JO 2024 

la frénésie sécuritaire

En 2024, Paris organisera les Jeux Olympiques d’été, l’occasion pour le gouvernement français et les industriels de s’allier pour tester, déployer et normaliser leur arsenal de nouveaux dispositifs de surveillance : drones, reconnaissance faciale, analyses de comportements… On revient ici sur ce que l’on sait aujourd’hui de ce projet dystopique, sur ce qui a déjà été testé et sur la résistance qui s’organise.

Les Jeux Olympiques, accélérateurs de surveillance

Les Jeux Olympiques sont depuis longtemps l’occasion d’une intensification des outils de surveillance de la population. Cela avait été le cas pour Pékin en 2008, avec un déploiement massif de caméras dans les rues et dans les transports en commun. Mais aussi à Rio de Janeiro où dès 2010, en préparation des JO de 2016, l’entreprise IBM profitait de cette occasion pour développer son Integrated Operation Centre, « Centre de commande et de coordination ». Ce centre de commande visait à agglomérer les données de la municipalité, des collectivités, des transports publics, de la météo, etc., dans le but d’obtenir de l’information en temps réel et de construire des modèles prédictifs de gestion de la ville. C’est le début du fantasme du pilotage à distance de la ville.

Enfin, les JO de Tokyo 2020 —qui ont finalement eu lieu à l’été 2021 — se positionnent comme les Jeux Olympiques ayant employé le plus de gadgets technologiques (voitures autonomes, robots, etc.) et les premières utilisations de la reconnaissance faciale. Cette dernière était prévue pour filtrer l’accès à certains lieux (en scannant les visages des athlètes, des journalistes, etc.) à l’aide d’un système fourni par l’entreprise japonaise NEC et la française Atos (également présente aux JO 2024). Plusieurs associations avaient ainsi dénoncé, en juillet 2021, le danger de la surveillance biométrique déployée à Tokyo. Si à Tokyo la reconnaissance faciale a été mise en place sur un public fortement limité par la crise sanitaire, les JO de Paris 2024 seraient le premier grand événement à déployer ce type de dispositif sur des millions de visiteurs et visiteuses.

Voici que les grands évènements deviennent des accélérateurs et transformateurs de la sécurité. Ils permettent de faire entrer dans le droit commun certaines technologies et pratiques jusqu’alors illégales, faisant ainsi sauter le verrou qui en bloquait la massification. En plein vote, la loi Drone 2 est à replacer dans le contexte des futurs Jeux Olympiques : le ministère de l’Intérieur a déjà acheté 600 drones et il voudrait pouvoir les utiliser pour les Jeux Olympiques.

Industriels et gouvernement main dans la main

Le gouvernement français ne compte pas non plus rater son rendez-vous de 2024. Michel Cadot, le délégué interministériel aux Jeux, considère ainsi que « la question de la sécurité est prioritaire » quand, de son côté, le préfet Pierre Leutaud souligne que « les innovations technologiques seront un atout majeur ». En septembre dernier, Jean-Michel Mis, député de la majorité, a rendu au Premier ministre un rapport tout entier destiné à la légalisation de ces nouveaux dispositifs de surveillance poussant à l’adoption d’une loi facilitant la surveillance biométrique pour les Jeux.

C’est encore plus franc du côté des industriels de la sécurité, qui se sont regroupés dans un comité intitulé « GICAT » — « Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestre et aéroterrestre » —, un lobby de pression sur les pouvoirs publics visant à faciliter le déploiement de leurs dispositifs de surveillance. Son délégué, Gérard Lacroix, n’a aucun problème à souligner que les JO seront un enjeu essentiel pour les entreprises françaises et qu’il compte bien faire comprendre aux parlementaires la nécessité de « faire évoluer certains textes » trop restrictifs. Comprendre : les textes qui protègent les libertés.

Autres lobbies, ceux du « Comité Filière Industrielle de sécurité » pour « COFIS » (sorte de lien institutionnel entre les principales industries sécuritaires et le gouvernement) et du « Safe Cluster » (un « pôle de compétitivité des filières sécurité et sûreté »), tous deux directement à l’origine d’un site de lobby « J’innove pour les JO ».

Signalons enfin que l’État a déjà commencé à soutenir financièrement ces projets. Comme nous l’écrivions ici, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a déjà financé à hauteur de plusieurs millions d’euros des expérimentations de vidéosurveillance automatisée (surveillance des réseaux sociaux, mouvements suspects, reconnaissance faciale), alors même que la plupart de ces projets sont purement illégaux.

Les préparations en amont : expérimentations en folie

Les JO se préparent de longue date et la coupe du monde de Rugby en 2023 semble se profiler pour être une sorte de répétition générale sécuritaire. Mais avant cela, il faut mettre au point les technologies, former les agent·es qui les utiliseront et anticiper les réactions du public. Il s’agit d’abord de financer, d’expérimenter en grandeur nature des technologies illégales. Alors que le cadre législatif n’autorise en aucun cas – pour l’instant – ce type de traitement des données biométriques, les industriels et les pouvoirs publics passent par le procédé très commode des « expérimentations ». Celles-ci, de par leur cadrage temporel et spatial, rendraient la surveillance (et la violation de la loi) plus « acceptable » – c’est d’ailleurs tout l’angle pris par Jean-Michel Mis dans son rapport technopolicier.

Ainsi, dès 2020, des expérimentations étaient prévues et confirmées en France, notamment pour essayer des dispositifs de reconnaissance faciale. À Metz, en 2020, un dispositif de reconnaissance faciale a ainsi été testé à l’entrée du stade, s’attirant les critiques de la CNIL (pour l’illégalité du projet) et des supporters.

Ce fut aussi le cas lors du tournoi Roland Garros, à l’automne 2020, où la Fédération Française de Tennis (FFT), en partenariat avec le Comité Stratégique de Filière « Industries de Sécurité » et l’équipe de marque des JOP 2024, a accueilli plusieurs expérimentations, comme annoncé au Sénat.

Les municipalités en profitent pour s’inscrire dans l’agenda sécuritaire

Au-delà de ces expérimentations, plusieurs collectivités s’organisent pour transformer en profondeur leur arsenal sécuritaire. C’est le cas d’Élancourt qui accueillera certaines compétitions des JO et qui a signé en 2019 un contrat avec l’entreprise GENETEC pour expérimenter de nouveaux types de vidéosurveillance. L’objectif de la ville est même de devenir une « vitrine » pour l’entreprise, avec un nouveau commissariat pour 2024.

C’est également le cas de Saint-Denis, où un centre de supervision urbain (CSU) flambant neuf a vu le jour en 2021. Le parc technique, aujourd’hui doté de 93 caméras, va être élargi pour atteindre les 400 caméras d’ici 2024 en vue des Jeux Olympiques. Et les élus planifient déjà de doter la vidéosurveillance d’intelligence artificielle pour automatiser la constatation des infractions.

Ainsi, les élu·es en profitent pour renouveler leurs dispositifs de surveillance et accélérer l’installation de technologies, surfant sur la vague sécuritaire.

Lutter contre les Jeux Olympiques et le monde qu’ils incarnent

Depuis longtemps, les Jeux Olympiques soulèvent réticences et contestations de la part des habitant·es des villes accueillant les épreuves, fissurant l’image parfaitement polie produite par le CIO et les métropoles. Au fil des années, les luttes contre les Jeux Olympiques et le monde qu’ils représentent se multiplient et se coordonnent à travers le monde.

En France, les collectifs NON aux JO 2024 et Saccage 2024 mettent l’accent sur le pillage social, écologique et sécuritaire que sont les JO 2024. La lutte s’était cristallisée autour des Jardins ouvriers d’Aubervilliers et du plan prévoyant leur remplacement par un solarium attachée à une piscine d’entraînement. Une occupation des terres avait même été lancée. Jusqu’à l’expulsion des militant·es et de la destruction de ces jardins, quelques jours avant qu’une partie du projet ne soit déclarée illégale par la justice. Des événements s’organisent, comme ici, à Aubervilliers, le 16 octobre, pour faire face à l’agression olympique qu’il s’agisse du cas d’Aubervilliers, d’autres villes ou plus généralement des questions de surveillance (lire la tribune « Non au Big Brother Olympique »).

https://www.laquadrature.net/2021/10/15/jo-2024-la-frenesie-securitaire/