La barbarie se rapproche

Amnesty Belgique francophone n’est pas tendre avec la France

Amnesty International est une ONG respectable qui, depuis près de 50 ans, se bat pour la défense des droits humains et plus largement pour le respect de l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Amnesty a dénoncé tous les régimes qui violaient ces droits mais on avait l’habitude de signer des pétitions ou d’envoyer des lettres mettant en cause de lointaines nations pas vraiment démocratiques. Et voilà qu’Amnesty Belgique francophone débute une campagne qui vise un pays bien plus proche…

C’est sur la base d’un rapport détaillé et argumenté d’Amnesty France que la campagne belge dénonce une « vague de répression sur les manifestations ». Intitulé Arrêté·e·s pour avoir manifesté. La loi comme arme de répression des manifestant·e·s pacifiques en France, ce rapport de l’organisation  française montre que « l’interdiction générale des manifestations après le confinement lié à la pandémie de Covid-19 était disproportionnée, donnant lieu à des centaines d’amendes injustifiées. »

L’association « multinationale » qui défend les droits humains n’est pas tendre avec les autorités françaises et développe son réquisitoire de plusieurs manières. Il y a d’abord la recension de faits basés sur des témoignages vérifiés par l’antenne nationale. C’est peut-être parfois anecdotique mais révélateur d’un état d’esprit. Relevons par exemple : « Lors d’une manifestation contre les violences policières à Narbonne en mai 2019, quatre manifestant·e·s ont fait l’objet d’une enquête pour outrage pour avoir déployé une banderole sur laquelle était écrit “Oui au muguet, non au LBD” » ou encore « À Marseille, un homme qui avait juré contre un policier qui s’apprêtait à frapper une femme avec une matraque lors d’une manifestation a été lui-même frappé, maintenu en garde à vue pendant 24 heures, reconnu coupable d’outrage et condamné à payer une amende de 900€. Cet homme a également été condamné à verser 1.000€ au policier à qui il s’était adressé en criant, tandis qu’aucune action n’a été intentée contre les policiers. »

De par le monde, Amnesty International défend souvent des journalistes car on a constaté que lorsqu’un régime devient autoritaire il s’attaque aux médias qui, s’ils font bien leur métier, dénoncent les excès du pouvoir. Le rapport relève de tels comportements en France ou par exemple, Brice, un journaliste en train de filmer une manifestation des Gilets jaunes à Paris en avril 2019 a été arrêté, maintenu en garde à vue pendant 24 heures et inculpé de « violences », « dissimulation du visage » et « préparation de violences ». Le « délinquant » a déclaré « Je trouve absurde que le parquet ait requis [une peine de] 3 mois, sachant que je suis journaliste et qu’il n’y avait aucune preuve contre moi ». Il a été acquitté par la suite.

En 2018 et 2019, plus de 40.000 personnes, y compris des manifestant·e·s, ont été déclarées coupables sur la base de lois vagues. »

Ces cas particuliers ne sont des illustrations d’une vague de répression énorme que documente Amnesty  :« Entre novembre 2018 et juillet 2019, 11.203 manifestant·e·s du mouvement des Gilets jaunes ont été placés en garde à vue. Ces personnes ont été arrêtées et poursuivies pour des activités qui ne devraient pas constituer des infractions pénales. En 2018 et 2019, plus de 40.000 personnes, y compris des manifestant·e·s, ont été déclarées coupables sur la base de lois vagues. »

Des lois qui autorisent la répression

Ce qui fait très peur aux défenseurs des droits humains est que des milliers de personnes qui manifestaient pacifiquement ont été brutalement empêchées de manifester leurs opinions (souvent préventivement), c’est dû au fait que les autorités françaises ont utilisé les lois à mauvais escient pour verbaliser, arrêter arbitrairement et poursuivre en justice des gens qui n’avaient commis aucune violence. Le rapport établit que des secouristes, des journalistes et des observateurs et observatrices des droits humains figuraient parmi les personnes ciblées par des lois vagues lors des mouvements de protestation qui se sont déroulés à l’échelle nationale à partir de la fin de l’année 2018.

Des lois érigent notamment en infraction l’« outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique », la « participation à un groupement en vue de la préparation de violences » et l’« organisation d’une manifestation n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable ». En conséquence, des personnes ont été jugées coupables d’« outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique », un délit d’outrage défini de manière vague comme « tout écrit, toute image ou toute parole qui porte atteinte à la dignité ou au respect dû à une fonction publique et il est passible de peines allant jusqu’à un an de prison et 15.000€ d’amende. »

Amnesty rappelle qu’ « en avril 2019 a été introduite une interdiction générale de dissimuler son visage pendant les manifestations sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 15.000€ et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Entre avril et octobre 2019, cette interdiction a donné lieu au placement en garde à vue de 210 personnes. En 2019, 41 manifestant·e·s ont été reconnus coupables de cette infraction. » Etant donné que la répression continue en 2020, malgré le fait que les manifestations sont devenues rares amène Amnesty demander que « la loi qui interdit de se dissimuler le visage pendant des manifestations publiques soit réexaminée de toute urgence, étant donné que le port du masque est désormais une mesure nécessaire pour lutter contre la pandémie de Covid-19. »

Fin de la liberté de réunion

Il résulte de cette répression rigoureusement organisée, de ces arrestations et des poursuites judiciaires un effet néfaste sur le droit à la liberté de réunion pacifique en France. Un grand nombre des personnes interrogées par Amnesty International ont déclaré «qu’elles y réfléchissaient désormais à deux fois avant d’aller manifester, qu’elles participaient moins souvent à des manifestations ou qu’elles évitaient les grands rassemblements. »

Marco Perolini, un chercheur d’Amnesty a donc pu  se désoler : « C’est le comble qu’un pays avec une longue et fière tradition de grandes mobilisations collectives en faveur du changement social criminalise les manifestations de cette manière. 3 ans après la promesse électorale d’Emmanuel Macron de protéger le droit de se réunir pacifiquement, le droit de manifester pacifiquement est soumis à une attaque sans précédent. »

La conclusion d’Amnesty est sans ambiguïté : « Utiliser la loi contre les personnes qui prennent part à des manifestations se voit sans doute moins que le recours à une force excessive, mais ne porte pas moins préjudice au droit de manifester. Les autorités françaises doivent cesser de transformer les manifestant·e·s en délinquants et modifier toutes les lois qui portent atteinte au droit de se réunir pacifiquement. »

3 ans après la promesse électorale d’Emmanuel Macron de protéger le droit de se réunir pacifiquement, le droit de manifester pacifiquement est soumis à une attaque sans précédent.

« Tout le monde déteste la police »

Ce slogan qui était le fait des minorités activistes les plus radicales se généralise aujourd’hui suite aux comportements brutaux, quasiment jamais sanctionnés, des forces de police chargées du maintien de l’ordre lors des manifestations. Si Amnesty dénonce ces faits dans son langage mesuré et juridique, il en est qui mettent moins de gants. Ainsi, un ouvrage collectif sobrement titré Police, aborde frontalement la question de la « légitimité » de la police, des polices, telles qu’elles existent aujourd’hui dans quasi toutes les nations. Frédéric Lordon, dans son style inimitable affirmait dans une interview à Frustration, magazine indépendant de critique sociale pour le grand public, :

« Si par “la police” on entend l’institution policière telle que nous l’avons sous les yeux, semblable à celle que nous pouvons observer dans d’autres pays, les États-Unis notamment, je pense qu’il n’y a pas photo : cette institution est foutue, raciste à cœur, hors de contrôle, devenue folle de violence et d’enfermement dans le déni collectif, elle n’a que les épisodes d’attaques terroristes pour se refaire la cerise, est en roue libre tout le reste du temps. Elle vit dans un état de séparation d’avec le corps social, et de macération interne. »

Si les propos sont très durs et sans équivoque, Lordon estime cependant qu’il ne faudrait pas en arriver à penser la police est « le problème n°1 » dans nos société ». Il voit en effet « le désastre économique du néolibéralisme » comme cause première. « Pour le populations décoloniales, le problème est la racisme institutionnel et les ségrégations dont elles sont victimes, pour les Gilets jaunes, le problèmes sont les abyssales injustices sociales, pour les militants climat le problèmes est la dévastation capitaliste de la planète » Lordon souligne à juste titre que toutes ces composantes de la société, celles qui osent résister aux politiques injustes des dominants, se trouvent confrontées à la même violence policière, mais il ne faudrait pas oublier ce qui les ont fait descendre dans la rue en première instance.

Tiens, un de ceux qui ont écrit Police est David Dufresne, réalisateur de Un pays qui se tient sage, le film qui montre les images des violences policières en France et qui connaît un beau succès Outre-Quiévrain jours-ci. Or, ce documentaire est promu par Amnesty Belgique qui organise deux séances de projection ces 8 et 15 octobre car « Alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus violente. « Un pays qui se tient sage » invite des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat. » Bien que venus d’horizons assez différents, les constats convergent donc en tous points…

pour.presse