Grenoble, le laboratoire Vert

Un document de « Pièces et main d’œuvre »

Extraits

Après avoir méprisé et combattu les idées écologistes et anti-industrielles des décennies durant, les technologistes Verts les détournent lorsque celles-ci rencontrent une approbation dans l’opinion. C’est le cas avec la contestation des capteurs Linky et de la 5G. Eric Piolle, quand il n’oeuvre pas à maintenir l’avance grenobloise dans les technologies de la smart city, détourne nos arguments contre la ville-machine pour récupérer ce refus du « tout-connecté ».

A Grenopolis, le Vert Eric Piolle inaugure un bâtiment de Schneider Electric consacré aux « solutions smart city » et à l’Internet des objets. Huawei, le champion chinois de la 5G, installe un centre de recherche & développement, comme avant lui IBM, Orange, STMicroelectronics et tant d’autres opérateurs de la société de contrainte appâtés par le « laboratoire grenoblois ».

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Comment expliquer qu’une ville dont l’essor (économique et démographique) est autant lié aux révolutions industrielles successives affiche depuis l’élection municipale de 2014 une étiquette « écolo » ?

Mais tout l’arc politique, en dehors de Marine le Pen, se prétend « écolo » aujourd’hui.

Macron aussi bien que Mélenchon, et tous s’empressent de dire que « l’écologie n’appartient à personne ». C’est-à-dire surtout pas à ceux qui depuis des décennies se sont battus pour la défense du « vivant politique » (c’est l’homme selon Aristote), dans un milieu vivant (la nature).

A Grenoble, tandis que le Comité Malville organisait la manifestation historique contre Superphénix du 31 juillet 1977, les récupérateurs s’affairaient déjà à monter des listes de candidats aux municipales1. Les uns scandaient « société nucléaire, société policière », les autres engageaient ce mouvement tournant qui les conduisit à siéger dans les « commissions locales d’information sur le nucléaire » et à briguer des postes dans la cogestion des nuisances, nucléaires et autres.

L’écologisme électoral a toujours fait de bons scores à Grenoble. Ses représentants ont dirigé la ville entre 1995 et 2014, avec un maire nucléariste (le socialiste Michel Destot, ex-ingénieur du Commissariat à l’énergie atomique). « Je n’ai pas en tête un seul dossier que je n’ai pas pu réaliser à cause des Verts », disait celui-ci en 2008. Ajoutons : ils ont contribué de toute leur expertise technicienne au succès de la technopole grenobloise, à la durabilité et à l’acceptabilité de son développement.

Entre autres méfaits, ils ont soutenu en 2006 la création de Minatec, premier pôle européen de nanotechnologies. Ils assuraient alors : « C’est la poursuite du modèle de développement grenoblois qui a été une réussite par le passé […]2. »

Ces « écologistes » sont à l’image de la sociologie locale. Majoritairement des chercheurs, ingénieurs, universitaires : des technocrates pour qui toute solution est technologique, qui n’ont aucun intérêt à la remise en cause de l’organisation scientifique du monde.

Ils sont les meilleurs techniciens du système, sempiternels dénonciateurs de ses « dérives » et de ses « dysfonctionnements », sans jamais remettre en cause un système dont la disparition les rendrait eux-mêmes superflus.

Eric Piolle avait le profil pour l’emporter : ingénieur Hewlett-Packard, il a fait campagne sur son expérience de manager « à l’international » capable de gérer des millions d’euros. Pour que se poursuive la fuite en avant technologique, il faut simplement et absolument remplacer le mot « technologique » par « écologique ». De même que le « vert » (« écologiste ») est le nouveau nom du « rose » (« socialiste »). Il s’agit du même personnel et du même électorat, et ce n’est pas spécifiquement grenopolitain.

S’agit-il selon vous d’une réaction aux ravages de l’industrialisation dans une ville qui en a été le témoin direct, ou d’une banale opération de greenwashing ?

Un siècle de progrès sans merci et de destructions imposées pour l’attractivité du territoire a saccagé la montagne, rendu l’air de Grenopolis irrespirable et entassé une population dix fois augmentée (de 40 000 à 450 000 habitants) dans une cuvette cernée de sites Seveso et criblée de sites nucléaires. Les vrais écologistes, les anti-industriels, sont les fantômes de notre époque. Ils hantent la conscience et l’inconscient collectifs, comme un remord ou une aspiration ; toutes les puissances de ce monde, scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs, politiciens, alertent de manière hystérique contre les « décroissants », « radicaux », « catastrophistes », etc. Maintenant que les faits ratifient les discours des « prophètes de malheur », la technocratie fait donner son corps scientifique (GIEC et ingénieurs des Green Tech) pour imposer sa gestion de la catastrophe.

A Grenoble comme ailleurs, la fumée (verte) signale l’incendie : elle ne l’éteint pas. Les technologistes Verts sont jugés les plus aptes à mettre en oeuvre les solutions d’acclimatation. Aussi rien dans leurs actes depuis 2014 ne rompt avec « le modèle de développement grenoblois ». Piolle s’en vante d’ailleurs pour défendre la candidature de Grenoble au titre de Capitale verte de l’Europe – un énième accélérateur de développement : « Du fait de ma carrière de cadre dirigeant dans l’industrie, je sais qu’innover au bon moment est la clé de la réussite économique. […] De la révolution numérique aux recherches sur l’infiniment petit, à chaque fois Grenoble est en avance… c’est dans son ADN ! […] Tout le bassin de vie accueillerait décideurs et investisseurs internationaux pour accélérer nos projets […]3 ». Ce que tous les maires techno-progressistes de Grenoble ont clamé depuis un siècle, chacun suivant les innovations du moment.

Vous avez à de nombreuses reprises parlé d’« enfer vert » pour qualifier la convergence d’une certaine écologie politique et du discours technocratique. Pensez-vous que cela s’applique tout particulièrement à la situation de Grenoble et de sa Métropole ? Si oui, comment ?

A Grenopolis, le Vert Eric Piolle inaugure un bâtiment de Schneider Electric consacré aux « solutions smart city » et à l’Internet des objets. Huawei, le champion chinois de la 5G, installe un centre de recherche & développement, comme avant lui IBM, Orange, STMicroelectronics et tant d’autres opérateurs de la société de contrainte appâtés par le « laboratoire grenoblois ».

Grenopolis, mère de toutes les technopoles4, devient une smart city à vitesse accélérée sous la direction des Verts, au nom d’une gestion rationnelle des ressources résiduelles : c’est l’écocitoyenneté assistée par ordinateur. Les Smartiens grenoblois paient le bus avec leur smartphone, jettent leurs déchets dans des poubelles pucées et emprunteront bientôt des livres pucés à la bibliothèque ; ils sont filmés et « captés » sur la voie de covoiturage pour s’assurer qu’ils ne roulent pas seuls dans leur voiture. Leur domicile est équipé de compteurs de fluides connectés (pas le banal Linky, mais les mouchards « encore plus intelligents » (sic) des distributeurs locaux). Mère-Machine capte, analyse et anticipe leurs habitudes et leurs besoins ; elle s’occupe de tout.

Seule la machinerie cybernétique peut piloter efficacement les flux et les stocks toujours plus nombreux de marchandises, de populations, de véhicules, en éliminant l’erreur humaine.

Destruction de la nature et de la liberté. Ce n’est pas le futur, mais notre présent ici, à Grenopolis.

Voyez-vous dans ce discours écologiste officiel une opportunité pour défendre vos thèses, ou bien un leurre qui va détourner l’opinion publique des vrais sujets ?

Après avoir méprisé et combattu les idées écologistes et anti-industrielles des décennies durant, les technologistes Verts les détournent lorsque celles-ci rencontrent une approbation dans l’opinion. C’est le cas avec la contestation des capteurs Linky et de la 5G. Eric Piolle, quand il n’oeuvre pas à maintenir l’avance grenobloise dans les technologies de la smart city, détourne nos arguments contre la ville-machine pour récupérer ce refus du « tout-connecté ».

Ces brouillages politiciens tuent les idées et perdent les esprits. Les Verts s’en tiennent systématiquement à des arguments superficiels (les risques sanitaires, le coût financier) au prétexte que la population y serait plus sensible. Ils l’ont fait avec les OGM, le nucléaire et les nanotechnologies, ils continuent avec la 5G. Jamais leur critique ne va à la racine : le bouleversement de nos vies, de nos villes, de la société et du monde imposé par le technototalitarisme.

Au contraire oeuvrent-ils à son acceptabilité en réclamant un « encadrement législatif », des « normes sanitaires » ou des « conventions citoyennes ». Un empoisonnement radioactif au-dessous des seuils légaux et une population dotée de pastilles d’iode leur conviennent, de même qu’un monde-machine piloté par des algorithmes éthiques.

Quant à nous, nous ne voulons pas d’un monde-machine aux normes HQE, mais d’un monde vivant pour les êtres vivants.

Ne vous réjouissez-vous pas de voir cités Ellul et Charbonneau, même si d’une façon qui ne vous convient pas ?

Ellul et Charbonneau ont protesté par avance contre les récupérations de leurs prétendus héritiers.

Ellul : « L’écologie n’a rien à gagner à se transformer en parti politique et à se livrer au combat électoral (…) Il manque aux écologistes une analyse globale du phénomène technique et de la société technicienne »5.

Et encore : « Il faut radicalement refuser de participer au jeu politique, qui ne peut rien changer d’important dans notre société6. »

Après avoir été méprisés par les universitaires durant les décennies où ils ont défendu seuls la nature et la liberté, trahis par leurs anciens élèves devenus cadres chez les Verts (Mamère, Bové, Pierre Hurmic, le nouveau maire de Bordeaux), Ellul et Charbonneau voient maintenant leurs propos falsifiés en éléments de langage par des arrivistes qui font la part du feu (vert).

Ce ne sont pas les récupérateurs Verts qui font aujourd’hui connaître Ellul et Charbonneau, mais le mouvement écologiste anti-industriel qui n’a cessé de transmettre leur héritage, de les republier sur papier et sur Internet7, d’organiser des rencontres à leur sujet. Jusqu’à ce que les noms des deux libertaires gascons arrivent aux oreilles vertes.

Pour finir, l’écologie peut-elle être politique ?

L’écologie est un malentendu politique. C’est d’abord le nom d’une science fondée et nommée comme telle par Ernst Haeckel (1834-1919), un biologiste darwiniste, en 1866, dans sa Morphologie générale des organismes. Oikos, demeure, habitat, milieu ; logos, science, discours. « Science des êtres vivants dans leur milieu ». Haeckel était en outre et en vrac un dessinateur remarquable, un militant libre-penseur, eugéniste et raciste, dont les nazis reprirent les pires idées8.

Ça commençait mal. Qu’en plein siècle du machinisme et de l’expansion industrielle se développent des sciences vouées à l’étude du vivant, biologie, écologie, a quelque chose d’inquiétant. Aussi, nos véritables anciens ne sont pas les scientifiques écologistes, mais les naturiens et naturistes politiques, ces anarchistes et libres-penseurs de la fin du XIXe siècle, tel le géographe Elisée Reclus (1830-1905), ennemis de la Machine, végétariens, nudistes, partisans d’une vie saine et du retour à la terre qui luttèrent en vain contre l’industrialisme de leurs camarades socialistes et libertaires9.

Ils furent si bien écrasés et occultés que lors de la résurgence du mouvement de défense du vivant, dans les années 1960, les militants se rangèrent sous l’égide de la science et de « l’écologie », respectable, rationnelle, scientifique en somme ; et non pas du côté de la défense de la nature, toujours suspecte de sensiblerie, de sentimentalisme et d’émotions irrationnelles, politique en somme. En réalité les anti-industriels ne sont pas des écologistes, mais des naturistes.

Reste que ce mot d’« écologie » est le seul mot nouveau qui soit apparu en politique depuis 50 ans. Le seul qui rassemble aux yeux du grand public les « écolos » dans toutes leurs nuances et  contradictions, et qu’il en sera ainsi tant que les mots de « nature » et de « naturistes » n’auront pas remplacé ceux d’« écologie » et d’« écologistes ».

Notes

1 Cf. « Memento Malville. Une histoire des années soixante-dix », Pièces et main d’oeuvre (2005)

2 Le Rouge et le Vert n°84 fév/mars 2002

3 Présences, magazine de la Chambre de commerce et d’industrie, 11 mars 2019

4 Cf. Sous le soleil de l’innovation, rien que du nouveau ! Pièces et main d’oeuvre (L’Echappée, 2013)

5 J. Ellul, P. Chastenet, A contre-courant. Entretiens (1994)

6 J. Ellul, Anarchie et christianisme (1988)

7 Voir notamment le site La Grande Mue consacré à Bernard Charbonneau, et la récente publication de L’Etat (éditions R&N) et de Le Totalitarisme industriel (éditions l’Echappée). Ou aussi « Lisez Ellul ! Lisez Charbonneau ! » sur :

http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=904

8 Cf. André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler, Ed. Flammarion, 2000

9 Cf « Les naturiens. Notre Bibliothèque Verte n°9 », Renaud Garcia, sur

www.piecesetmaindoeuvre.com