La somptueuse, la puissante nudité de Corinne Masiero

Ce que cette nudité montre, rappelle, dénonce. D’une nudité à l’autre.

 D’une nudité à une autre. Il s’agit d’une expérience vécue par une petite fille de 6 ans :

« J’étais habillée pour quelque grande occasion – une belle robe de dentelle blanche, une ceinture bleue, des chaussures et des chaussettes bleues clair – et j’en tirais une vanité excessive (…) J’étais assise et j’espérais que quelqu’un se présenterait pour m’admirer dans toute ma gloire. Bientôt quelqu’un arriva  – une petite fille noire grande comme moi mais maigre et anguleuse, paraissant affamée, avec pour tout vêtement une vieille robe en lambeaux couleur de cendres. Jamais je n’avais vu, ni revu depuis, une telle envie muette sur un visage. L’enfant que j’étais ne put le supporter ; cela me frappa au cœur. Je ne pouvais tolérer l’idée que j’avais tant, et elle si peu. Alors je sautai à terre et enlevai tout ce que j’avais sur moi, jusqu’à mes chaussures bleues, la joie de mon cœur d’enfant, et donnai le tout, sous-vêtements compris, à la petite fille noire. Je la regardai tandis qu’elle décampait suffocant de joie. Puis je rentrai à la maison complètement nue, me demandant pourquoi j’avais fait cela et comment expliquer mon inexplicable conduite. Assez étrangement Père et Mère semblèrent comprendre plutôt bien ce qui m’était venu. C’étaient de belles personnes, mon père et ma mère ».

À la Nuit des Césars, la somptueuse et puissante nudité de Corine Masiero renvoie à celle de la petite affamée. Elle montre ce que les mots ont dit, répété, inlassablement depuis des mois et que le pouvoir s’obstine à ne pas vouloir entendre : que les intermittents du théâtre, cinéma, musique, danse, comme les étudiants et les enseignants, et les soignants, comme une large majorité du peuple français, sont désespérés, exsangues, dans une grande précarité, parfois sans travail, soucieux de leur existence et de celle de leurs enfants, parfois dans une grande misère psychique, ne pouvant pas manger, donc faméliques. Et avec tout ça, la colère. Voilà l’état de lieux, la vérité brute, nue.

Dans le salle une femme avec ses habits bourgeois de ministre, représente l’autre petite fille, ici incapable de reconnaître les désastres que sa passivité bête engendre, toute contente qu’elle est de se contempler ministre, de se croire ministre, de se confondre avec le patrimoine qu’elle craint en danger par l’occupation des théâtres qu’elle trouve inutile, occupation dont le sens lui échappe, à elle qui l’engendre. La violence de la bêtise, la bêtise de la violence, le scandale de tant de stupidité, sa dimension meurtrière.

La petite fille de 6 ans est la Docteur Sara Joséphine Baker. Elle a eu, jusqu’au début du XXème siècle, un rôle déterminant dans l’arrêt aux USA d’une fête médicale perverse qui consistait à arracher sans anesthésie les amygdales et les végétations des petits enfants, à partir de moins de 2 ans. Cette pratique a été étendue aux enfants juifs et d’autres émigrés. Plus tard on a prétendu que l’application de cette méthode d’arrachement des amygdales et des végétations aiderait au développement de l’intelligence ces petits, évidemment débiles puisque migrants. Elle aurait aussi servi comme traitement des enfants rétifs à la discipline, donc délinquants – de la même façon qu’on administre aujourd’hui de la Ritaline aux jeunes enfants considérés agressifs.

La belle histoire de la robe commence l’autobiographie de la Doctoresse Sara Joséphine Baker ; elle est racontée par notre ami Didier Cohen-Salmon dans le manuscrit d’un livre qu’on espère bientôt publié. Didier Cohen-Salmon, aujourd’hui psychanalyste, est un acteur fondamental dans la fin de cette boucherie en France, en s’étant refusé d’opérer ces enfants sans anesthésie. Il a déjà témoigné de cette expérience dans son livre En travers de la gorge – l’enfant, les amygdales, les végétations et la douleur. InterEditions, collection Transmettre, 1994.

La somptueuse et puissante nudité de Corine Masiero rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour avoir un corps, et aussi qu’on a une sexualité à toutes les époques de la vie – même si Madame la ministre trouve cette nudité avec la sexualité qu’elle convoque … navrante. Voyons ou revoyons le remarquable film de Im Kwon-Taek, Ivre de femmes et de peinture, présenté au Festival de Cannes de 2002 où il a reçu le Prix de la mise en scène. Et je pense à une femme extraordinaire qui est venue me demander une psychanalyse : J’ai soixante-dix ans et par respect à mon futur cadavre j’aimerai jouir avant de mourir. Pendant les quelques années qui ont suivi elle a eu une sexualité dont la fougue, la liberté et l’humour ont comblé de joie tous les hommes, et ils ont été nombreux, qu’elle a rencontrés.

Ce qui caractérise notre humanité c’est qu’on parle et qu’on a une sexualité. Ce double aspect de notre condition d’humain, constate Freud, est toujours source d’angoisse. Et le désir des femmes, et le corps des femmes, font peur à beaucoup d’hommes. Ceci est une banalité de la clinique psychanalytique. Parions donc que les députés qui ont porté plainte contre la somptueuse et puissante nudité de Corine Masiero ont recours aux considérations sexistes et au socle patriarcal de notre société pour rationaliser cette peur. Mais plus précisément on peut supposer, avec des grandes chances d’être dans le vrai, que les députés et, s’il y en a, aussi les députées, à qui la nudité d’un corps d’une femme mûre choque, qu’ils et elles sont persuadé(e)s que leur mère, comme la Vierge Marie, n’ont jamais eu de sexualité

La mufle, la bêtise, la merde

L’acte posé par performance de Corinne Masiero se prolonge dans le ton de ses déclarations les lendemains de la Cérémonie des Césars. Elle appelle mufle  la ministre, lui conseille d’arrêter de faire blablabla, et venez venez voir les gens qui sont en train de crever la dalle.

C’est le même ton qu’adopte Rémi, étudiant de 23 ans en s’adressant au gouvernement dans l’émission À l’air libre de MEDIAPART le 8 Mars dernier : Pensez-vous que c’est vraiment le moment de lancer des débats aussi bêtes que l’islamo-gauchisme pendant que vous créez des étudiants suicidaires, isolés ? Et c’est ce ton qu’utilise Lucile, elle aussi étudiante, le même jour et dans le même cadre : Quelles sont les solutions concrètes que vous pensez trouver pour les étudiants ? Parce que là, actuellement, c’est la merde, on crève de faim, pour certains on crève tout court.

Ce ton sans souci protocolaire indique le lieu d’où on parle, celui de catastrophe absurde et effrayante voulue par Emmanuel Macron, au mépris et avec le mépris de et pour tous les précaires, les pauvres, la jeunesse, pour toutes les tentatives, pratiques ou théoriques, de penser et inventer une autre manière que la sienne, perverse auto centrée camouflée en arrogance prétentieuse, d’habiter le monde réel.

Ton et adresse sans aucun respect pour Emmanuel Macron et tous ses ministres, actuels et anciens, qui nous ont menti : sur les masques, sur la prise en compte des soignants, sur l’arrêt de la destruction des hôpitaux et du service publique. Emmanuel Macron qui a perdu toute crédibilité depuis des mois et des mois avec des promesses sans lendemain, et des engagements reniés comme ceux pris auprès de la Commission Citoyenne sur le climat. Le mensonge et la trahison chez Emmanuel Macron sont compulsifs, irrépressibles. Qui a perdu toute confiance, toute fiabilité par le mode autoritaire, monarchique, de traiter la crise sanitaire et nos angoisses, nos souffrances, nos douleurs et nos morts. Par son dédain, son indifférence, sa suffisance, sa bêtise crasse, à l’égard des recommandations des scientifiques. Avec les conséquences terribles dans lesquelles nous sommes plongés : l’actuel manque du vaccin et du personnel hospitalier après le manque des masques, manque de tests, l’impuissance devant les variants du virus, et le nombre de décès qui augmente chaque jour. Gâchis stupide et macabre, suite du jeu où une personnalité infantile et malade a choisi de faire le président et dont l’exercice du pouvoir consiste à produire sa jouissance du crime.

La mufle du ministère au lendemain des Césars avait l’indécence de déclarer : Le cinéma c’est une industrie, culturelle et créative. Les Césars sont une vitrine pour vendre notre cinéma à l’international. Est-ce que vous voyez l’image que cela a donné ? C’est navrant voir des artistes piétiner leur outil de travail. Autrement dit, n’oubliez pas : les affaires sont des affaires ; crevez en silence, pensez à la vitrine. La souffrance, le désespoir sont des données négligeables, la transformation des citoyens en déchets sont des effets collatéraux des exigences du marché. La politique comme la célébration d’une messe noire : Viva la Muerte !

À la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les hommes politiques venaient de la résistance, où ils avaient côtoyé toutes les positions idéologiques, toutes les classes sociales. Ils connaissaient la France, le peuple de France. Aujourd’hui les hommes politiques connaissent leurs copains de ENA, ou leurs comparses dans les transactions commerciales ou bancaires, pratique particulière du pouvoir, souvent le pouvoir pour le pouvoir, l’abus du pouvoir, pratique qui suppose la ruse et tolère la feinte, la fourberie, la dissimulation et le mensonge. Classe politique où siègent des violeurs, des défenseurs des violeurs, des voleurs – des hommes déclassés, des voyous, des assassins capables de déclarer des guerres pour brûler des archives.

Le sang

Ce contre quoi la Doctoresse anglaise Sara Joséphine Baker et Didier Cohen-Salmon ont lutté avec succès avait un décor sinistre, hallucinant. Les petits enfants sortaient des lieux d’où l’on leur avait arraché les amygdales et les végétations sans anesthésie, parfois 82 en 81 minutes – quelle dextérité ! – couvert de sang, crachant du sang et hurlant de douleur. Et les espaces d’où ils partaient, donc où l’enfant arrivait, étaient une mare de sang avec un récipient rempli des amygdales sanguinolentes coupées.

La nudité somptueuse et puissante de Corinne Masiero était badigeonnée de la couleur rouge du sang. Cela a été dit dégoutant, exhibitionniste, goujat. Bien sûr. Parce que ça montre un corps torturé. Et évoque les corps des femmes tabassées par milliers, et ceux des femmes assassinées par centaines, chaque année, par des hommes. Et nous rappelle aussi le sang des éborgné(e)s, des mains coupées, ce sang voulu par Emmanuel Macron et sa politique. Et le sang de Geneviève Legay. Et le sang de Zineb Redouane, blessée puis décédé après avoir reçu une grenade au visage, suite aux orientations de répression données par Emmanuel Macron. Et le sang de Michel Zecler, sauvagement frappé par des policiers, parce que noir, conséquence du déni et de la tolérance d’Emmanuel Macron aux violences policières.

Par Heitor O’Dwyer de Macedo