Novissen a écrit à la Préfète d’Amiens

Novissen est opposé à la ferme des 1000 vaches, projet en cours à Drucat, dans la Somme

Suite au jugement, la préfecture a décidé de mettre en œuvre la procédure de recouvrement pour l’amende 7800€, mais reste en discussion pour les astreintes. Nous estimons qu’il n’y a pas de discussion à avoir. Nous demandons l’application du jugement.

Concernant le retour aux 500 vaches la situation, n’a pas beaucoup évolué. La Préfecture propose une analyse de l’eau et de l’air avant de réexaminer le dossier et pourquoi pas le régulariser !

Nous demandons donc l’application du jugement dans son intégralité.

Madame la préfète de la Somme,
Monsieur le sous-préfet d’Abbeville,

Nous venons de tenir notre dernier CA ce lundi 29/05 et nous souhaitons tout d’abord
vous remercier de l’organisation de la réunion du 24 juin dernier concernant
la proposition de tierce expertise visant à évaluer l’impact de l’activité des « 1000 vaches » en termes de qualité de l’eau et de l’air.

Nous avons pu en débattre sereinement et vous trouverez ci-dessous les premières remarques de notre association concernant l’évolution de ce dossier.

Les résultats du second tour des municipales montrent à quel point la population demande du changement, notamment en matière d’écologie.
Les anciennes recettes ne fonctionnent plus –toujours plus grand, plus gros, plus fort…- et la responsabilité des entreprises concernant le dérèglement climatique et le respect de l’environnement comme des animaux ne peut plus être passée sous silence.
Aujourd’hui il nous faut des actes et des signes forts qui indiquent que le message a été entendu par les autorités de l’Etat.

Tranchons un premier point suite à la décision de la Cour d’Appel de Douai du 19 novembre 2019.
Nous sommes bien évidemment très satisfaits que les autorités de la République reconnaissent enfin – après tout de même 5 ans de lutte! – le caractère illégal de cette exploitation dénoncé par notre association dès juin 2015.
L’amende de 7800€ va être payée et Monsieur le sous-préfet nous a indiqué que les astreintes de 780€ par jour sont toujours en discussion…

Soyons clairs: tous les protagonistes du dossier qui ont eu des amendes à payer ou des frais de justice les ont toujours réglés, que ce soit la municipalité de Drucat, la Confédération paysanne, Novissen… Les sommes étaient parfois très importantes et nous n’avions pas les capacités financières du groupe de BTP Ramery…
Alors des milliers de personnes soutenant notre combat de leurs dons- encore aujourd’hui- ne comprendraient pas qu’il y ait deux poids deux mesures.
N’oublions pas non plus que pendant ces cinq années illégales, les 380 vaches excédentaires ont rapporté… Nous restons donc extrêmement vigilants sur ce point et contacterons dans les jours qui viennent Mme Nicole Belloubet, Ministre de la justice, pour que toutes les sanctions administratives prises par la préfète de la Somme le 28 août 2015, reconnues légales par la Cour d ‘Appel de Douai, soient appliquées.
La justice doit être la même pour tous. Le montant des astreintes fixées en 2015 avait été très soigneusement étudié par la préfecture pour être proportionné à l’infraction constatée.
Elles avaient pour but très clair de contraindre l’entrepreneur au retour légal des 500 vaches autorisées. Cette contrainte est toujours juridiquement d’actualité et le retour aux 500 vaches légales un impératif absolu pour notre association.
Sept mois se sont écoulés depuis la décision de justice de Douai et à notre connaissance, sur le terrain, rien ne bouge. Est-ce bien normal?
Vous ne semblez vouloir recouvrer que l’amende de 7800€ alors que les sanctions administratives de la préfecture de 2015 vont bien au-delà. Un courrier du chef de cabinet
de Madame Elisabeth Borne vous a été adressé le 11 mars 2020 pour vous demander de faire appliquer sans délai la décision de la CAA de Douai.
Nous souhaitons savoir clairement quelle est votre position à ce sujet. Avez-vous demandé au responsable de cette usine un retour effectif aux 500 vaches légales ? Les sommes correspondant aux astreintes payées par la SCEA Côte de la Justice puis remboursées par l’Etat ont-elles à nouveau été exigées ?

Le second point concerne la tierce expertise proposée par le ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.
Elle doit nous éclairer sur le degré de pollution de l’entreprise concernant notamment la qualité de l’eau et de l’air suite à la demande d’extension de troupeau faite par le promoteur le 16 mars 2015.
La demande d’augmentation d’effectif à 880 vaches laitières a déjà fait l’objet d’une très importante enquête publique fin 2015. Nous vous en enverrons prochainement les conclusions et vous pourrez constater que nos experts ont soulevé de multiples questions qui ne trouveront pas de solution suite aux quelques prélèvements prévus.

Notons tout d’abord que cette instruction de dossier d’extension n’est pas demandée par la CAA de Douai contrairement à ce qui nous a été dit. Rappelons en outre que Mme Klein, préfète de la Somme nous avait donné sa parole qu’il n’y aurait pas d’instruction nouvelle tant qu’il n’y aurait pas un retour aux 500 vaches légales. Parole oubliée?

Mais reprenons le dossier en séparant bien la procédure de justice qui a donné raison à Novissen et la procédure administrative classée ICPE qui nous intéresse ici.
Nous avons affaire à une installation qui fonctionne depuis juin 2015 sans autorisation préfectorale d’exploiter, répréhensible par le code de l’environnement : c’est un délit passible de 75000€ d’amende et 1 an d’emprisonnement.
L’installation a une unique autorisation d’exploiter du 01/02/2013 pour 500 vaches laitières et une unité de méthanisation qui n’a toujours pas été construite…
Une demande de modification avec extension à 880 vaches a été faite en 2015 et a fait l’objet d’une instruction avec enquête publique mais sans nouvelle étude d’impact.
Cette instruction n’a abouti à rien si ce n’est en mars 2016 à un Coderst annulé et la demande en mai 2016 d’une nouvelle enquête publique et une nouvelle étude d’impact par la ministre de l’environnement Madame Ségolène Royal.
Depuis, rien. Alors qu’il y a bien eu une mise en demeure de la préfecture le 01/07/2015 de revenir aux 500 vaches laitières, cinq ans après…on demande simplement au promoteur de financer une tierce expertise rapide pour valider l’augmentation d’effectif illégal.
C’est incohérent d’autant plus que certains bâtiments ne sont toujours pas construits pas plus que l’unité de méthanisation. Il s’agit là d’une modification substantielle car toute la gestion des effluents est différente : stockage, autonomie de stockage, fertilisation, plan d’épandage.
La mise en oeuvre du projet ne correspond aujourd’hui ni au permis de construire d’origine ni au dossier de demande de modification de 2015. Il faut une expertise sur ce point.

Nous demandons, vu l’évolution du Code l’environnement ces dernières années, vu l’ancienneté de l’étude d’impact d’origine qui date de 10 ans que si l’entrepreneur souhaite agrandir son troupeau légalement à 880 vaches il le fasse selon les règles en vigueur et dépose un nouveau dossier avec une nouvelle enquête publique assortie d’une véritable étude d’impact comme demandée par la ministre de l’environnement Ségolène Royal en 2015.

Pourquoi avoir fait une mise en demeure en juillet 2015 pour un retour à 500 vaches laitières pour valider 5 ans après cette augmentation illégale sans respecter les procédures administratives ?

Cette tierce expertise, aussi intéressante soit-elle, reste trop limitée et ne saurait à nos yeux couvrir tous les aspects négatifs du projet et être décisive quant à la décision d’une quelconque extension. Il s’agit là concernant l’eau et l’air d’un impact environnemental bien sûr important mais qui est loin d’être le seul.
Il n’y a par exemple malheureusement pas dans cette étude d’impact de bilan carbone total de l’usine. Le Président de la République souhaite à juste titre le rendre désormais obligatoire pour toutes les entreprises suite aux propositions de la Convention Citoyenne.
Quel est le bilan carbone pour cette usine toujours illégale de 880 vaches?
Il est mauvais de toute façon nous dit Monsieur le sous-préfet et on ne sait pas l’évaluer
nous dit Monsieur le directeur de la DDPP. C’est pour notre association une position de déni inacceptable.

Vous le savez, les études scientifiques et articles ne manquent pas depuis ces dernières années pour nous mettre en garde: la crise du coronavirus n’est rien par rapport à ce qui nous attend dans 10 ou 20 ans avec le dérèglement climatique. Ne pas en tenir compte aujourd’hui est proprement scandaleux!
Pourquoi ne veut-on pas mesurer le CO2 ou le méthane émis, 25 fois plus polluant?
Le problème est simple: 880 vaches éructent davantage que 500. Si on veut baisser les gaz à effet de serre, il faut en produire moins et pour en produire moins il faut forcément limiter la taille des troupeaux et le nombre global d’animaux.
On se heurte alors bien sûr à de nombreux lobbies et la FNSEA n’est pas le moindre.
Mais c’est incontournable.
Agrandir ou multiplier les troupeaux est-il d’ailleurs économiquement absolument nécessaire? Non! Sauf pour ceux qui ne voient là qu’une belle occasion de faire davantage de profit! Une étude du 29 juin dernier de Web-agri qui compare les différents systèmes laitiers le montre bien : il faut produire moins de lait pour vivre mieux, selon le CIVAM
http://www.web-agri.fr/actualite-agricole/economie-social/article/vivre-mieux-en-produisant-moins-de-lait-1142-170020.html
L’Europe est déjà en surproduction laitière, on paie même des éleveurs pour produire moins de lait! C’est stupéfiant!
Le lait des 1000 vaches va tous les jours en Belgique chez Milcobel pour être ensuite exporté en poudre notamment en Afrique de l’ouest où il met en difficulté les petits éleveurs locaux.
Entre 2015 et 2018, les exportations de l’industrie laitière belge vers l’Afrique de l’Ouest ont pratiquement triplé grâce à des prix très bas. Une concurrence déloyale pour les producteurs locaux africains. Nous nous opposons fermement à cet agro-business aux conséquences délétères sur des pays tiers. (voir https://tchak.be/index.php/2020/03/04/faux-lait-en-poudre-la-concurrence-deloyale-de-lindustrie-europeenne-milcobel-arla-laiterie-des-ardennes-solar/ )

Novissen s’oppose donc clairement et avec fermeté à toute augmentation ou régularisation du troupeau à 880 vaches pour les raisons suivantes :

  1. C’est un encouragement indéniable à la délinquance économique.

La SCEA Côte de la Justice a montré plusieurs fois son total dédain des lois et règlements et n’a pas hésité récemment à réclamer auprès du Tribunal Administratif d’Amiens 33 millions d’euros pour entraves administratives diverses…demande heureusement rejetée!
Dès 2013 une zone archéologique non constructible a été délibérément dévastée pour construire un bâtiment. La Drac d’Amiens parlera de faits particulièrement graves.
Le méthaniseur prévu dans le permis de construire pour verdir le projet n’a toujours pas vu le jour 6 ans après l’arrivée des premières vaches…Il est régulièrement promis !
A la première ILIS (Instance Locale officielle d’Information et de Suivi) d’avril 2015 485 vaches sont déclarées alors qu’au 10 avril les premières vaches d’un troupeau complémentaire de 300 vaches achetées illégalement en mars à la SCEA du Roumois à Etreville arrivent ! Aucune information donnée sur cette extension de troupeau illégale ni par MM. Ramery et Welter, ni par les services de la préfecture…De qui se moque-t-on?
Donner aujourd’hui une autorisation d’exploiter à 880 vaches est clairement pour nous un encouragement délibéré à la délinquance.

  1. C’est totalement incohérent avec la lutte contre le dérèglement climatique.

On ne peut vouloir tout et son contraire et nous en appelons ici à la responsabilité politique qui vous incombe.
De nombreuses études montrent que l’élevage industriel a un impact particulièrement négatif sur le dérèglement climatique, représentant 14,5% des gaz à effet de serre.
La ferme-usine des 1000 vaches est le symbole même d’une agro-industrie agressive qui met notre planète en danger. Ce sont les pâtures qui stockent le CO2, pas le béton des bâtiments hors sol !
Autoriser le dépassement de la limite légale de 500 vaches, c’est encourager un système de production aujourd’hui dépassé et reconnu par de nombreux experts comme dangereux pour la planète.
Une large partie de la population n’en veut d’ailleurs pas ou plus : 82% des Français sont favorables à une « réorientation des subventions sur une agriculture biologique et paysanne ».
Novissen demande de procéder à un bilan carbone de cette usine avant de donner toute autorisation et va écrire dans ce sens au Premier ministre et au Président de la République dans les tous prochains jours. Il faut des actes et des outils de plus en plus nombreux existent déjà à la disposition des éleveurs.

  1. C’est mettre encore davantage la santé publique en danger

La très nette diminution du trafic routier lors du confinement n’a pas empêché fin mars de nouveaux épisodes de pics de pollution. En cause l’ammoniac, gaz précurseur des particules fines PM.2,5.
L’ammoniac est presque exclusivement émis dans l’atmosphère à partir des élevages industriels (bâtiments et stockage des effluents) lors des épandages de lisiers et de fumier.
En France 94% des émissions de ce poison sont liées aux activités de l’agriculture industrielle, les élevages de plein air n’émettant que très peu d’ammoniac. La France est hélas un des plus mauvais élèves parmi les pays de l’UE avec un taux d’émission plus important que la moyenne européenne par habitant et par an.
Changer de modèle de production avec de petites unités d’élevage respectueuses de l’environnement et des animaux permettrait une diminution drastique des émissions d’ammoniac.
Le lien de cause à effet entre les émissions d’ammoniac et la pollution aux particules fines est établi. Ces particules fines PM2.5 sont responsables de plus de 48000 décès prématurés en France. L’ammoniac est indispensable pour la formation de la moitié d’entre elles. Elles sont toxiques pour notre santé et agissent soit directement soit en servant de véhicules à d’autres agents toxiques ou aussi…certains virus !
Il faut enfin avoir à l’esprit que c’est la pollution de fond, celle du quotidien, qui cause à long terme les problèmes les plus graves.
La totalité des coûts de la pollution de l’air extérieur est de 68 à 97 milliards d’euros selon un rapport du sénat de 2015.
Quant au Covid 19, il était plus présent, contagieux et dangereux dans les régions polluées au PM2.5, comme en Chine et en Italie.
C’est ainsi qu’au vu de l’ensemble des nuisances imputables aux émissions d’ammoniac provenant des élevages et des épandages (effluents et engrais azotés) le changement du mode de production du lait industriel s’impose et n’est certainement pas à encourager.
Quant à la tierce expertise, on risque fort d’avoir des résultats faussement rassurants. L’ammoniac se disperse très vite dans l’atmosphère et il ne peut être dangereux directement que pour ceux qui y travaillent.
Les vrais risques sont la constitution de particules fines à partir de l’ammoniac mais cela ne se fait pas sur place. Puisqu’il existe d’autres élevages industriels à faible distance, il faut en outre un calcul des redépositions locales d’ammoniac comme c’est obligatoire désormais en Allemagne et en Suisse.
Régulariser le troupeau actuel à 880 vaches c’est contribuer à davantage de production d’ammoniac, donc de particules fines, c’est aggraver la pollution de l’air et mettre davantage en danger des milliers de personnes fragiles. Nous demandons que la tierce expertise évalue ce danger précisément.

  1. C’est un déni total du type d’agriculture souhaité par une large majorité de Français

Aujourd’hui une large majorité de Français souhaite une agriculture de qualité, de proximité, respectueuse de l’environnement, des producteurs, des consommateurs et des animaux.
C’est à l’opposé du projet des 1000 vaches qui importe 600 tonnes par an de soja OGM d’Amérique du sud avec les conséquences que l’on sait, qui exporte en Belgique 9.000.000 de litres de lait pour le business international au détriment des petits éleveurs en Afrique, en Asie et en France …
De nombreux adhérents de Novissen sont aussi très soucieux du bien-être animal. Si l’on en croit la DDPP c’est bien mieux que dans nombre d’autres endroits. Peut-être mais l’argument est-il suffisant ?
L’article 515-14 du code civil consacre l’animal comme un être vivant doué de sensibilité. A ce titre, le bien-être animal prime sur toute considération, notamment d’efficacité et de profit.
Les vaches laitières sont totalement privées de pâturage et ne sortent jamais. Il faut les garder dans les logettes le plus longtemps possible pour produire plus. « 1 heure de couchage en plus, c’est un kilo de lait en plus ». Ce mode de production contrevient aux dispositions de l’article 515-14 CC en privant les vaches de conditions normales d’existence.
Et que dire en période de canicules (de plus en plus fréquentes) lorsque 1200 animaux se retrouvent sous un hangar en pleine chaleur ?
Autoriser une nouvelle augmentation de troupeau, c’est clairement encourager un système d’élevage dépassé et ne pas prendre en compte l’évolution sociétale et juridique du bien-être animal. Une vache a une espérance de vie de 15 ans ; à l’usine à vaches elle sera équarrie en moyenne au bout de 5 ans.

Nous vous adresserons dans les prochains jours les conclusions de notre rapport final d’observations lors de l’enquête publique de 2015. Ce que nous dénoncions alors est toujours valable aujourd’hui et notre position reste inchangée, renforcée même par l’évolution toujours plus inquiétante du climat et la prise de conscience formidable de la société concernant la protection de l’environnement.

Ce mode de production est totalement dépassé et l’encourager est proprement suicidaire.
Nous mettrons donc toutes nos forces à le combattre dans les prochaines semaines en organisant différentes actions et une journée forte de protestation le samedi 5 septembre.

Assez de discours et de promesses, il faut poser des actes et avoir de la cohérence, envoyer les signaux forts qui indiquent qu’effectivement on change de cap.

Appliquer les décisions de justice de Douai rapidement avec paiement de l’amende et des astreintes et retour aux 500 vaches légales est un de ces signaux forts que nous attendons. Quant à la demande d’augmentation légale de troupeau, qu’un nouveau dossier soit ouvert avec une étude d’impact complète et non une simple tierce-expertise trop limitée dans son champ d’application…Il faut une expertise sur la protection animale, sur le bilan carbone, sur l’évaluation des risques sanitaires, sur l’articulation du projet avec les différents schémas et programmes au niveau régional (PNR), national (COP 21 réduction du CO2), européen (surproduction laitière chronique…)

Nous comptons sur les autorités de l’Etat pour respecter le droit et prendre enfin des décisions cohérentes.
Nous tenant à votre disposition et à votre écoute, veuillez croire Madame la préfète, Monsieur le sous- préfet, en nos sentiments les plus vigilants et les plus respectueux.