Super Demain ou la fabrique de l’asservissement au numérique

Cela s’est passé à Lyon

Dimanche 17 novembre avait lieu le festival « Super Demain » dans les locaux de la métropole, « l’incroyable rendez-vous pour découvrir le numérique en famille ». Nous nous y sommes invité.e.s pour dénoncer ce qui se trame derrière les murs de ce genre d’initiative pseudo-bienveillante d’« accompagnement » et d’« adaptation » au numérique.

Du 15 au 18 novembre derniers se tenaient les journées de Super Demain, « l’incroyable rendez-vous pour découvrir le numérique en famille ». Porté par Fréquences École, une association lyonnaise qui s’est donné pour but de faciliter « une maîtrise et une adaptation rapide aux outils numériques », soutenu par la Région Auvergne Rhône-alpes et la Métropole de Lyon (et tout un tas d’industriels), cet évènement annuel s’inscrit dans le cadre de la stratégie Métropole Intelligente, comme le souligne David Kimelfeld, président de la Métropole de Lyon.

L’année dernière se tenait la 3ème édition du festival, à laquelle certain.e.s d’entre nous s’étaient invité.e.s pour perturber quelques conférences sur l’écologie des « datas » ou encore « l’amour 2.0 », et avaient contemplé avec effroi le spectacle de la fabrique du consentement qu’accomplissent ces journées dédiées au numérique. Super Demain n’est qu’une mascarade organisée, visant à nous donner l’illusion d’une critique du monde numérique dans lequel nous vivons, dans le seul but de mieux nous y adapter.

Cette année, nous sommes venu.e.s plus nombreux.ses pour interpeller les organisateurs.trices et intervenant.e.s comme par exemple Pierre Musseau, Conseiller ville intelligente et durable ou encore Davy Risso, Ingénieur Éducation de Google, distribuer des tracts, dénoncer la Smart City et l’opération de propagande de la métropole, perturber les discours et ateliers des pseudo-critiques, porter une voix contraire à ce consensus de l’inclusion-adaptation au numérique.
Les nombreux organisateurs et nombreuses organisatrices n’ont alors cessé de nous certifier que « sur le fond » nous sommes d’accord mais que notre méthode n’est pas la bonne ; d’ailleurs certains et certaines nous ont invité à participer à l’élaboration de la prochaine édition ou à y prendre part lors d’un débat ou d’un atelier. Seulement nous devons affirmer que nous ne sommes pas d’accord « sur le fond » pas plus que sur la forme : nous ne pensons pas que l’avènement de la société numérique soit incontournable, ni que sa critique soit réalisée dans des ateliers tels que « Devenez publicitaire avec ma petite agence » ou « Ma cour d’école connectée », ni en organisant des « courses de drones » (tous à partir de 6 ans !).

La réponse de Super Demain aux maux d’aujourd’hui

Un désastre écologique qui menace l’équilibre de l’écosystème du monde vivant dans son entier est en cours : changement climatique, disparition totale d’espèces animales et végétales, pollution de l’air, de l’eau et des sols, raréfaction de l’eau, disparitions des sols cultivables, etc.
Face à la nécessité de questionner notre responsabilité et notre impact dans la crise environnementale et sociale, voici la réponse de Super Demain : il nous faut développer une pratique du numérique écologique et responsable, raisonnée et intelligente en un mot : meilleure. Quand les désastres s’accumulent et que se multiplient les signes d’une destruction accélérée du vivant, causée par le développement démesuré des sociétés humaines, les instigateurs de l’événement invitent benoîtement la population à rencontrer les chercheurs, designers, scientifiques, développeurs, gamers, makers, contributeurs, tous acteurs des cultures numériques, afin de « comprendre le numérique et ses innovations, ses controverses et ses promesses, pour se l’approprier collectivement ».

“Parce que les promesses du numérique doivent être partagées collectivement.”

Toutefois, nous constatons que la multiplication des appareils numériques et de leurs usages a un coût négatif inestimable pour les vies humaines et la vie tout court. C’est en effet la fabrication des smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles de jeux, mais aussi de tout objet connecté qui nécessite l’extraction de minerais rares (notamment par des enfants et dans des conditions de travail meurtrières), le transport polluant pour acheminer aux quatre coins du monde des composants et matières premières, l’assemblage dans des usines-prisons (où là encore des enfants sont à l’ouvrage), le stockage des données et l’approvisionnement en énergie et en eau des datacenters.
Destructeurs de la nature et de vies humaines dans les pays les plus pauvres où ils sont largement fabriqués, les appareils numériques ne sont pas non plus neutres dans les pays où ils sont largement consommés. Ils font partie de ce qui entraîne le délitement des liens sociaux, familiaux et amicaux. Sous l’illusion de rapprocher les gens, ils ne font que les éloigner en médiatisant leur échanges par un écran et des applications qui stéréotypent les interactions. Ils conduisent à des sentiments forts d’isolement et de mal-être, de perte d’estime de soi.

La marche du totalitarisme technologique

Mais il semblerait inévitable que la marche du monde soit ainsi, qu’« on le veuille ou non [1] » comme nous le rappelle une représentante de Super demain lorsqu’elle apprend que tous ne partageons pas son désir de numérique. Loin d’être un événement critique du numérique, qui poserait les questions essentielles du monde de demain, afin d’en sortir la formule (qui se devrait alors d’être magique) d’un Super demain, les super shows et super ateliers ne sont que les moments d’un écran de fumée sur ce qu’est et produit réellement le numérique.

Super demain est un événement commercial qui fait la promotion de ce qu’ont à vendre ses partenaires (Free, Vinci, EDF) qui sont par ailleurs les commanditaires d’une société future, celle du tout numérique, gérée par algorithme, au sein de laquelle la décision humaine et commune sera réduite au fait de cocher des cases et de répondre à des questions aux réponses pré-établies.

A Lyon, cet événement s’inscrit parfaitement dans le projet smart-city, projet politique qui consiste en un contrôle cybernétique de la société, où la vie et l’être humain ne sont considérés que comme des flux et des choses disponibles. Il s’agit de plonger les enfants dans un monde virtuel où les catastrophes écologiques et les souffrances sociales sont repoussées au lointain, dans les mains des experts qui se chargeront de trouver des solutions ou dans les mondes virtuels d’internet et des jeux vidéos, de la publicité et de l’auto-promotion sur les réseaux. Sous-couvert d’éduquer à la maîtrise des outils numériques, ce qui constitue incontestablement une compétence non négligeable dans le monde d’aujourd’hui, ces compétences mêmes se retournent contre leurs propriétaires et les soumettent à la maîtrise du numérique, au conditionnement des désirs et des parcours de vie, à la conformité, au monde de l’algorithme roi et de la vente de technologies futiles et mortifères.
Derrière le discours de consensus autour d’une improbable technologie neutre, qu’il suffirait de «  rendre responsable  », il s’agit manifestement de promouvoir le monde toujours-plus-connecté de demain, tout en suscitant les vocations dont le capitalisme a le secret : en témoigne cette exposition « consacrée aux métiers du numérique  » et aux « compétences du 21e siècle » pour y entrevoir, dès le plus jeune âge, « les possibilités de s’orienter dans ses filières ».

« Plus de 19000 flyers #superdemain2019 envoyés dans les écoles primaires du @grandlyon ! Votre enfant en aura-il un dans son cahier de liaison ? »

Nos enfants, dont l’avenir se situe entre designer d’interface numérique, imprimeur·se de maison, ingénieur·e de réalité augmentée, ou spécialiste des données dans les objets connectés, sont invités à trouver leur place dans un monde de pacotille, où le numérique est présenté comme « incontournable ». Sous le prétexte d’aider les nouvelles générations à s’autonomiser sur le plan informatique, il ne leur est appris qu’à en être plus dépendant et fasciné. Si leur «  apprendre à développer une identité numérique stratégique  » ou à devenir le youtubeur de demain peut nous sembler anodin ; nous nous empêchons de voir que cela les conditionne en réalité à une certaine vision, compréhension du monde et de soi-même, largement critiquable.

Critiquer, résister pour de vrai

Plutôt que de porter une pseudo-critique à un monde que l’on adule et que l’on vend, devant lequel on s’agenouille, priant qu’il veuille bien nous accepter, il s’agirait plutôt d’ouvrir les yeux sur les mensonges de la transition numérique verte et vertueuse et de se saisir en commun des modes de vie et d’être-ensemble qui nous permettrait d’entrevoir sereinement l’avenir. Contre Super demain et Fréquence École, décidons par nous-même, à la fois du monde que nous laisserons à nos enfants et des enfants que nous laisseront au monde afin que la terre reste une planète habitable et que toute espèce vivante puisse s’y épanouir.

Un réel souci pour un demain digne de ce nom devrait donc être de mettre un terme à cette fuite en avant technologique. En premier lieu, en s’opposant activement aux ineptes « priorités » de l’État, de l’industrie… En s’opposant au développement forcé de la 5G, à la dématérialisation déshumanisante de services tels que la CAF ou Pôle Emploi, à l’imposition anti-démocratique des compteurs Linky, aberration écologique et sanitaire, en dénonçant le rôle d’Internet sur les crises identitaires et souffrances psychiques de chacun d’entre nous, l’impact des écrans sur le rapport au monde et à l’autre, qui plus est chez les jeunes enfants. Enfin, en refusant de « faire du numérique une culture », et en soutenant que la vie doit être vécue aujourd’hui, ici et maintenant, sans appareils coûteux et sophistiqués.

Notes

[1] Vous auriez pu le deviner, c’est dans un tweet que l’on trouve ce genre de propos autoritaire qui se réclame du réalisme.

rebellyon.info