Fukushima, le 11 mars 2011

Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima

Un livre de Jean-Marc Sérékian

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Menace nucléaire sur l’Europe

 

Epilogue : Aujourd’hui ou Jamais                                                                          

La sortie du nucléaire est désormais à l’ordre du jour en Europe occidentale. Dix ans après Fukushima, tous les pays de l’ancien espace du pacte Euratom renoncent à l’électronucléaire. Les peuples ont tranché et les gouvernements ont suivi, partout en Europe, sauf en France. Les décisions ont été rapides, immédiatement après Fukushima, il y a maintenant dix ans et, désormais, elles sont irrévocables, aucun gouvernement et probablement aucun coup d’Etat militaire ou prise du pouvoir par l’extrême droite ne pourra renverser ce processus historique. La flamme nucléaire s’est éteinte sans jamais satisfaire ses promesses d’origine. Durant le demi-siècle qui suivit le bombardement d’Hiroshima, l’aventure universelle en physique atomique et la promesse humanitaire d’énergie abondante par l’électronucléaire se sont très vite transmutées en imposture brutale et régulièrement catastrophique ; mais, dès le début, personne n’a été dupe.

La prolongation du nucléaire après Tchernobyl releva de l’arbitraire militaro-industriel. La catastrophe en Ukraine avait révélé à nouveau ce qui était su dès le début du lancement des programmes électronucléaires et que la production culturelle de l’ignorance (1) par l’industrie du mensonge (2) tentait toujours de dissimuler. Les nucléocrates, chercheurs, ingénieurs et militaires de l’atome n’avaient résolu aucun des impératifs de sûreté nucléaire parfaitement identifiés dès les origines.

Hors Euratom en Europe, il y eut le cas singulier et hautement significatif de la Suède puisqu’il fut dans ledit « modèle scandinave » particulièrement symptomatique du caractère anti-démocratique et militaire du nucléaire. Dans ce pays, comme en France, aux Etats-Unis et partout ailleurs, la ferveur nucléaire n’a jamais brûlé dans le cœur des Suédois et des Suédoises. Juste après Three Miles Island et peu de temps avant le traumatisme européen de Tchernobyl, un référendum avait conquis une sortie du nucléaire et l’élite politique du pays l’avait prévue très loin, en 2010. Mais, perfidie de la classe dirigeante,  l’abandon de l’atome fut ajourné dans l’intervalle. La décision traîtresse des parlementaires imposant la prolongation de l’électronucléaire fut prise la veille de Fukushima. Comment comprendre cette perfidie ? Point de mystère, les séquelles de la  guerre, la logique militaro-industrielle ! A l’instar de la France, l’exemplaire « pays neutre » qu’était la Suède a largement collaboré avec le régime nazi par le commerce de ses richesses minières en fer et de ses savoir-faire durant la Seconde Guerre mondiale. Au cours de ce conflit, une secrète alchimie blanchissait l’Or nazi en Argent suisse immaculé qui, à son tour, se transmutait en Fer suédois (3). Dans l’après-guerre, avec la même célérité militaire que la France, ce pays développa très tôt dès les années 1940 une industrie nucléaire (militaire). Ce lourd passif du capitalisme militaro-industriel peut expliquer la perfidie itérative des élites durant les années 2000 puis dans la décennie qui suivit Fukushima.  Car, après la catastrophe nucléaire au Japon, les fourberies parlementaires continuèrent. Le même pouvoir oligarchique réussit, encore une fois, à ajourner la sortie du nucléaire avec une nouvelle échéance très lointaine en 2040. A cette date, la classe politique promet un « 100% renouvelable »… Ces promesses non tenues, ces trahisons itératives révèlent le divorce entre l’élite dirigeante et le peuple et bien sûr le caractère foncièrement anti-démocratique à la fois du nucléaire et des institutions parlementaires… On comprend dès lors que le peuple, qui n’est pas dupe, refuse le nucléaire mais que l’oligarchie industrielle dispose à son service exclusif de la machinerie parlementaire pour imposer ses volontés dans son décorum démocratique irréprochable depuis sa rapide montée en puissance initiée par ses fructueuses affaires durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, derrière le « modèle exemplaire de démocratie scandinave », tant vanté durant des décennies par la presse française, on retrouve comme en France la même férocité d’un complexe militaro-industriel prêt à toutes les vilenies pour perpétuer son industrie fétiche.

Mais il y a pire. En contraste radical avec les pays qui sortent ou qui, pour ne pas sortir, promettent de sortir, en France, dans les hautes sphères, l’aveuglement est total. Il n’est toujours pas question de sortie du nucléaire et encore moins de référendum sur l’avenir à donner à l’électronucléaire. L’avenir est radieux… jusqu’en 2100, même si le réacteur de 4e génération tant vanté a déclaré forfait en 2019. Comme le signalent de nombreux observateurs depuis le lancement du programme électronucléaire, et comme on l’a vu au cours de ce texte, la principale puissance nucléaire qui menace la France, son territoire et sa population n’est autre que l’Etat français. Et comme le perçoivent désormais clairement les pays  frontaliers depuis Fukushima, la menace s’étale à l’ensemble de l’Europe.

Nul ne l’ignore depuis Tchernobyl, à l’instar de l’URSS, les dénis de démocratie et de réalité ne sont pas sans conséquences, ils deviennent dangereux et autodestructeurs. Car ils imposent une seule porte de sortie, la pire : l’événement nucléaire catastrophique. A ce moment de vérité, l’état-major militaire français ne pourra pas faire mieux que l’élite industrielle japonaise : entre-ouvrir les yeux, constater la réalité de la catastrophe et, s’il ne sombre pas dans le fanatisme, accepter la défaite comme au Japon et arrêter le nucléaire en France. Mais il sera trop tard, comme au Japon, la catastrophe maintiendra à jamais la France, mais aussi l’Europe, dans l’ère nucléaire.

La décennie 2010 a été riche en évènements inquiétants et révélateurs : violences policières à Bure, révélations de malfaçons, perfidie de l’élite politique, scandale financier d’UraMin, fiasco technologique de l’EPR, tartuferie en tous genres des agences de sûreté nucléaire et de radioprotection… Bref, un tableau de république bananière où dominent le mensonge, la corruption, l’arbitraire et l’irresponsabilité des élites. Tout ce remue-ménage à tous les étages de l’appareil d’Etat et du pouvoir politique et scientifique vient, encore une fois, inutilement démontrer l’imposture énergétique de l’électronucléaire et confirmer à nouveau le caractère foncièrement militaire et criminel du nucléaire.

Au Japon on retrouve,  décrite dans « Les Sanctuaires de l’Abîme (4) », « la chronique du désastre de Fukushima » où se révèle au jour le jour le même tableau de corruption criminelle du pouvoir nucléaire. Mais avec l’antécédent d’Hiroshima et Nagasaki, le drame Japonais en devient profondément affligeant pour ceux qui se souviennent de l’histoire du pays. Fukushima révéla à nouveau la vilenie et la perfidie foncière de l’élite dirigeante japonaise, inchangées depuis l’ère Meiji et le développement du capitalisme militaro-industriel du pays. Avec la fin brutale de la guerre au service de l’industrie et de l’expansionnisme militaire pour le développement du capitalisme, le nucléaire fut une sorte de planche de salut pour les milieux d’affaires nippons. Au Japon, l’électronucléaire trouva son origine aux Etats-Unis. La puissance militaire qui décida des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, imposa aussi, dès les années 1950, le lancement du programme électronucléaire et les américains trouvèrent sans difficulté au sein de l’aristocratie militaire et de l’élite dirigeante japonaises des collaborateurs particulièrement zélés. Comme aux Etats-Unis et sans originalité, l’industrie des biens culturels, proposa ses bandes dessinées et ses dessins animés (mangas) pour rendre sympathique l’atome… Un petit robot infantile du nom de « Tetsuwan Atomu » (Atome puissant) pourvu d’un cœur atomique fut inventé pour l’occasion par Tezuka Osamu, le Walt Disney japonais (5). Bien sûr, le Big Brother transnational du dessin animé, Walt Disney Co., est allé au Japon prêter main-forte à son disciple nippon… et surtout à la CIA, maître d’œuvre spirituel, pour donner du cœur à l’ouvrage dans cette radieuse entreprise de la nouvelle ère atomique.

En France aussi, sans originalité culturelle et avec le même arbitraire, l’électronucléaire a été imposé directement par l’état-major militaire. Derrière son costume civil costard-cravate, M. le Premier Ministre Pierre Messmer fut bien un chef militaire de sinistre mémoire pour ceux qui connaissent l’Histoire de la reconquête de l’Empire colonial. Comme au Japon, le matériel Westinghouse arriva tout prêt des Etats-Unis…

Au cours de la décennie qui suivit Fukushima, ce furent bien les méthodes militaires, la brutalité armée et l’irresponsabilité morale envers les populations qui resurgirent au premier plan. Rien n’aura été épargné aux Français et, toujours sans souci de crédibilité, ils eurent droit à la même désinformation : le nucléaire verdi « carbone free », les tartuferies rhétoriques de l’ASN pour perpétuer le parc atomique délabré et celles sur la cuve de l’EPR de Flamanville, sans oublier l’imposture géologique du projet Cigéo à Bure.

Malgré ce tableau pitoyable et honteux arrivé sous les feux de la rampe, en fin de décennie post-Fukushima et désormais à contre-courant de l’Histoire, l’Etat-providence du nucléaire de France affirmait à nouveau sa volonté de relancer l’électronucléaire sur le territoire et à l’échelle internationale. Toujours en retard d’une guerre et plus que jamais guidée par son aveuglement atomique, la France, en la personne de son Président, s’imaginait en véritable superpuissance nucléaire militaire pour l’Europe entière. La veille de l’humiliation sanitaire de l’épidémie de coronavirus, le pensionnaire de l’Elysée, comme un « Trump tricolore », se posait en chef suprême de l’Union européenne pour monter en puissance les provocations atomiques et accroître ainsi le risque « d’Hiver nucléaire ».

Face à autant d’aveuglement et d’irresponsabilité morale au niveau de l’appareil d’Etat, il peut paraître dérisoire voire puéril de réaffirmer encore une fois l’urgence de la sortie du nucléaire en France. Il faut pourtant continuer à le faire, même si le système paraît verrouillé à tous les niveaux des pouvoirs politiques et militaro-scientifiques… Même si durant toute la décennie écoulée depuis Fukushima, les élus dans l’hémicycle n’ont pas cessé d’accorder leur caution à l’entreprise nucléaire.

Les menaces s’accumulent et, désormais, on en sait suffisamment sur les risques de catastrophes, largement aggravés avec le vieillissement du parc atomique. Refoulé depuis quatre décennies, on a découvert le potentiel mortifère de l’amoncellement des déchets radioactifs dans les zones de stockage en surface ; l’étude de l’enfouissement en couche géologique à Bure a lui aussi révélé de nouvelles menaces de perte de confinement et de contamination radioactive de l’environnement. On a illustré l’irresponsabilité foncière des nucléocrates et rappelé avec les violences policières permanentes l’origine militaire de l’entreprise électronucléaire. Qui peut croire encore à la « souveraineté énergétique de la France » par le nucléaire ? On a vu le déni de réalité et le déni de démocratie avec les passages en force et la désinformation permanente.

Au Japon comme en France, la décennie de Fukushima n’a pas été avare en révélations sur l’irresponsabilité et la brutalité du pouvoir nucléaire.  La Fronde aux frontières est  cependant venue rappeler que la menace nucléaire française concerne l’ensemble de l’Europe. Elle ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone

En mars 2020, l’épidémie de Covid 19  révélait soudain  la « Fragilité de la Puissance (6) » mais aussi l’irresponsabilité de certains choix technologiques déconnectés des besoins réels qui, forcément, en sacrifient d’autres. Avec son arsenal nucléaire, la France était prête à anéantir toute vie sur Terre mais se trouva fort dépourvue quand le coronavirus fut venu. Quelques 30 000 personnes périrent en 3 mois. L’impréparation sanitaire de la France n’échappa à personne. Il n’y eut pas de Pr Pierre Pellerin pour fermer les frontières avec l’anticyclone des Açores. Comble de l’aveuglement atomique, le pensionnaire de l’Elysée avait proposé la veille de l’épidémie de mettre ses missiles nucléaires en batterie pour assurer la protection de l’Europe. Pour ne rien arranger au tableau d’une République compradore,  dans le flux des découvertes peu flatteuses de ces temps difficiles il y eut la mise en évidence de l’extrême dépendance de l’économie française à la Chine… Et, à titre pas tout à fait anecdotique, la merveille aéronautique européenne avec toutes ses performances économiques et écologiques annoncées, le géant des airs l’A 380, n’a pas mieux résisté à l’épidémie de Covid-19.

Fukushima avait déjà révélé la menace de la puissance sûre d’elle-même sur elle-même. En un seul événement, le Japon fut frappé et fracturé par sa propre puissance nucléaire et prenait conscience de son extrême fragilité. Dans les « Sanctuaires de l’abîme, Chronique du désastre de Fukushima » on a pu découvrir le nombre invraisemblable d’équivalents Pr Pierre Pellerin au Japon pour nier la réalité sanitaire de la catastrophe nucléaire.  Mais au final, il y a bien eu un avant et un après Fukushima. Désormais, la fracture sociale est irréparable, l’élite dirigeante, démasquée, perdait à jamais sa crédibilité politique. De ce point de vue politique, l’Etat allemand, qui a fait le bon choix d’une sortie rapide du nucléaire, évite à la fois le discrédit social, la brutale chute de puissance économique et, il ne faut pas l’oublier, la perte catastrophique de territoire… Face à la nécessité de relocaliser l’économie comme l’a révélé l’épidémie en 2020, chaque kilomètre carré de territoire viable compte, même si c’est pour faire brouter des vaches et produire du lait pour les bébés chinois…

A l’échelle planétaire, la dépendance des systèmes complexes à des réseaux éclatés et dispersés génère de nouvelles insécurités parfois rapidement mortifères à la mesure des performances atteintes et vantées par les experts économistes. Mais, encore une fois, il s’agit de choix politiques et économiques arbitraires du capitalisme mondialisé.

Avec l’accumulation des déchets radioactifs, les Etats qui s’affirmaient en superpuissances technologiques se révèlent à la fois fragiles et menaçants pour leur propre territoire et population… Dans ce domaine, le nucléaire accumule tous les risques et, partout dans le monde, le minimum de doute, de débat et de démocratie qui pourrait servir de garde-fou fut sabré par l’arbitraire d’un pouvoir foncièrement militaire. Ce statu quo techno-totalitaire, hérité de la fascination d’Hiroshima, s’il est remis en cause dans la plupart des pays d’Europe, reste total en France. De ce point de vue, dans le temps historique des catastrophes technologiques, le second quinquennat présidentiel dans l’Hexagone de l’après Fukushima, réalise au-delà de l’imaginable l’enlisement narcissique dans la logique de superpuissance militaro-industrielle et, de ce fait, totalise tous les risques.

Même si la situation nucléaire nationale est verrouillée à tous les niveaux par l’aristocratie militaire avec un soutien ou un suivisme parlementaire servile ou désinformé, au 10e anniversaire de Fukushima il faut à nouveau rappeler l’urgence de la sortie du nucléaire.

Il faut bien se rendre à l’évidence des dix années de réalités nucléaires à nouveau révélées par Fukushima et en tirer les conséquences. La persistance en France, d’une industrie qui n’a plu les moyens de se perpétuer que par l’intensification du mensonge, de la spoliation des populations et les violences policières est une menace inacceptable pour l’ensemble de l’Europe.

Pour exprimer la nécessité historique de sortir du nucléaire face aux menaces désormais bien identifiées sur tous les fronts, évidentes depuis l’expérience de  Fukushima et l’émergence  explosive du danger des déchets radioactifs, on pourrait dire : la sortie du nucléaire, c’est aujourd’hui ou jamais. On sait que c’est possible, les scénarios ne manquent pas pour le faire au plus vite (7). Au Japon c’est fini, le jamais est déjà arrivé, comme à Tchernobyl, on ne sortira plus jamais du nucléaire, même si tous les réacteurs nucléaires ont été arrêtés. La contamination radioactive sur de vastes secteurs du territoire c’est à jamais. En plus des quantités immenses de déchets radioactifs accumulés en cinquante ans d’électronucléaire et du chantier interminable sur la centrale de Fukushima, de nombreuses surfaces de terre anciennement habitables et cultivables sont à jamais contaminées par la catastrophe du 11 mars 2011. Dix ans déjà !

 

Notes

 

Epilogue : Aujourd’hui ou Jamais

(1) Robert N. Proctor « Golden Holocaust, La conspiration des industriels du tabac », Ed. des Equateurs, 2014

(2) Sheldon Rampton, John Stauber, « L’Industrie du mensonge. Relations publiques, lobbying & démocratie » Ed. Agone 2012.

(3) Jacques R. Pauwels « Big business avec Hitler » Ed. Aden 2013

(4) Nadine et Thierry Ribault « Les Sanctuaires de l’Abîme, chronique du désastre de Fukushima » Ed. de l’Encyclopédie des nuisances 2012

(5) Philippe Pelletier  « la guerre de Fukushima » Hérodote n° 146-147 Ed. La Découverte 2012

(6) Alain Gras « La Fragilité de la Puissance Ed. Fayard 2003

(7) Pierre Lucot, Jean-Luc Pasquinet « Nucléaire arrêt immédiat – Pourquoi, comment ? » Le scénario qui refuse la catastrophe Ed. Golias 2009