse d’appliquer une décision du TGI de Paris qui le reconnait comme « victime ». Ainsi pour l’état Macron un journaliste en zone d’insécurité est un non-être humain. Même pas question d’appliquer la Convention de Genève.

Le 21 octobre 2000, alors grand-reporter à Paris-Match, Jacques-Marie Bourget tue le temps sur la grand place de Ramallah. Il vient de passer dix jours à Gaza dans une Palestine en pleine Intifada. Il a quitté cette immense prison à ciel ouvert pour aller prendre un avion direction Paris. En attendant il est monté faire un tour à Ramallah. Au milieu d’un groupe de jeunes qui attendent d’autres jours, qui peuvent être pires, assis sur le sol et adossé à un haut mur, le journaliste discute en regardant sa montre. Il se lève et l’apocalypse le traverse : la balle d’un tireur d’élite israélien s’en vient voyager à l’intérieur de son corps, en biais au-dessus du cœur.

Il est immédiatement secouru par les infirmiers du Croissant Rouge qui le déposent à l’hôpital central. Le cas est si inquiétant que les Israéliens sont alertés par l’Autorité palestinienne : « Il s’agit d’un journaliste français, le pronostic vital est engagé. Il serait préférable que vous le preniez en charge »… La réponse tombe, immédiate : « Pas question, débrouillez-vous ». Des chirurgiens mal équipés, mais surentraînés à force de sauver des blessés par centaines, se mettent alors au travail. Et accomplissent le miracle, le journaliste va mal mais n’est pas mort. Devant l’hôpital, répondant à un appel lancé à la radio, des jeunes font la queue pour donner le sang nécessaire aux multiples transfusions du blessé étranger.

Trente-six heures plus tard, afin de le rapatrier à Paris, un avion spécial l’attend à l’aéroport de Tel-Aviv. Pour réaliser ce transfert les médecins venus de France doivent se rendre à Ramallah. Puis brancher Jacques-Marie Bourget sur leurs appareils de réanimation avant de l’acheminer à l’aéroport. Mais les Israéliens interdisent cette opération pourtant de routine. Alerté, Jacques Chirac, alors président de la République, téléphone à Ehud Barak, le président français, utilise un langage peu diplomatique. Il obtient gain de cause et l’ambulance du Croissant Rouge est autorisée à se rendre à l’aéroport Ben Gourion. Où l’accès aux pistes lui est interdit. Nouvelles négociations, nouvel appel de l’Elysée et le blessé est enfin installé dans l’avion sanitaire. Après un long séjour en réanimation puis dans différents services et hôpitaux, et des opérations multiples, deux années après sa blessure le journaliste, handicapé à vie, est vaguement sur pieds.

Très vite son avocat a déposé une plainte pour « tentative d’assassinat ». Conformément à un accord bilatéral signé en 1956, la justice française a ensuite demandé la coopération judiciaire d’Israël. L’attente va durer trois ans. Et la réponse est terrifiante de mépris : « L’armée a fait une enquête sur le cas de Monsieur Bourget. Son résultat est secret et, quoiqu’il arrive, les documents ont été égarés. De toute façon le journaliste a été victime d’un tir palestinien ». Le rideau se tire.

Que s’est-il passé le 21 octobre 2000 vers 16 heures sur cette place de Ramallah ? Un tireur israélien posté à une fenêtre du « City Inn Hotel », équipé d’un fusil d’assaut américain M-16, a délibérément tiré sur notre confrère. Les faits sont établis, les témoins existent et ont été entendus par le juge. Une enquête vaine puisqu’après ce refus d’Israël de coopérer le magistrat instructeur parisien, dans l’impossibilité de poursuivre son travail est contraint de rendre un « non-lieu ».

Le journaliste se retourne alors vers la CIVI, la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions. Cette structure est chargée d’examiner le dossier des victimes de crimes ou de terrorisme. En 2013, après des mois d’enlisement, la CIVI répond en rendant un arrêt incroyable, historique ! Pour nous (magistrats de la CIVI), « apprécier si le comportement d’un soldat israélien présente le caractère matériel d’une infraction implique nécessairement de porter appréciation sur le comportement de l’Etat d’Israël… ». Dans la France de 2013, pays souverain et supposé libre, des juges osent écrire qu’on ne peut « porter une appréciation sur le comportement de l’Etat d’Israël  ». Le mérite de cet arrêt est dans sa naïve franchise, ou dans son cynisme. Un bon magistrat français n’a rien à dire, à penser, à écrire sur l’acte d’un tireur d’Israël.

En appel, le reporter va l’emporter. Il a bien été victime d’une « infraction ». Mais, le Fonds de Garantie, organisme qui prend le relai de la CIVI et qui, sous la gouverne de l’Etat français, est chargé des indemnisations finales porte l’affaire en Cassation. La rédaction de l’arrêt, imprécise au goût des casseurs, est annulée en novembre 2017. Jacques-Marie Bourget repart à l’assaut. Le 21 juin 2018 une nouvelle Cour d’Appel, toujours à Paris, rend un nouvel arrêt tout aussi favorable. C’est imprimé en noir sur blanc : tirer sur un civil est un délit ! Au passage, rappelons que ce jugement c’est, tout net, ce que proclament les Conventions de Genève de 1814 à 1977. Certains semblent l’ignorer, ou refusent de l’entendre, mais en toutes circonstances dans l’histoire des conflits, un journaliste reste un civil. Incroyable ! Non ? Profitable à l’ensemble de la profession, cet arrêt met enfin la France à l’heure, celle du droit international. Le gouvernement français, qui exerce donc sa tutelle sur Fonds de Garantie devrait être satisfait d’une décision qui ne fait que figer une évidence dans la loi.

Raté, en décembre 2018, pour la seconde fois les épigones de l’Etat français introduisent un second recours en cassation. C’est pourtant ce même Etat et ce même Fonds qui, après les terribles massacres de novembre 2015, ont accordé 30 000 euros à une femme « traumatisée par les scènes de tuerie du Bataclan ». Théâtre où elle n’a pourtant jamais mis les pieds ! Une comparaison qui fait raison, et nous démontre que le chemin de l’après crime est moins escarpé pour la victime d’un tir « islamiste », que pour celle d’un tir israélien…

Morale… Face à lui, dix-neuf ans après avoir porté plainte, Jacques-Marie Bourget affronte toujours l’acharnement des responsables politiques de son pays. Ils ont pris le parti des assassins. Dommage. Reconnaître « qu’un reporter est un civil » aurait fait plaisir à Hemingway, Steinbeck, Dos Passos, Nisan, Malraux. Et même au Père Ubu.

 

legrandsoir.info