Réforme des retraites

Le compte n’y est toujours pas

Communiqué de presse de la confédération paysanne

Le Premier Ministre Edouard Philippe a dévoilé mercredi 11 décembre les contours de la réforme des retraites. Ces annonces n’apportent pas de réponse à nos revendications pour une revalorisation immédiate des pensions les plus basses et pour un futur système de retraite solidaire, équitable et universel.

 

Les pensions agricoles actuelles sont indignes : 930€ pour les hommes et 670€ pour les femmes, et encore pire en outre-mer avec 350€ en moyenne. La moitié des paysan-nes d’aujourd’hui cessera son activité dans les 10 ans et viendra grossir les rangs des retraité-e-s agricoles aux pensions dérisoires. Il est urgent d’améliorer leur sort !

 

Pour être solidaire et équitable, le futur système de retraite doit corriger les inégalités de la vie active et garantir l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi nous demandons une retraite plancher quel que soit le parcours professionnel et un plafonnement des plus grosses pensions. Pour préserver notre protection sociale, il faut mettre un terme à l’évasion sociale et fiscale qui affaiblit son financement.

 

Aujourd’hui le compte n’y est pas. C’est pourquoi la Confédération paysanne appelle à poursuivre la mobilisation contre la réforme des retraites, au côté des travailleurs et travailleuses qui luttent pour plus d’égalité.

Contacts :

     Nicolas Girod, porte-parole national : 06 07 55 29 09         

–     Véronique Marchesseau, secrétaire générale : 06 98 53 76 46

–     Aurélie Bouton, animatrice : 01 43 62 10 32

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Pourquoi la retraite à points du gouvernement est bien une réforme néolibérale

L’attachement du gouvernement au changement structurel du système de retraites n’est pas surprenant, car cette réforme affaiblit le monde du travail. Elle permet aussi de réduire les transferts sociaux et d’envisager de futures baisses d’impôts. C’est une réforme profondément ancrée dans la pensée néolibérale.

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La réforme systémique des retraites est cruciale pour ce gouvernement. L’exécutif s’accroche à cette « retraite à points » malgré l’évidence au mieux d’une méfiance, à tout le moins d’un rejet de ce système par la population. Mercredi 11 décembre au soir, sur TF1, le premier ministre Édouard Philippe assurait encore de sa « détermination » à aller jusqu’au bout de cette réforme. Se pose alors une question centrale : pourquoi ? Pour y répondre, plusieurs éléments de langage du gouvernement sont avancés, mais tous révèlent la vraie nature de cette réforme : l’accélération de la transformation néolibérale du pays.

Une réforme juste ?

Le premier, et sans doute le moins sérieux, est celui de « l’égalité » ou de sa variante, la « justice ». L’universalité du nouveau régime mettrait tous les Français face aux mêmes droits et, a même osé Édouard Philippe dans son discours devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), achèverait l’ambition du Conseil national de la Résistance (CNR). C’est un des arguments les plus utilisés, sans doute parce que c’est le plus simpliste : mettre chacun dans la même case correspondrait à l’égalité. Cela permettrait d’en finir avec des « privilèges » qu’Édouard Philippe affirme « ne plus pouvoir justifier ».

L’argument ne résiste néanmoins pas longtemps à l’analyse. D’abord parce qu’il est bien étrange d’entendre cette majorité se soucier d’une égalité de façade, alors qu’elle a assumé et revendiqué une politique fiscale qui a, en 2018, creusé les inégalités comme rarement depuis trois décennies. Il est étrange, au reste, de vouloir corriger cette politique par la réforme d’un système de pensions qui est un des plus redistributifs d’Europe et qui permet de réduire le taux de pauvreté des plus âgés.

On pourrait également souligner qu’à peine né, le nouveau régime est déjà criblé d’exceptions, notamment pour les fonctions « régaliennes » de l’État, celles qui sont traditionnellement ménagées par le néolibéralisme. Barricadé depuis un an derrière des forces de l’ordre qui lui permettent d’oublier son impopularité, le gouvernement s’est empressé d’accorder aux policiers une nouvelle exception à l’universalité du nouveau régime. Dès lors, on comprend quelle sera la réalité de celui-ci.

Ce ne sera pas un régime universel, mais, comme le régime actuel, un régime troué d’exceptions. À la différence que, cette fois, ce ne sont pas les luttes sociales ou les rapports de force internes aux entreprises qui décideront de celles-ci, mais les priorités gouvernementales. Or, chacun sait ce que sont les priorités de l’État aujourd’hui : c’est une politique de l’offre et c’est revendiqué par le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire. Les exceptions concédées reflèteront cette politique. L’État n’est donc plus le garant de l’intérêt général ou d’un équilibre entre capital et travail, mais bien plutôt le reflet d’une politique favorable au capital.

Derrière l’universalisme de façade et l’égalité en vitrine, on aura donc un désarmement par l’État du monde du travail et de sa capacité de forger des conditions de travail acceptables. C’est assez piquant de la part d’un exécutif qui prétendait, pendant la réforme du marché du travail, qu’il fallait prendre les décisions au plus près du terrain. Mais il est vrai, qu’alors, la réalité devait être favorable au capital…

La justice d’un régime de retraite ne peut être réalisée sous la toise d’une règle unique parce qu’il n’existe pas d’égalité de conditions de travail, ni d’égalité d’espérance de vie, ni d’égalité de départ dans les carrières, ni enfin d’égalités de conditions au sein des entreprises. Placer le fils d’ouvrier sur la même ligne qu’un fils de notaire revient à faire partir le premier avec de lourdes chaînes aux pieds et à le condamner à une retraite difficile et courte. Selon l’Insee en France, les hommes les plus aisés vivent en moyenne 13 ans de plus que les plus modestes. Est-il alors juste de faire partir tout le monde au même âge avec les « mêmes droits » ? N’est-il pas plus juste d’accepter alors des compensations à de faibles revenus par des avantages spécifiques à la retraite ? La justice, dans ce domaine, consiste nécessairement à sortir de l’égalité formelle. Mais la pensée néolibérale ne veut rien voir de ces réalités.

Ou bien alors faut-il entendre la justice autrement, comme un ajustement par le bas ? L’élargissement du calcul de la pension à l’ensemble de la carrière ne saurait être considéré comme une mesure de justice par rapport à un mode de calcul favorisant les meilleures années. Pour une raison évidente : le calcul va intégrer les moins bonnes années. C’est aussi simple que cela.

Certes, certains pourront acquérir des droits nouveaux s’ils travaillent moins des 150 heures de travail par trimestre, mais beaucoup d’autres verront leurs droits réduits. Lorsque le gouvernement annonce une très lente revalorisation du métier de professeur pour compenser les effets de la réforme, c’est bien qu’il reconnaît que leurs pensions seront beaucoup plus faibles. Ce n’est pas pour rien que le rapport Delevoye avait pris quelques liberté avec la rigueur de ses projections. Quant aux plus précaires, ils continueront à être doublement pénalisés, comme le note l’économiste Éric Berr : dans leur carrière et à la retraite. Autrement dit, la justice de cette réforme ressemble fortement à un écrasement vers le bas dans lequel certains « vainqueurs » passeront de presque rien à trop peu. L’illustration de ce tour de passe-passe est bien la fameuse retraite minimum à 1 000 euros par mois, soit 30 euros de plus qu’aujourd’hui. La justice et l’égalité pour la majorité, c’est donc avant tout partager la misère…

La logique de la retraite à points est de mimer l’épargne individuelle : il faudra glaner le plus de points. Comme le résumait Jean-Paul Delevoye, « celui qui aura fait une belle carrière aura une belle retraite, celui qui aura une moins bonne carrière aura une moins bonne retraite ». Et c’est sans doute cela ce que le gouvernement entend par la justice : refléter les « efforts » individuels. Les statuts et donc les protections issues de la lutte seraient des freins à cette réussite individuelle. Et c’est bien là l’idée de justice défendue par le néolibéralisme : une justice en forme d’égoïsme. Et ce n’est pas pour rien que, précisément, le système de retraite à points « mime » l’épargne individuelle. C’est un système qui promet un rendement de ses choix personnels, sans se soucier des conditions de ces rendements.

Dans ces conditions, l’argument le plus farfelu d’Édouard Philippe est sans doute celui de l’appel aux mânes du CNR. Car cette « égalité » revendiquée consiste surtout à réduire les droits de certains, à rebours de l’ambition du CNR. Rappelons que celui-ci avait défendu l’universalité du système de retraite pour donner des droits à tous dans un pays où l’assurance-vieillesse était une exception. L’universalité était celle de l’accès au droit à la retraite. Mais l’ambition du CNR s’inscrivait dans une logique de rattrapage par le haut, ce qui a motivé de conserver les exceptions pour les régimes plus généreux. Aplanir les pensions et les droits par le bas est l’inverse de l’esprit et de la lettre du projet de 1945.

Un déficit qui justifie la réforme ?

Le deuxième argument avancé en faveur de la réforme, c’est celui des finances. Le système de retraite français serait en péril en raison du déséquilibre croissant entre le nombre de cotisants et celui de pensionnés. Il a été répété le 11 décembre par Édouard Philippe. Ces oiseaux de mauvais augure en veulent pour preuve les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoyant un déficit pouvant aller jusqu’à 27 milliards d’euros en 2030. Cette partition est jouée à chaque réforme pour défendre l’idée de la nécessité d’un « effort » et de l’allongement de la durée de cotisations. Mais, là aussi, l’argument ne tient pas.

D’abord parce que les réformes successives ont déjà prévu de réduire le montant et la durée des futures pensions. Les prévisions du COR ne prévoient pas de dépassement du niveau de 14 % du PIB pour les dépenses de retraites en France d’ici à 2030, ce qui est précisément la limite fixée par la réforme proposée qui, soit dit en passant, n’envisage pas de sortir de ces prévisions. Autrement dit, la retraite à points n’offre pas directement de nouvelles mesures d’économies. Le déficit provient donc principalement des recettes, ce qui s’explique par deux facteurs : une dynamique des salaires trop faibles (notamment du fait d’un rythme modéré de hausse du Smic) et, surtout, des mesures d’économies dans la fonction publique. En embauchant moins, l’État cotise moins et donc creuse le déficit des retraites. Mais, en théorie, ce déficit est le pendant des économies réalisées. Il n’est donc pas préoccupant en soi. Pointer le seul déficit des retraites, c’est donc viser le modèle de répartition intergénérationnel pour d’autres raisons que des raisons financières.

D’autant que les 27 milliards d’euros de déficit annoncé (chiffre soumis à des conditions très nombreuses et à l’incertitude naturelle de ce type de projection) ne sont guère un souci en soi. À partir de 2024, la dette sociale, autrement dit la dette de l’ensemble de la Sécurité sociale, aura été remboursée. Cela permettra de dégager pas moins de 18 milliards d’euros par an de recettes disponibles pour les caisses de la Sécu, donc des retraites, via la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et la part de la CSG qui est dirigée actuellement vers la Cades, l’organisme qui amortit cette dette. Dès lors, le déficit peut être fortement minoré sans augmentation d’impôts. Sans compter que le système de retraite français est riche : son patrimoine net est évalué par le COR à 127,4 milliards d’euros, soit pas moins de cinq fois plus que le déficit cumulé maximal de 2030. Et sur cette somme, le Fonds de réserve des retraites (FRR) créé par Lionel Jospin en 1999 pour… faire face aux futurs déficits dispose de 36,4 milliards d’euros fin 2017. Comme avec la baisse attendue des pensions, le système doit se rééquilibrer vers le milieu du siècle, il faut donc bien le dire : le système français des retraites n’a pas de problème de financement ni de déficit.

Le vrai problème, c’est bien la baisse du niveau de vie des retraités futurs qui a été programmée par les anciennes réformes et que la nouvelle n’entend pas corriger. Bien loin de là, puisque le gouvernement entend obliger le nouveau système à être à l’équilibre d’ici à 2027 par ses propres moyens. Comme les cotisations sont désormais fixes (c’est le principe de base de la retraite à points), on ne pourra jouer que sur les dépenses, donc les pensions. Mais alors, la question reste bien de savoir pourquoi le gouvernement veut absolument cet équilibre. Écartons d’emblée, le pseudo bon sens néolibéral des « comptes en ordre ». L’État n’est pas un ménage et la France n’est pas en faillite, n’en déplaise à François Fillon. Un déficit de 27 milliards d’euros en 2030 ne pose pas de problème.

En fait, le cœur de la question est ailleurs. Si le gouvernement insiste tant sur l’équilibre, ce n’est pas par souci d’équilibre financier. C’est parce qu’un tel équilibre va permettre de financer… des baisses d’impôts. Pour comprendre cette réforme, il faut comprendre le point de départ de l’idéologie gouvernementale : la dépense publique en France est trop élevée parce qu’elle empêche des baisses d’impôts qui favoriseront la compétitivité du pays. Or, la dépense publique, c’est d’abord et avant tout de la dépense sociale. Avec la retraite par points à « cotisations définies », on pourra plus aisément maîtriser ces dépenses pour assurer l’équilibre et ainsi financer les futures baisses d’impôts et de cotisations. Avec le système actuel, il fallait une réforme tous les cinq à dix ans pour piloter le système. Désormais, le système se pilotera lui-même par la règle d’or de l’équilibre financier. Mieux même, ce pilotage sera assuré par les partenaires sociaux, permettant à l’État de se décharger de sa responsabilité.

Dès lors, il convient de bien se souvenir de ce qui vient de se passer avec l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui met fin à la compensation systématique des exonérations de cotisations. Cet article oblige le système social à s’adapter aux politiques de compétitivité coûts décidées par l’État. L’État « affame la bête » puis, comme vient de le faire avec la retraite Édouard Philippe, tire la sonnette d’alarme du déficit et oblige à des réductions de dépenses et de prestations. Avec la retraite par points, ce système est automatique : le comité de pilotage, soumis à l’obligation d’équilibre et incapable de jouer sur le niveau des cotisations, devra amortir les futures exonérations par le niveau de remplacement des salaires en pensions. C’est donc une formidable machine à permettre de futures baisses d’impôts sur le capital et de destruction du système de solidarité. Immédiatement d’immenses possibilités de baisses d’impôts se présentent : de la CSG, à la CRDS, en passant par le niveau des cotisations, notamment pour les salaires moyens. Le véritable enjeu de cette réforme est là et c’est pourquoi cette réforme centralisatrice et étatiste est défendue bec et ongles par les élites néolibérales.

L’affaiblissement du monde du travail

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