Le grand bond en arrière

Un article de Nicolas Sersiron sur le climat

Des habitants de la ZAD de Notre Dame des Landes qui défendaient une zone naturelle contre un grand bétonnage, une artificialisation de sols agricoles quasiment vierges de pesticides et d’engrais chimiques, disaient qu’ils ne défendaient pas la nature mais qu’ils étaient la nature qui se défend. Face aux désastres commencés, et surtout à venir, du réchauffement climatique, nous devons tous devenir le climat qui se défend. Sans le climat tempéré de ces derniers millénaires nous ne serions pas là, s’il disparaît nous ne serons plus là.

Constat :

Notre mode de vie, celui des 20 % les plus riches, sera-t-il compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique en remplaçant le pétrole par des énergies renouvelables ? La réponse est négative. Exemple. Il faut d’immenses quantités de pétrole, pour construire une grande éolienne : des camions, des grues, des excavatrices, de 1 000 à 2 000 t d’acier et de béton plus des résines composites, des fibres de verre et de carbone et pour chaque éolienne, 3 ha de sol. Cela alors que leur durée de vie n’est que de 20-25 ans. Construire un voire deux milliards de voitures et de camions électriques, pour remplacer les voitures thermiques, demanderait là aussi des quantités gigantesques de pétrole plus d’autres ressources finies comme le lithium, le cobalt, les métaux issus des terres rares, sans oublier une énorme production supplémentaire d’électricité. Ces ressources n’existent pas sauf à croire que « sainte technologie » fera un miracle ! La seule véritable possibilité, pour empêcher le climat de continuer à se dégrader, est de restreindre très fortement notre boulimie de matériel et de confort et donc notre consommation d’énergie fossile et renouvelable.

Le réchauffement climatique progresse au même rythme que les quantités de GES émis, alors que 80 % de notre énergie est d’origine fossile. 2018 fût l’année record d’extraction de pétrole : 100 millions de barils/jour. Entre 1950 et 2018, la température a déjà augmentée de 1,2° en moyenne, beaucoup plus aux pôles. Or ce sont les gaz émis ces trente dernières années qui en sont la cause principale. Imaginons ce que sera le climat en 2050, dans 30 ans, alors que nous dépassons chaque année les quantités de GES émises l’année précédente. L’indicateur en est la concentration de CO2 dans l’atmosphère, aujourd’hui plus de 410 ppm, particules par million…. Alors que, depuis 12 000 ans, la concentration de CO2 n’avait pas dépassé 280 ppm…

L’extractivisme est la base de notre confort et du système des profits. Les ressources naturelles sont des biens communs, elles appartiennent à tous. Pourtant nous participons à cette dépossession par privatisation qui est la cause aussi bien du réchauffement que des pollutions et des catastrophes environnementales. Quand la société Total nous vend du pétrole, elle nous fait payer ses coûts d’extraction, de raffinage, de distribution et en plus de très importants dividendes versés à ses actionnaires. Par contre elle ne paie pas la ressource elle-même ou si peu, ni le réchauffement issu de la combustion, ni les impôts issus de ses bénéfices qu’elle cache dans les paradis fiscaux, ni pour le manque que vivront les générations futures qui n’auront plus cette fantastique énergie à leur disposition.

Le travail gratuit des esclaves africains et le commerce triangulaire des siècles passés, marquent la naissance de l’extractivisme et aussi celui d’une nouvelle drogue, l’argent facile… pour quelques-uns. Durant plus de trois siècles une gigantesque transfusion du continent Amérique vers le continent Europe a été fabriquée par les colons et les armateurs avec le sang des esclaves et des amérindiens. Quand l’esclavage sera aboli au 18ème siècle et que les pays d’Amérique du sud se libéreront de leurs chaînes coloniales, prêts et dettes illégitimes, imposés par les banques européennes, permettront de maintenir l’asservissement des peuples de ce continent. Le transfert des ressources naturelles du Sud vers le Nord s’intensifiera.

1800 marque le début de la civilisation thermo-industrielle. Le charbon sera le nouvel esclave énergétique qui augmentera considérablement les capacités extractives et productives. La machine à vapeur va permettre au continent Europe d’augmenter considérablement la transfusion intercontinentale de ressources et de travail volés, en colonisant quasiment l’ensemble des continents. Avec la fin de l’esclavage commence le travail forcé de centaines de millions d’humains « dé-chaînés » en Afrique et en Asie, en Amérique du nord l’extermination des amérindiens s’intensifie.

La seconde guerre mondiale a produit un grand tournant économique et une révolution culturelle nommé société de consommation ou civilisation du gaspillage. L’Amérique du Nord colonisé par les blancs européens, devient la locomotive civilisationnelle du monde. De gré ou de force !

Les décolonisations ne seront qu’apparentes, formelles, comme en Amérique du sud un siècle auparavant. L’asservissement par la dette illégitime avec l’aide de la Banque mondiale, du FMI, des banques privées et des États enrichis par la colonisation, remplacera les armées d’occupation en Afrique, en Inde, en Indonésie, etc. La grande accélération de la civilisation thermo-industrielle qui a lieu à cette époque est le résultat de l’utilisation massive du pétrole et de l’ensemble des ressources naturelles. Elle fera la fortune des industriels et des banques. Depuis les années 70 « … la population a été multipliée par deux et le produit intérieur mondial par quatre. Pendant la même période, l’extraction mondiale annuelle de matériaux est passée de 27 milliards de tonnes à 92 milliards de tonnes en 2017. » Impossible de continuer à ce rythme.

Selon Jancovici, chacun de nous dispose de 400 assistants ou esclaves énergétiques fictifs. Cela veut dire que nous disposons de l’énergie très majoritairement fossile correspondant à l’énergie déployé par 400 personnes soit 0,25 kWh x 400 = 100 kWh chaque jour. Un litre de pétrole contient 10 kWh d’énergie. Un plein de pétrole est équivalent au salaire d’une année de travail, d’un homme ou d’une femme, soit au minimum 15 000 euros. Le pétrole n’est pas cher !!! Mais pas cher du tout et cela ne durera pas.

Matthieu Auzanneau, spécialiste du pétrole et responsable du blog Oilman sur le journal Le Monde, pense avec l’AIE, que le pic de tous les pétroles, conventionnels et non conventionnels se produira vers 2025. Le prix des énergies risquent de faire un bond irrésistible et de transformer fondamentalement notre civilisation, comme il l’avait fait il y a moins d’un siècle, mais en sens inverse, celui de la décroissance involontaire et forcée. Cela d’autant plus que les pétroles non conventionnels, schistes, sables bitumineux, sous les eaux très profondes, ne sont pas rentables, même à 100 dollars le baril. Les banques sont prises dans des prêts sans fin à cette industrie destructrice. La première qui fera faillite produira un effet domino. Ce sera la fin du pétrole pas cher.

Qui sont les grands réchauffeurs et comment ?

Le plus grand émetteur est le système agroalimentaire industrialisé. Du champ à l’assiette en passant par le gaspillage, selon l’association GRAIN, c’est 50 % des GES. Il faut y inclure engrais, pesticides, machinisme, perte considérable de MOS contenant de grandes quantités de CO2, transformation industrielle des aliments, chaîne du froid, emballage, transport continental et maritime, grande distribution, importation de viandes, soja, huile de palme, produits exotiques et bien sur la déforestation massive pour produire ces aliments et l’immense gaspillage.

Aujourd’hui, entre 70 et 80 % des terres sont dédiées à la viande et au lait : grains, fourrage, pâturage. En France la grande majorité des champs de grandes cultures sont cultivés sous forme de colza, blé, orge, pois, une très faible part va directement à l’alimentation humaine comme partout ou l’agriculture productiviste a remplacé les petits paysans. Eux qui encore aujourd’hui, en Asie, Afrique, avec 25 % des terres nourrissent encore 75 % des humains.

Viennent ensuite les bâtiments passoires à thermies, chauffage et/ou climatisation : habitats, bureaux, usines et autres.

Le libre-échange intercontinental imposé par la grande finance a une part très importante dans le réchauffement avec les transports de marchandises par porte-conteneurs, camions, avions qui ne paient aucune taxe sur les carburants ni sur le CO2 émis. Il permet d’augmenter considérablement les productions industrielles en faisant fabriquer à l’autre bout de la planète des biens matériels et agricoles par des salariés payés 30 à 40 dollars par mois comme dans les usines d’Éthiopie ou du Bangladesh. Biens qui seront transports et vendus dans des pays ou les salaires sont entre cent et mille fois plus élevés.

L’hyper-mobilité individuelle dans les pays du Nord est aussi une grande responsable des émissions de GES avec l’utilisation d’engins de 1 500 kg (plastique, acier, caoutchouc) pour transporter 70 kg de viande humaine, d’avions pour nouer des affaires ou encore bronzer sous les cocotiers.

La mode et l’habillement avec la fast-fashion ou le renouvellement rapide, est un des grands pôles de réchauffement et de pollution. Que ce soit avec le coton qui utilise près de 40 % de l’eau de l’agriculture plus engrais et pesticides, le lycra à base de pétrole ou la laine des moutons. Un jeans, coton, lycra etc, parcourt 65 000 km (ensemble de la fabrication et distribution) et utilise 7 500 litres d’eau.

Enfin, parmi les principaux pôles de réchauffement, l’obsolescence programmée des objets, tels que téléphones, high-tech, engins ménagers, automobiles, a une part importante dans l’extractivisme. Donc dans le réchauffement, en entraînant un gaspillage des ressources naturelles transformées, donc le renouvellement inutile de ces biens et la dégradation de notre écosystème globale.

Causes moins visibles

Au fondement de la transformation sociétale de la deuxième partie du 20ème siècle, est le confort matériel extravagant acquis par 20 % des humains grâce au pétrole au détriment des 80 %. Or c’est cet hyper confort, comparé aux milliers de générations précédentes, qui a provoqué le réchauffement et les désastres environnementaux. Le grand remplacement et la quasi-disparition des valeurs ancestrales de sobriété, d’égalité sociale, de respect et d’harmonie avec la nature datent de cette époque. Le remplacement des paysans par des exploitants dans les pays riches en est un repère aussi visible que sombre.

Solidarité, entraide, économie de moyens, recyclage et autonomie alimentaire étaient les valeurs de nos ancêtres. Il existe de nombreux exemples de sociétés humaines ayant vécu pendant des millénaires, dans des systèmes égalitaires, sans rapport de domination, et au sein desquelles les ressources étaient partagées. L’accumulation de richesse était dévalorisée socialement. La compétition tant recherché par nos décideurs, avec pour résultante les inégalités, n’est pas la règle des sociétés humaines. Elle l’est devenue avec l’imposition autoritaire de la privatisation des communs et de la marchandisation par quelques-uns, de toujours plus de domaines de la vie. Dans de nombreuses tribus celui qui ne respectait pas l’égalité était aussitôt rappelé à l’ordre. Ces civilisations ont laissé peu de traces dans l’histoire. Les ethno-archéologues nous les font découvrir petit à petit. Celles que l’ « Histoire » officielle nous apprend à l’école et nous donne à admirer aujourd’hui ont laissé des traces visibles : temples, pyramides et autres immenses palais. A leur tête des rois, pharaons, empereurs, imposaient des régimes tyranniques par la violence. Cette « Histoire » a oublié les peuples entiers qui ont été réduits en esclavages pour construire ces magnificences, les invasions guerrières mortifères, les inégalités colossales. Dans ces civilisations, ne pas pouvoir rembourser ses dettes aux usuriers vous transformait en esclave à vie. Dans la Grèce antique, berceau de la démocratie, seul 3 % de la population votait, etc.

Notre monde moderne s’est bâti sur une inversion des valeurs de simplicité et d’harmonie avec la nature qui avaient été dominantes pendant des millénaires. Le profit, la cupidité, l’hubris ou la soif de pouvoir, sont devenus désirables et respectables. Le gaspillage généralisé, la perte d’autonomie alimentaire avec la disparition des paysans -conséquence de l’urbanisation-, l’hyper-mobilité, l’insouciance de l’impact climatique et social de nos consommations sont devenus des normes au mépris des 80 % de l’humanité qui n’y ont pas accès et aussi des générations futures.

Le résultat visible est l’augmentation des inégalités aussi bien entre les pays qu’à l’intérieur des pays. La consommation ostentatoire est la nouvelle norme, les maladies psychiques, nerveuses et les affections de longues durées augmentent au point que l’espérance de vie diminue aux États-Unis, un des pays les plus inégalitaires et stagnent ailleurs. Partout l’EVSI (espérance de vie sans incapacité) diminue. La majorité d’entre nous – sauf quelques-uns dont maintenant les Gilets Jaunes qui ont acquis une maturité très rapidement – croient ou font semblant de croire les fables que les médias nous servent à longueur de journée : la croissance du PIB va résoudre tous les problèmes : pauvreté, inégalités, emploi, etc. En réalité elle ne fait qu’aggraver les questions climatiques, environnementales et sociales. Il y a aujourd’hui découplage entre bien-être et croissance économique. Les niveaux de consommation dépassent largement ce qui suffirait à maintenir notre niveau de bien-être. L’espérance de vie à Cuba est égale à la nôtre, avec un niveau de richesse 10 fois inférieur. D’autres pays ont la même espérance de vie en émettant 3 fois moins de CO2. C’est donc possible !!!

Conséquences

Pour lire l’article complet :

https://yonnelautre.fr/spip.php?article15560