Gil & John

Voilà un article sur le mouvement des Gilets Jaunes.

A partir d’un texte d’une GJ de Montpellier. Plutôt sympa. Mais dont il faut bien critiquer les insuffisances. Mon but est de faire remonter les problèmes qui se sont posés, continuent à l’être, et pour lesquels elle a parfois des réponses assez fantasmatiques.

http://faut-le-dire.fr/index.php/2019/02/05/gilets-jaunes/

Vous pouvez faire circuler le texte aussi largement que possible. Je l’ai écrit pour qu’il soit lu, bien entendu. G.M.

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Extraits

Gilets Jaunes-Macron… réfléchissons, discutons, agissons et nous verrons !

Étude critique d’un texte intitulé Gilets Jaunes 1-Macron 0 écrit par une Gilet Jaune de Montpellier

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Nous entendons ici dire notre accord global mais aussi nos divergences par rapport à un texte intéressant intitulé Gilets Jaunes 1 – Macron 0 écrit par une ‘Gilet Jaune’ de Montpellier. Il y a eu beaucoup d’écrit SUR les Gilets Jaunes ; cependant, peu de textes émanant des Gilets Jaunes eux-mêmes essaient comme celui-ci d’avoir une vue globale du mouvement, il faut donc en premier lieu reconnaître la valeur de celui-ci.

Ceci étant,… des précisions sur notre article qui suit.

GJ = Gilets Jaunes (non pas le vêtement mais ceux qui le portent avec sa signification politique)

l’auteur = l’auteur du texte de la GJ de Montpellier que l’on peut lire sur : http://bit.ly/2p6EnEp

Les citations du texte initial en question sont « en italique et entre guillemets. » Les autres citations ne sont pas en italique.

La critique qui suit peut évidemment se lire sans avoir lu le texte de départ ; mais il est conseillé de lire les deux.

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Le texte Gilets Jaunes 1 – Macron 0 dit très bien que ce mouvement des GJ a été un éveil des couches populaires aux problèmes de la Cité (c’est à dire aux ‘problèmes politiques’). Une prise de conscience inattendue, soudaine – et tenace puisqu’elle a duré plus de six mois (bien plus que mai-juin 68 et que n’importe quel autre mouvement d’ampleur ). Le mouvement a ébranlé le pouvoir. C’est le moins qu’on puisse dire. Il suffit de penser à l’attitude de Macron en décembre à la télé, les mains posées à plat sur la table, alors qu’il ne savait – ni lui ni aucun autre politicien – comment faire cesser cette colère qui semblait ne jamais vouloir se calmer malgré les nombreux blessés déjà occasionnés parmi les manifestants GJ. Le retentissement fut international. On a vu des gilets jaunes sortir des coffres de voiture et des gens manifester avec ceux-ci sur le dos dans les rues de Belgique, d’Allemagne (pour siffler Macron et Merkel), etc jusqu’à l’Irak et au bout du monde.

Quand le texte nous parle de cette « première explosion » « mère de toutes les révoltes à venir » nous mettons en avant une première divergence de méthode sur l’analyse. Est-il obligatoire qu’il y ait une suite au mouvement des GJ, comme il est dit ? Celle-ci reste possible, bien sûr, mais le ton prophétique sur l’avenir dont est gros le présent ne nous semble pas de bon augure. Il y a tout au long de ce texte une espèce de messianisme assez contestable. Ça ne se fera pas …parce que c’est écrit ! Parce que la théorie, la foi, ou autre chose nous dit que ça se fera. Ça se fera surtout si nous le voulons, si nous le pouvons, et si nous sommes suffisamment nombreux et déterminés à le vouloir. L’Histoire n’est pas un long fleuve tranquille …ni surtout prévisible.(1)

Cette idée que le mouvement est inévitablement amené à revenir n’est pas qu’un indice d’optimisme exagéré : « cette première étape d’un mouvement qui n’est pas terminé », nous sommes en octobre 2019 et je ne vois pas – je ne suis pas le seul dans ce cas – un mouvement qui n’est pas terminé. Au contraire, l’irruption flamboyante et spontanée d’une partie des classes populaires dans l’Histoire, sa prise de conscience de sa position de subordination et, surtout, le passage à l’acte, tout ça n’est plus à l’ordre du jour ! Aujourd’hui, il est question d’autre chose : organiser, trouver des objectifs nouveaux, etc. De nombreux GJ de la première heure nous demandent de revenir sur les ronds points, rejouer le 17 novembre. Cela a même été tenté. Et, bien entendu, le nombre, la détermination ne sont plus partagés à l’échelle du biterrois que par quelques dizaines de personnes avec lesquels il n’est plus possible de refaire ce qui a été fait. Rappelons qu’au mois de novembre 2018 nous étions aux mêmes endroits plusieurs centaines. Qu’on nous comprenne bien, l’Histoire ne repasse pas les plats. Ce qui ‘reviendra’, si quelque chose ‘revient’, ne sera certainement pas ce qui a déjà été.

(1) André Prudhommeaux, un anarchiste français méconnu, soulignait que « l’affirmation d’une liberté en dehors de tout déterminisme, et la physiocratie, c’est à dire la reconnaissance du ‘pouvoir des choses’ et de limites à notre action, constituent deux pôles nécessaires de la pensée émancipatrice qui doivent constamment être associés et mis en tension. » Rester dans le déterminisme qui nous incite à croire que, de toute façon, le mouvement de l’Histoire est avec nous et que nous allons vers la réalisation du Bien, de l’égalité, de la société sans classe a été et reste néfaste pour les mouvements d’émancipation. Il conduit à penser qu’il y a un sens de l’Histoire indépendamment de la volonté des Hommes.

La gauche, les syndicats et l’unité

Certains GJ ont « ouvert des perspectives d’unité avec les syndicalistes, les marcheurs du climat, jeunes et moins jeunes. » Certainement, ce qui prouve que les choses ont évolué par rapport au tout début ! Nul ne peut le nier : les GJ ne se sont pas arrêtés aux premières revendications sur le prix des carburants. Rapidement, il a fallu élargir notre horizon. Ce changement a reçu un bon accueil parfois : comme le RIC, qui faisait écho à l’horizontalité du mouvement. Par contre, certaines revendications tardives, loin de remporter l’unanimité, ont effrayé beaucoup de gens. Si l’attention à l’écologie n’a pas éveillé de réaction de rejet notable, elle n’en est pas moins restée derrière les revendications premières. Sous le slogan « on ne choisit pas entre fin de mois et fin du monde », il y a plus une défense contre les accusations du gouvernement et des classes dominantes qui montraient du doigt ceux qui refusaient de …porter (presque) tout le poids de la dite ‘transition énergétique’. Une défense plutôt qu’une revendication positive d’un combat écolo. Aujourd’hui, les choses sont plus engagées, certains groupes de GJ font de la récup, des jardins partagés, organisent des circuits courts de distribution de fruits et légumes. Le questionnement est réel et prolonge – et surtout donne des réponses à… – un questionnement général dans la société toute entière.

À partir du mois de mai, les troupes s’amenuisant, le poids de la gauche devient de plus en plus important. Parfois majeur voire exclusif dans certaines villes. L’auteur a devant lui ce qui s’est passé à Montpellier mais c’est à l’opposé du ressenti d’un GJ de Bédarieux (village de 6000 habitants dans l’Hérault) qui, dans une réunion récente, a expliqué qu’après que des syndicalistes de la CGT sont venus à une réunion de GJ pour parler avec eux et se mêler à eux, la majorité de ceux-ci a déserté le combat. Il y avait incompatibilité, semble-t-il.

A Béziers, on a vu que la (fameuse) convergence était possible avec la base syndicale et pas du tout avec les permanents qui, pour les plus honnêtes, défendent leurs convictions et, pour ceux qui le sont moins, simplement leur …« gamelle », comme dit Juan Branco (2). Après l’AG que nous, les GJ de Béziers, avons faite avec les syndicalistes de la CGT (cheminots notamment) et des enseignants syndiqués de base, et l’incursion dans la réunion de section LREM de Béziers qui a suivi à laquelle ont participé des syndicalistes, on n’en a plus vus beaucoup avec les GJ.

« Dans cette course à la veulerie, les politiciens de la gauche dite « de gouvernement » ont particulièrement brillé. Encombrés par leur étiquette « gauche », ils ont redoublé d’efforts pour montrer qu’ils sont capables, sans état d’âme, de casser le code du travail, de privatiser, de nous étrangler lentement, comme l’a fait le gouvernement Hollande. » On entre dans le vif du sujet : la gauche a été trahie ! Leit motiv habituel. L’ennui, c’est que cette critique ‘interne’ de la gauche – …qui n’est plus (aujourd’hui) ce qu’elle était (hier) ! – implique le renoncement à aller jusqu’à une critique réelle et radicale des actes de cette gauche puisqu’elle invite à revenir à l’état antérieur, plus vrai, plus sain de sorte que la vérité enfin retrouvée de la gauche serait restituée. Brandir une critique qui déclare que l’action politique (vraiment) de gauche, finalement, c’est bien, est largement insuffisant. C’est ce que nous pensons et nous y reviendrons.

(2)https://www.lemediatv.fr/tout-peut-arriver/juan-branco-sur-macron-les-gilets-jaunes-

D’où viennent les GJ ?

«  C’est ce long processus de rupture, d’accumulation d’insatisfactions, de dégoût, de révolte, de colère : voilà d’où nous venons. », dit le texte et nous sommes d’accord avec ce constat. Il y a bien une digue qui a sauté. C’est bien cette ‘accumulation’ qui a débouché sur les GJ. Cependant ça ne s’est pas manifesté sur des revendications de gauche mais plutôt sur un refus des taxes sur les carburants. Certains commentateurs ont bien sûr mis en avant qu’il s’agissait d’un type de revendications ordinairement portées par la ‘droite’. Ce qui a pu provoquer des réactions de sympathie de la droite (le ridicule achevé de Wauquiez avec le gilet jaune en est une illustration !) et d’autres assez ou très hostiles des gens de gauche. On se souvient de la déclaration de Martinez, par exemple. À part Mélenchon qui a opté pour un ralliement conditionnel la gauche s’est tenu à l’écart, dubitative. Au départ du mouvement, bien sûr. C’est dire le peu de cas fait devant la réalité dans laquelle vivent les gens. Le peuple est là en mouvement et vu que celui-ci ne répond pas aux attentes idéologiques de la gauche alors on lui accorde un frileux retrait voire un certain dédain. Moi-même, j’ai été surpris par cette irruption inattendue. Il faut dire que, n’étant pas un adepte de fessebouc, je n’avais pas eu d’échos précis de cette colère qui couvait, se manifestait, s’entretenait et prenait forme sur la toile. J’ai pu constater l’état de la mobilisation le samedi 17 novembre 2018 sur le rond point de Béziers Ouest.

Nous partageons le constat que « ce fut un melting-pot, un mélange du large éventail que compte notre paysage politique, surtout depuis quelques années, avec la fin du traditionnel clivage bipartite. » Là où nous divergeons, c’est dans celui-ci : « plus de la moitié se qualifiait de « gauche ». » Les décomptes de ce type dépendent de la composition sociologique, comme l’ont dit certains analystes, il y a les GJ des ronds points et ceux des centre villes et si ces derniers sont sans doute de gauche, ceux des ronds points qui sont largement plus nombreux ne l’étaient certainement pas, beaucoup plus abstentionnistes voire FN (au moment de la magnificence du mouvement bien entendu, aujourd’hui il en est tout autrement, les gens de gauche sont majoritaires à rester dans le combat qui prend la forme d’une lutte de gauche avec pétitions, revendications, analyses politiques, AG, etc). Ce n’est pas pencher vers le FN que de dire ce qui est (ou fut) !

Pareil pour l’âge moyen, beaucoup ont remarqué le nombre très important de retraités à Béziers. Qu’en est-il nationalement ? Y a-t-il des variations importantes entre les divers rond-points, les manifestations ? Nous ne saurions le dire…

Autre aspect des participants sur laquelle on peut donner des précisions sans pouvoir généraliser : « Beaucoup avaient déjà participé à des manifestations, environ les trois quarts. » Là encore, ce n’est pas ce qu’on voit à Béziers même aujourd’hui. Sondage a été fait, cet été, dans notre AG, une bonne moitié n’avait jamais été en manif avant les GJ !

On reprochera donc à l’auteur d’accorder une trop grande importance aux urbains qu’elle a sous les yeux et à l’idéologie de gauche qui y prédomine. Cela déforme assez sensiblement la réalité (…pour se conformer à la ‘théorie’ ?). Nous avons, par contre, été ravi de lire : « dans les tracts avec écriture inclusive qui gênent la lecture et n’apportent rien à part une bonne conscience. » Un des moments du texte où la bonne conscience de gauche que l’auteur affiche si souvent s’efface au profit de l’authenticité ! Il est à noter que dans beaucoup de milieux de gauche l’écriture dite ‘inclusive’ est incontournable. J’ajouterais même : tout ce qui se réclame d’un quelconque progressisme en use et incite à en user. Y compris et surtout dans la parole officielle. Oserions-nous dire que cette prise de distance par rapport à ce phénomène dérisoire nous fait du bien… ? On respire.

L’auteur évoque une anecdote évocatrice : un GJ de son groupe clamait : « y en a trop marre d’avoir trop rien, on veut trop tout ! » C’était bien ça, la revendication, pour nous aussi – revendication qui n’en est, bien sûr, pas vraiment une ! Les gens ont compris qu’il y avait un rapport de force en leur faveur et se sont exprimés d’une façon qui leur est propre et qui a dérouté. « La formidable créativité qui s’est déployée sur ces fameux gilets » comme dans tous les mouvements de révolte authentiques où l’on retrouve la solidarité et la créativité qu’on avait perdues dans le monde d’avant la révolte. On disait la même chose après mai 68…