Et si l’avenir de l’éducation ne passait pas par les écrans ?

Cela fait quelques années déjà que nos dirigeants politiques voient dans les écrans l’avenir de l’éducation

Les « États-généraux du numérique pour l’éducation », les 4 et 5 novembre dernier, ont marqué une étape supplémentaire dans l’avancée de ce projet politique en entérinant toutes les orientations prônées par la « Ed Tech » – ou technologie de l’éducation – sans qu’aucune voix dissonante ne puisse y être entendue.

Après le « Plan numérique pour l’école » de François Hollande, le passage aux lycées 4.0 en régions Île-de-France et Grand Est, les tablettes distribuées par les conseils départementaux et régionaux aux élèves un peu partout, l’« école élémentaire 4.0 » inaugurée dans le Val d’Oise par le Ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer en septembre dernier, la multiplication d’écrans dès la première année de maternelle, doit-on s’attendre à voir arriver des tablettes pour bébés à la crèche… ?

Mais pour quelles raisons, au juste, faut-il à tout prix remplacer livres et cahiers – bientôt les enseignants ? – par des écrans ? Comme l’a bien montré Naomi Klein, une « stratégie du choc » est à l’œuvre de la part des entreprises du numérique à l’heure de la lutte contre le Coronavirus. Le confinement et l’enseignement à distance sont venus donner un formidable coup d’accélérateur à un projet déjà bien pensé mais encore peu osé.

Pourtant, un nombre chaque jour croissant de parents, d’enseignants et autres personnels de l’éducation nationale découvre avec effroi les effets néfastes de la surexposition aux écrans et refuse que l’école républicaine ne se transforme elle aussi en kaléidoscope géant, après nos maisons, nos gares et nos rues. Nos associations se font ici l’écho de ce refus, comme nous l’avons écrit à travers deux courriers adressés au gouvernement, aux Présidents d’exécutifs locaux et à l’ensemble des parlementaires, restés à ce jour lettres mortes1.

Une catastrophe éducative et sanitaire

Aucune étude indépendante n’est parvenue à démontrer un impact positif du numérique sur les apprentissages, bien au contraire : dans l’étude PISA de 20152, les pays qui ont le plus bas niveau scolaire sont ceux qui utilisent le plus les outils numériques. Ô surprise, les humains transmettent mieux le savoir que les écrans. En outre, les effets délétères de la surexposition aux écrans sur la jeunesse sont constatés partout et également documentés par plus de 1 500 études internationales : troubles de l’attention, du sommeil, des apprentissages, retard de langage, troubles cognitifs, intolérance à la frustration, baisse de l’empathie, violence, cyber-harcèlement, isolement, dépression3… L’école doit-elle contribuer à augmenter le temps d’écran, déjà supérieur à la moitié du temps éveillé pour une majorité de collégiens et lycéens ou au contraire offrir un havre de déconnexion ?

Une aberration écologique, économique et sociale

Ce drame sanitaire et éducatif immédiat est aussi une aberration politique à long terme. Comment concilier les ambitions écologiques indispensables à l’heure du réchauffement climatique et l’achat massif d’objets polluants lors de leur fabrication et de leur utilisation ? Pour rappel, le numérique représente d’après le Shift Project 4% du total des émissions de gaz à effet de serre, soit davantage que le secteur aérien, et connaît une hausse constante, que la numérisation de l’éducation alimente. L’argent public dépensé – près de 2,5 milliards d’euros depuis 20134 – dans des tablettes obsolètes tous les trois ans ne serait-il pas plus utile, par exemple, dans le recrutement de personnel ou la réparation des écoles vétustes ?

Toutes ces raisons poussent de plus en plus de parents d’élèves à retirer leurs enfants de l’enseignement public pour les inscrire dans des établissements privés sans écrans, accentuant ainsi les inégalités sociales. Un phénomène déjà bien ancré aux États-Unis où les parents de la Sillicon Valley paient l’éducation Waldorf sans écran jusqu’à 14 ans, tandis que dans le public on n’apprend même plus à écrire dans 45 États sur 50. C’est pourquoi certains territoires français, à l’instar du Loiret, font marche arrière et retirent l’équipement numérique destiné aux enfants.

Une farce démocratique

Comme pour la 5G, imposée en France en dépit des dangers de l’exposition aux ondes et du coût écologique, qui rendent une majorité de Français sceptiques, c’est la stratégie du bulldozer qui est adoptée. Dans la « voie unique vers le progrès » justement dénoncée par Bruno Latour, l’opposition au « numérique éducatif » est niée, elle n’est pas conviée à des États-Généraux qui rassemblaient avant tout la Ed Tech et ses promoteurs publics et dont on se demande bien ce qu’ils avaient de « généraux ».

Comme pour la 5G, le gouvernement confond « Révolution » et « putch », en imposant par le haut des décisions arbitraires au seul profit de secteurs industriels, et dans le déni complet de l’élémentaire principe de précaution et de souci du bien commun.

Nos associations veulent encore croire en l’école publique, gratuite et de qualité, qui ouvre les esprits au lieu de les formater, en la lecture approfondie de textes et en l’écriture manuscrite, alliées de la mémoire, de la réflexion et de l’intelligence. Elles veulent encore croire en une école au sein de laquelle le savoir est transmis non par des machines et des algorithmes, mais par des humains, libres et éclairés.

Associations signataires

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1 Seul le cabinet du Ministre de l’Éducation nationale a daigné nous répondre et nous attendons une date de rendez-vous…

2 OECD, « Students, computers and learning : making the connection ( PISA) », oecd, 2015.

3 Etudes accessibles sur le site du collectif COSE : www.surexpositionecrans.org ou dans l’ouvrage La Fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget, Seuil, 2019.

4 Rapport de la Cour des comptes de 2019 : Le service public numérique pour l’éducation (dépenses de 2013 à 2017).