De plus en plus de SUV

La décroissance en SUV ?

En bouchonnant de bon matin sur la voie « rapide », comme des millions de gens le font tous les jours, je me suis aperçu du nombre considérable de SUV, ces fameux Sport utility vehicles. Parmi ces 4×4 urbains, j’ai noté le franc succès de la Peugeot 3008, « reconnaissable au premier regard comme un véritable SUV », indique Vincent Heride, chef de produit chez Peugeot, dans une vidéo présentant le modèle.La multiplication des SUV n’est pas nouvelle, et n’est pas propre à la France. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) indique dans un rapport que près de 40 % des ventes de voitures neuves sur la planète sont des SUV, alors que cette proportion était d’à peine 20 % il y a dix ans.

Avec une bagnole plus grosse, les dégâts causés sont, logiquement, plus gros. À commencer par les risques pour les autres usagers de la voie publique : un piéton a 2 fois plus de risques d’être tué s’il est renversé par un SUV plutôt que par une berline (1). Peut-être à cause de la « face avant verticalisée », qui fait « la signature très distinctive des SUV », comme l’indique le chef de produit. On ne passe plus « sur » la berline, mais « sous » le SUV…

Il y a aussi la question de l’espace dévolu aux voitures, mais le problème crucial est celui de la consommation de pétrole : en alourdissant le poids moyen du parc automobile (+30 % en France pour les voitures neuves entre 1990 et 2017 !), l’explosion des ventes de SUV provoque plus de consommation de pétrole, donc plus d’émissions de gaz à effet de serre.En France, un tiers des particuliers qui achète une voiture neuve choisit désormais un SUV. Dans ce même pays, « près de neuf Français sur dix aimeraient vivre dans une société où la consommation prend moins de place ». Vous avez bien lu : c’est la conclusion d’un sondage tout à fait sérieux réalisé auprès de 6 000 personnes, commandé par l’Ademe. (2) Au premier abord, les Français seraient donc complètement incohérents, et prôneraient une forme de « décroissance en SUV ». On peut aussi avancer que les sondages, même bien réalisés, restent des sondages : les personnes interrogées ont tendance à dire ce que les sondeurs veulent bien leur faire dire, on connaît ce biais.

Mais pourquoi, au contraire, ne pas considérer cette aspiration à moins de consumérisme comme tout à fait sérieuse ? Dit autrement, si l’achat des 4×4 relevait non pas d’une consommation hédoniste absurde, mais d’un « besoin », de la part de personnes qui passent, matin et soir, un certain nombre d’heures dans les bouchons, pour rejoindre des métiers qui ne les passionnent peut-être pas, les mettant ainsi en contradiction avec leurs aspirations profondes ? « L’homme ne peut vivre et travailler dans une société technicienne que s’il reçoit un certain nombre de satisfactions complémentaires qui lui permettent de surmonter les inconvénients », écrit Jacques Ellul (3). Selon lui, ces « satisfactions », comme l’achat d’un SUV, « sont strictement indispensables pour compenser le manque d’intérêt du travail, la déculturation provoquée par la spécialisation, la tension nerveuse due à l’excessive rapidité de toutes les opérations »…

Et si les gens ne voulaient plus de ce système absurde de compensation par la consommation ? Bien sûr, interdisons la publicité pour les voitures, interdisons pourquoi pas les voitures qui polluent « le plus ». Mais on pourrait aussi imaginer l’effet de la mise en place d’un « droit à l’inactivité » (4) : le salarié à temps complet voulant passer à 80 % – de temps et de salaire -, par exemple, n’aurait pas besoin de l’accord de son employeur pour le faire. Ainsi, celui qui gagne suffisamment pour se payer un SUV préférerait peut-être ne plus en avoir les moyens, pour s’éviter les bouchons au moins un jour par semaine, et profiter de la vie.

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