Hold-up

Un récit alternatif ?

Ivan Segré, philosophe et talmudiste conspiratif, a visionné Hold-Up, le documentaire a succès qu’il n’est plus besoin de présenter. Il en synthétise ici les thèses principales et la philosophie générale.

« Le peuple méprise la mort parce qu’il cherche avec trop d’ardeur les moyens de vivre. »

Lao-Tseu, Tao Te King

« […] qu’un seul grain de blé soit placé sur la première case d’un échiquier, puis doublé chaque jour à compter de ce jour jusqu’à ce que la dernière case soit remplie. »

David Berlinski, La vie rêvée des maths

https://lundi.am/Hold-up-un-documentaire-alternatif

Extrait

Le documentaire Hold-up. Retour sur un chaos est apparemment un phénomène de société : mis en ligne le 11 novembre, il aurait été visionné plus de deux millions et demi de fois dès le 16 novembre (d’après Ouest-France …).

 En règle générale, une pareille audience est l’apanage d’une superproduction hollywoodienne ou d’une comédie franchouillarde rondement menée, mais pas d’un documentaire de plus de deux heures et demie portant sur un sujet sérieux et alignant les interviews. C’est donc qu’il touche une corde sensible. Est-ce en raison de l’irrationalisme collectif qui accompagne parfois les pandémies ? Ou en raison du sentiment de plus en plus diffus que les classes privilégiées entament une offensive de grande envergure contre les classes populaires, ceci avec le soutien servile, sinon enthousiaste, des puissances publiques ? Quoi qu’il en soit, ce succès inquiète les autorités, qui œuvrent à empêcher la diffusion de Hold-up. Aussi rappelons d’emblée un principe simple : qu’il s’agisse des dessins humoristiques de Charlie Hebdo ou des sketchs de Dieudonné, la liberté d’expression n’est pas négociable.

Produit grâce à un financement participatif, Hold-up s’efforce de mettre au grand jour les incohérences du discours « officiel » au sujet de l’épidémie de Covid 19 et, d’un même pas, de promouvoir un récit et une analyse alternatifs. Ses principales thèses sont les suivantes :

  1. L’origine de la pandémie n’est pas une chauve-souris malade qui aurait contaminé un être humain quelque part en Chine, mais un virus transformé au préalable en laboratoire afin de le rendre transmissible à l’homme.
  2. Les mesures gouvernementales visant à endiguer l’épidémie – confinement, port obligatoire du masque, etc. – sont bien plus nocives que le virus lui-même.
  3. L’efficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine serait démontrée par le docteur Raoult, mais les intérêts du lobby pharmaceutique (« Big Pharma ») aurait primé sur des considérations de santé publique, si bien que les autorités ont fait obstacle à l’usage de ce médicament, l’enjeu étant d’offrir aux laboratoires privés la possibilité de commercialiser bientôt un vaccin, avec à la clé un marché de milliards d’êtres humains, éventuellement contraints de se faire vacciner.
  4. Les acteurs de la santé qui ont tenté de remettre en cause le discours « officiel » ont été victimes de pressions diverses, de censures, voire de vexations, de manière à tuer dans l’œuf toute alternative et toute contestation.
  5. Des quatre thèses précédentes suit une cinquième thèse, à savoir que l’enjeu véritable de l’épidémie de Covid 19 et des politiques qu’elle a occasionnées n’est pas une question de santé publique mais l’enrichissement d’une poignée d’hommes d’affaires et, au-delà, l’expérience grandeur nature d’une incarcération massive (confinement), d’une déshumanisation des rapports sociaux (port du masque, isolement des personnes âgées) et d’un conditionnement à l’obéissance absolue.

5 bis. Cette poignée d’hommes d’affaires à la manoeuvre est identifiable : elle est l’architecte d’un projet appelé « Great Reset », qui vise à créer les conditions d’une dictature mondiale fondée sur la division entre les « dieux » et les « inutiles ». Et leur idéologie n’est pas tant le capitalisme que le transhumanisme.

  1. La sixième et dernière thèse est que l’alternative à cette infernale machination « libérale » et « transhumaniste » est un retour aux valeurs fondamentales, principalement l’amour et la nature.

Ainsi résumé, le propos de ce documentaire ne pouvait que séduire nombre de ceux qui savent que les intérêts des laboratoires pharmaceutiques divergent de ceux des gens, que les conséquences du confinement, en termes économiques et sociaux, ne seront pas égales pour tous, et qu’un pouvoir qui étend son dispositif policier n’augure rien de bon. Et le crédit qu’ils sont d’emblée portés à accorder à Hold-up est renforcé par le discours médiatique qui en dénonce le caractère « complotiste ». Les médias sont en effet unanimes. Et à ce sujet, la palme revient à l’historienne Marie Peltier, « spécialiste du complotisme » interrogée par France-Info :

« France-Info : Ce film a été financé grâce au financement participatif. Ça veut donc dire que les gens payent pour voir ce qu’ils veulent voir, c’est cela ? Marie Peltier : Encore une fois, ça repose sur l’idée que le ’système’ serait corrompu et que donc, pour avoir des contenus qui nous arrangent ou qui vont plus dans le sens de notre vision du monde, on est prêts à payer. On est prêts à participer. En fait, les médias conspirationnistes et alternatifs ont beaucoup procédé ces dernières années avec des appels aux dons. Et ça marche, parce que les gens sont en demande d’un récit alternatif. Et donc, forcément, pour aller chercher la vérité – il faut rappeler que le conspirationniste est obsédé par la recherche de la vérité – et bien il va devoir aller chercher l’information vers d’autres sources, et c’est en cela que d’autres personnes peuvent se présenter comme des sources alternatives … ».

L’historienne, après avoir d’abord expliqué que Hold-up est un documentaire complotiste et que « le conspirationnisme est foncièrement hostile à l’émancipation et est antisémite, notamment », observe donc que « les médias conspirationnistes et alternatifs ont beaucoup procédé ces dernières années avec des appels aux dons ». Le « conspirationnisme » (en effet volontiers antisémite) et le média alternatif sont ainsi, au fil de l’interview, lentement, mais sûrement, rangés dans la même case. Conclusion : l’auditeur de France-info est sommé de s’en remettre aux médias dominants (France-Info, BFM-TV, etc.), à moins de sombrer dans le « conspirationnisme ». Quant à « la recherche de la vérité », ce n’est plus le titre d’un livre de Malebranche, c’est dorénavant, à en croire l’historienne, une obsession conspirationniste. On ne saurait mieux exprimer les préoccupations des médias dominants en termes d’information : « ne conspirons pas », c’est-à-dire : ne recherchons pas trop la vérité. On ne s’en laissera cependant pas compter : Hold-up contre BFM-TV, c’est le règne des fausses contradictions. Ceci posé, laissons France-Info et BFM-TV de côté et restons-en à l’ordre du jour : le documentaire Hold-up. Retour sur un chaos.

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J’ai ci-dessus ramené le documentaire à six thèses. L’ossature de son propos, présenté sous cette forme, paraît cohérente. Voyons maintenant les choses d’un peu plus près.

Thèse n°1. L’origine artificielle du virus. À première vue, la thèse « officielle », celle des principaux médias, paraît être la plus vraisemblable : l’origine du virus est naturelle. Certes, Trump a qualifié la chose de « virus chinois ». Mais il semble que ce soit une chauve-souris chinoise qui ait contaminé l’humanité, plutôt que les Chinois n’ont contaminé le monde. La thèse du documentaire est pourtant que l’origine artificielle du virus est sinon totalement avérée, du moins fortement probable, et il présente un faisceau d’indices convergents, assurant par exemple que la nature pandémique du Covid 19 est inexplicable si l’on part de l’hypothèse que le virus provient d’un animal et qu’il a été accidentellement transmis à l’homme : seul un virus modifié par des laboratoires compétents, de sorte qu’il soit transmissible à l’homme, pourrait expliquer une telle pandémie. Mais ce n’est pas la Chine qui est dans le viseur de Hold-up. Nous savons en effet que c’est non seulement en Chine mais également en Europe et aux États-Unis que des laboratoires de recherche mènent des expériences biologiques sur des virus. Et la voix off qui oriente le spectateur tout au long de cette enquête s’interroge : « Pourquoi manipulent-ils la nature ? ». L’idée que ce soit pour mieux connaître les maladies virales et les soigner n’est pas même envisagée. Une autre réponse se dessine peu à peu : c’est une machination de « Big Pharma ». Comme la plupart des millions de gens qui ont visionné le documentaire, je ne suis pas immédiatement en mesure de vérifier cette thèse comme il le conviendrait. Je dois donc me fier à ce que m’en dit Hold-up, ou m’en défier : quelle est l’origine du Covid 19 et qu’est-ce qui explique sa virulence pandémique ? En attendant d’être mieux informé, je peux toutefois discerner, parmi les informations que véhiculent le documentaire, celles qui me paraissent les plus vraisemblables. Or il se trouve qu’un intervenant, Mickael Levitt, prix Nobel de Chimie en 2013, explique, lors de sa seconde apparition (1h54) : « La question de savoir si le virus vient d’une source naturelle ou non, je ne sais pas, je pense qu’il est très peu probable que ce soit un virus manufacturé, mais je pense que la peur, elle, a été créé ». Levitt ne peut pas certifier que l’origine du virus est naturel. Il manque d’informations. Mais en l’état de ses connaissances, il juge que c’est la thèse la plus vraisemblable : une transmission accidentelle de l’animal à l’homme, autrement dit une origine naturelle. Mais le documentaire a pourtant suivi une autre piste : des indices ont été accumulés visant à prouver l’origine artificielle du virus. Pourquoi, en effet, des scientifiques entreprennent-ils de « manipuler la nature » dans des laboratoires, sinon pour paver la route du transhumanisme ? Je reste sceptique. Levitt, s’il désavoue les confinements imposés par les puissances publiques, ne croit cependant pas à l’origine « manufacturée » du virus. Et les réalisateurs n’ont pas soumis à son appréciation les preuves ou indices du contraire qu’ils ont pour leur part soigneusement réunis. Il est vrai que chimiste de renommée internationale, Levitt sait que les scientifiques manipulent la nature pour la connaître, non pour vouer un culte au diable. Mais les réalisateurs du documentaire n’en ont cure : ils retiennent de ce qu’il a dit que « la peur, elle, a été créée », et ils maintiennent par ailleurs que l’origine du virus est vraisemblablement manufacturée, sinon « pourquoi manipulent-ils la nature ? » L’un des réalisateurs de Hold-up, Pierre Barnérias, est un fervent partisan de la « Manif pour tous » et un amoureux de la nature. Mais de là à conclure qu’il serait prêt à accuser Pasteur de sorcellerie, ce serait exagéré, d’autant qu’on ne peut décemment envisager, ne serait-ce qu’un instant, que les médias « mainstream » dans lesquels ce journaliste a longtemps exercé (France-Info, TF1, etc.) abritent de tels énergumènes.

Thèse n°2. Les mesures gouvernementales visant à endiguer l’épidémie – confinement, port obligatoire du masque, etc. – sont plus nocives que le virus lui-même. C’est une question qui a été abordée dans tous les médias, concernant au moins le confinement. Personne n’ignore en effet que pour la majorité des gens les conséquences économiques du confinement sont désastreuses et qu’on est aujourd’hui incapable de les estimer ; ce à quoi s’ajoutent d’autres conséquences désastreuses, psychologiques, affectives, mentales, etc. Mais sur ce point, le documentaire n’apporte rien de bien nouveau et surtout, du fait qu’il anéantit délibérément la contradiction, à savoir les arguments de ceux qui évoquent les conséquences désastreuses qu’aurait pu engendrer l’absence de confinement, il ne permet pas au spectateur de se faire une idée adéquate du problème posé. Il le conduit plutôt à s’en faire une idée inadéquate. Hold-up prétend que le Covid 19 est une grippe bénigne que le traitement du professeur Raoult peut soigner. Mais en temps normaux, les urgences et les services de réanimation ne connaissent pas les afflux de malades graves qu’ils ont connus durant l’épidémie de Covid 19. Et Hold-up ne prétend pas que les informations diffusées à ce sujet par les médias en France, en Italie, en Espagne, aux États-Unis, au Brésil, etc., sont le fruit d’une vaste campagne de désinformation. Il préfère les passer sous silence. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans la construction de ce documentaire, car si, comme il l’assure, la pandémie de Covid 19 est l’infernale machination d’une poignée d’hommes d’affaires s’employant à prendre la tête d’une « dictature mondiale », alors rien ne les empêchait de diffuser de fausses images de services de réanimations engorgées. Des campagnes de désinformation massive ont déjà eu lieu par le passé. Mais à l’évidence, les réalisateurs de Hold-up savaient que tourner en ridicule les applaudissements des Français honorant les soldats de la médecine durant la première vague de la pandémie, cela ne plairait pas. Ils ont donc esquivé. C’est pourtant le principal problème qui est posé par cette pandémie : faut-il confiner, au risque de ruiner l’existence matérielle, psychologique, affective, de millions de gens dont les conditions de vie économique et sociale « en temps normaux » sont trop précaires pour supporter les conséquences d’un confinement ? Ou ne faut-il pas confiner, au risque que la propagation exponentielle du virus décime les organismes les plus faibles, personnes âgées, malades chroniques, etc., et désorganise possiblement toute l’économie, si de jour en jour des centaines de milliers de gens viennent accroître le nombre des travailleurs alités ? Pour se faire une idée de ce qu’est une croissance exponentielle, recourons à un fait de l’histoire universelle des mathématiques, tel que le rapporte David Berlinski dans La Vie rêvée des maths (chapitre 11) :

L’historien arabe al-Ishaqui raconte que le calife al-Mamun, souhaitant récompenser un fidèle serviteur, invita le vieil homme à faire un vœu. […] Il écarta l’or et l’argent : de simples choses auxquelles il n’attachait aucune valeur. Avec un sourire énigmatique, il demanda enfin qu’un seul grain de blé soit placé sur la première case d’un échiquier, puis doublé chaque jour à compter de ce jour jusqu’à ce que la dernière case soit remplie. […] Forcé de se débrouiller seul, le calife ne peut qu’essayer de deviner, incorrectement, la nature de la croissance. La fonction f(t) = 2^(t-1), elle, décrit précisément le processus. À nouveau forcé de se débrouiller seul, le calife ne peut qu’estimer, incorrectement, le nombre de grains qu’il faudra au soixante-quatrième jour. La fonction, elle, donne précisément le nombre 2^63.

Le nombre des grains de blé devant au terme du processus recouvrir l’échiquier est donc 2^63, soit, si mes calculs sont bons : 9 223 372 036 854 775 808. Le calife est sorti ruiné, et endetté, incapable qu’il est de remettre au mathématicien ce qu’il doit. Cela représente en effet une quantité de blé astronomique. Transposez maintenant les grains de blé en malades du Covid, et vous avez une idée de ce que représente une courbe exponentielle de rapport « un malade contamine deux personnes en moyenne », soit la fonction f(t) = 2^(t-1). « C’est cette fonction qui décrit ce qui se passe sur l’échiquier ployant sous le poids du blé. Tout d’abord, 2^(t-1) vaut 1. Le premier jour, il y a un grain de blé sur l’échiquier. Ensuite, 2^(t-1) vaut 2. Fructifiant en accord avec les ordres du calife, les grains ont doublé, et ainsi de suite jusqu’au moment où l’échiquier se casse ». Car aucun échiquier au monde ne peut supporter le poids de milliards de milliards de grains de blé, soit 2^63. Autrement dit, à mesure que les quantités sont doublées, elles croissent, et à mesure qu’elles croissent, leur doublement devient gigantesque, et le calife perd le contrôle.

Pour ou contre le confinement, le port du masque, etc., ce n’est donc pas une question simple. Or dans ce documentaire qui prétend traiter de la pandémie, la question des conséquences possibles d’une croissance non maîtrisée de la maladie virale n’est jamais abordée, et le mot « exponentiel » pas seulement prononcé. Mickael Levitt, qui m’a paru être quelqu’un de sérieux, explique que dans le bateau de croisière au large de l’Asie, il y avait 3 000 personnes, soit une densité de 250 000 personnes au km2, 40 fois plus que dans la ville la plus dense du monde, Hong Kong, et sur ce bateau 20% des gens ont été infectés, et 7 sont morts. Rapporté à la population de la Grande Bretagne, cela laissait augurer 55 000 décès du Covid, et rapporté aux États-Unis 220 000 décès. Et Levitt d’observer que c’est en effet ce qu’il s’est passé. Il était donc possible d’avoir ces estimations dès le départ, en projetant sur la population mondiale le taux de mortalité sur le bateau de croisière. Et selon Levitt, cela prouve que le confinement était une aberration, puisqu’il n’a pas modifié le nombre de victimes, mais seulement ajouté un second désastre, plus désastreux encore que le premier. Le raisonnement de Levitt comporte toutefois une faille, qui est que dans le bateau de croisière en question, les gens ont été confinés. Combien de morts aurait-on déploré s’ils ne l’avaient pas été ? Je ne sais pas répondre à cette question. Et n’ayant pas l’adresse e.mail de Levitt, je ne suis pas en mesure de la lui poser. Quant à attendre des réalisateurs de Hold-up qu’ils posent ce genre de question aux différents intervenants, c’est comme attendre d’un chimpanzé qu’il vous récite un sonnet de Shakespeare au clair de lune.

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Un autre document

https://www.partage-le.com/2020/11/16/hold-up-comme-dhabit

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Un dernier pour la route

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/hold-up-la-p