Garde à vue de militants écologistes non-violents

Vive l’ordre républicain !

Ah comme il est facile d’amalgamer les gilets jaunes et les casseurs dits «professionnels» ! Comme il est facile d’opposer le tout aux manifestants «pacifiques et dignes» en Algérie ou aux militants «dignes et pacifiques» de la cause climatique ! Sauf que l’arsenal répressif déployé contre les premiers vient d’être dégainé contre les derniers, et le «système», en Algérie, n’a pas cédé aux traits d’humour.

Des boutiques de luxe saccagées, le Fouquet’s en flammes, des Porsche vandalisées : tout de suite les hauts cris ! J’ai dû mal lire les frontons de nos palais républicains : Liberté, égalité, Bulgari. On a les fleurons qu’on peut, en l’occurrence des entreprises exemplaires dont il faut apparemment s’enorgueillir qu’elles excellent dans l’explosion des marges, l’exploitation des petites mains et l’évasion fiscale. On veut « casser la démocratie », s’emporte l’inénarrable Benjamin Griveaux, génial dans son retournement orwellien du vocabulaire. Nous entrons dans un printemps de « guerre civile » prophétise un Pascal Bruckner qui, en membre zélé du Thiers-État, en appelle à l’intensification de la guerre contre les civils. Bref, la République est en danger ! La République des escrocs et des m’as-tu-vu, oui, des fermiers généraux ressuscités en inspecteurs des finances sous amphétamines. Cette République-là a du souci à se faire, en effet. Elle a passé les bornes depuis quelques lustres déjà. Son insatiable rapacité trafique des derniers biens communs, son impunité olympienne mutile des citoyens désarmés, sa trouille hyperbolique mercenarise la police et l’armée pour le maintien de son ordre honni.

Voici, dans les médias suggestionnés, la France réduite aux Champs-Élysées, à l’avenue bien nette et rectiligne des défilés au pas de l’oie et des débauches consuméristes, seules tolérées, comme un retour du refoulé autocentrique du microcosme parisien, trop heureux de renvoyer le populo à sa sauvagerie périphérique et à ses gâtines intellectuelles. Emmanuel Macron appartiendrait-il à l’Internationale des tour-opérateurs ?

Voici encore un mouvement social d’une ampleur et d’une endurance inédites réduit aux menées d’une poignée de factieux, de bandes d’incendiaires en qui l’esprit versaillais contemporain fantasme une résurgence des pétroleuses. Mais si l’on doit juger de la vigueur d’une insurrection des consciences, que dis-je, d’une « révolution », au nombre d’escadrons qu’elle aligne face aux milices du « vieux monde », alors quelle espèce de légitimité doit-on conférer au pouvoir macronien, le plus mal élu de toute la Ve République ? Même en manifestant par millions, les Algériennes et Algériens ne sont pas la majorité. Va-t-on le leur reprocher comme preuve irréfragable qu’ils tyrannisent le reste du pays, dans un jeu de miroir avec la caste qui tyrannise l’ensemble ? Quand le « système » sortira sa batte pour chasser tous ces moustiques et que ceux-ci, lassés de bourdonner, piqueront, s’en trouvera-t-il soudain, parmi les soutiens emperlousés de cette jeune « révolution », pour plaindre la batte ?

Les mêmes qui, en France, appuient le renforcement de l’arsenal répressif contre des manifestants opiniâtres qui exercent leur droit constitutionnel et n’ont même pas renversé une deuxième fois la colonne Vendôme pour faire la nique à notre président Mac-Macron, les mêmes qui applaudissent au ravalement en vulgaires supplétifs de la BAC des soldats de l’opération Sentinelle, les mêmes qui ne s’offusquent pas de l’empoisonnement massif et systématique de notre air, depuis quelques mois, par des gaz toxiques, pourvu que cela calme les ardeurs des black blocs, les mêmes ne mouftent pas, tout bons républicains qu’ils se proclament, quand cela ne concerne plus les septembriseurs fascistoïdes en gilet jaune mais de gentils militants écologistes non-violents, ceux qu’on jugeait fréquentables la veille encore.

C’est ainsi que, ce jeudi 21 mars, tandis que le feuilleton Benalla se poursuit comiquement, malgré la batterie de réfectoire qui branle aux basques du bonhomme, 10 activistes d’Action non-violente COP21 et le Youtubeur de Partager c’est sympa, Vincent Verzat, ont été entendus par les milices de l’ordre et, pour certains, placés en garde à vue et perquisitionnés. Leur crime, crime de lèse-majesté dans un régime de paille dont l’essence est dans le simulacre : avoir « réquisitionné » des portraits présidentiels pour protester contre l’inaction de notre Hercule de foire et « champion de la Terre ». Panique dans les cintres ! L’omniprésident est dans la nature (ce qu’on attend précisément de lui). Que fait la direction de la gendarmerie nationale ? Elle mobilise sur cette affaire le BLAT, rien de moins que le Bureau de la lutte antiterroriste ! Ils sont redoutables d’efficacité, nos pandores, lorsqu’ils y mettent du leur, avec le picotin de biftons sous le mufle !

Macron n’a même pas attendu que le mouvement des gilets jaunes soit écrasé pour lorgner vers l’échelon inférieur sur l’échelle de la résistance à la dictature néolibérale. Cela seul devrait nous jeter toutes et tous dans la rue, massivement. Benjamin Franklin avait pourtant prévenu : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » Erdoğan et Salvini ont beau jeu de vilipender l’usage disproportionné de la force dans la patrie des droits de l’homme pour venir à bout d’un mouvement social. Ils savent que cela leur délie les mains. Double effet pas cool de l’acceptation d’un rognage des libertés fondamentales. On est à l’os.

Pour approfondir, lire l’article de Christophe Gueugneau.

Par Bertrand ROUZIES