Vision de l’écologie

Les courants dont il va être question maintenant ne se définissent pas toujours par rapport à l’écologie.

Jusqu’à parfois ne pas faire référence à elle. Pour certains, cela tient à une raison toute simple, l’écologie est devenue un élément de langage promu par le Spectacle. Contrairement aux partis politiques (surtout de gauche) qui se sont préoccupés, avec l’irruption des Verts, d’une demande électorale à laquelle il fallait trouver une réponse, ceux-là ont poursuivi leurs réflexions sans se préoccuper des modes langagières en cours – mais pas seulement langagières, bien sûr ! Même plus, ils s’en méfiaient grandement. Leur défiance à cet égard contraste donc avec des gens comme Sarkozy qui incitait à voir dans l’écologie «  un gisement de croissance ». Il s’agit là d’acclimater cette nouvelle idéologie à l’environnement politico-culturel du moment.

Mais la gauche a évidemment – en tant que Parti du Progrès – le devoir d’absorber toutes les idées venues récemment sur le marché culturel et politique. Ainsi ils vont se rallier avec un enthousiasme parfois désarmant au wokisme ces dernières années. L’écologisme était dans les années 80 une de ces nouvelles venues qu’il a fallu bichonner dans le PS et quelques autres officines progressistes minoritaires. Réciproquement, comme on l’avait dit précédemment, les Verts penchèrent – et penchent (et se pensent) toujours – à gauche depuis les années 90.

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Alternative conviviale ou éco-fasciste

Essayons de jeter maintenant un œil vers ce coté plus « lumineux » de la problématique « écolo » et commençons avec un auteur qui, lui, se revendique de l’écologie : André Gorz.

Dans son livre « écologie et liberté » de 1977 il écrit :

« Ou bien nous nous regroupons pour imposer à la production institutionnelle et aux techniques, des limites qui ménagent les ressources naturelles, préservent les équilibres propices à la vie, favorisent l’épanouissement et la souveraineté des communautés et des individus. C’est l’option conviviale.

Ou bien les limites nécessaires à la préservation de la vie seront calculées et planifiées centralement par des ingénieurs écologistes, et la production programmée d’un milieu de vie optimal sera confiée à des institutions centralisées et à des techniques lourdes, c’est l’option techno-fasciste, sur la voie de laquelle nous sommes déjà plus qu’à moitié engagée.

Convivialité ou techno fascisme. »

On voit à quel point le positionnement de A. Gorz est à l’opposé de celui de l’écologie officielle. L’idée même de liberté qui est mise en avant dès le titre de l’ouvrage l’indique bien. L’écologie n’est pas considérée comme la finalité ultime, elle est subordonnée à « l’épanouissement des communautés et des individus ».

Dans la deuxième option que l’on reconnaît pour en avoir déjà dénoncé les travers, « la préservation de la vie seront calculées et planifiées centralement par des ingénieurs écologistes ». Le problème qu’il identifie réside non pas dans un ennemi de l’écologie mais dans une façon technocratique de concevoir celle-ci. Une simple gestion de la nature par des citoyens écolos très performants. Une foule de gens arborant des compétences et prêts à … « sauver le monde » grâce à leur savoir. « La science nous dit que …etc …, et donc nous devons nous conformer à ces données scientifiques. » On croit entendre Greta Thunberg. Tel est le discours fréquemment colporté par des technocrates et des écolos officiels. On comprend bien que les gestionnaires du monde – Commission Européenne, ONU, etc – ne craignent pas de voir en cette mouvance des alliés, surtout si elle est personnifiée par une enfant. Car ce monde – s’agit-il encore d’y changer quelque chose comme le voulaient les soixante huitards et anti nucléaires des années 70, ou bien… seulement d’y survivre ? – devenant de plus en plus complexe et les problèmes auxquels s’affronter ne manquant pas, nos « super héros » écolos sont pourvus de capacités techn(olog)iques de plus en plus impressionnantes. Un crédit absolu est donc accordé à ces « experts », seuls habilités à « gérer » la catastrophe. On parle abondamment aujourd’hui de ceux du GIEC, par exemple. Qui n’est pas un expert donc a une voix qui compte pour du beurre. Mais entendons-nous bien : il leur faut aujourd’hui des experts « catastrophistes »… sinon rien ! Et, comme ces experts véhiculent une espèce de « catastrophisme d’État », leur parole n’est « très ouvertement qu’une inlassable propagande pour une survie planifiée. » Nous y reviendrons.

À y regarder de près, il ne manque à la citation prophétique d’André Gorz qu’un petit complément. À la date de création du texte, avant l’effondrement de l’URSS, tout le monde était concentré sur le totalitarisme soviétique et avait en tête le fascisme vaincu quelques décennies auparavant. De ce fait, l’auteur ne pensait qu’au ‘‘fascisme’’ pour décrire la façon autoritaire avec laquelle le pouvoir technocratique devait opérer. Or, aujourd’hui, loin que ce soit une espèce de fascisme qui impose sa vision autoritaire, c’est bien un régime très libéral et technocratique qui prend les choses en main avec des moyens et des contraintes qu’on n’imaginait pas possibles de sa part en des temps pourtant pas si lointains.

écolos gestionnaires

Là où les écolos sont au pouvoir on constate qu’ils optent depuis les années 80 pour la modalité gestionnaire sans trop d’ambiguïté et pas du tout à contre cœur ! Il leur faut réagencer les villes et les campagnes par des décisions prises dans le bureau des élus : eux ! « L’écologie se professionnalise dans la politique,… elle n’est pas ‘‘une candidature de témoignage mais une volonté politique de participer à une politique de la ville.’’ » Voilà déjà l’esprit des dirigeants écolos aux élections municipales …en 1986 ! Elle ne rechigne pas – cette écologie-là ! – à mettre en place des méga-projets à tout bout de champ : de grands centres de recherche très pointus, des éoliennes gigantesques dans les champs et ensuite dans les mers, des zones de panneaux solaires soit immenses soit grouillants et maculant tous les paysages, etc… Tout ceci avec une gestion par des ingénieurs et des gens très avertis qui prendront des décisions …pour le bien de tous sans que les « communautés » devenues par ailleurs invisibles, indiscernables, soient consultées ni de près ni de loin.

La mentalité gestionnaire s’est imposée dans le camp écolo institutionnel et a été complètement acceptée à la fois par eux-mêmes mais bien sûr par leurs sympathisants et électeurs. Cela s’est fait lentement mais sûrement. La mue est achevée aujourd’hui.

gestion, organisation pyramidale, société industrielle

Le problème est bien sûr que «  l’épanouissement et la souveraineté des communautés et des individus » est complètement incompatible avec l’existence des mégapoles et des énormes infrastructures qui vont avec le développement industriel. Et les écolos officiels et autres ‘‘écolophiles’’ ne mettent pas plus en question ce développement que les gestionnaires libéraux ; ils aspirent à gérer le système en y ajoutant une touche de vert : le manger bio, la circulation en vélo, le langage inclusif, etc.

Or, comme dit l’adage « on ne peut pas auto-gérer une centrale nucléaire ! » Pas plus qu’une ville tentaculaire. Car, pour ce faire, une centralisation des décisions autour d’une technocratie omnipotente est indispensable. « Un surcroît [toujours renouvelé] d’organisation, c’est-à-dire d’asservissement à la machine sociale » est l’horizon indépassable de la société industrielle arrivée à ce stade.

Il est clair que dans les villes d’aujourd’hui concentrant des millions de personnes (plus de 50 % de la population mondiale vit dans les villes de plus en plus peuplées) il n’est guère possible d’entrevoir une possibilité de réaliser l’ « option conviviale » mentionnée par A. Gorz car celle-ci nécessite un minimum de proximité entre les individus, inexistante dans les mégapoles. D’une part, « lemballement techno industriel a transformé les hommes, et ses effets sont irréversibles. » Et donc « Il est plus pratique d’obéir [pour les ‘‘digital natives’’ a fortiori mais pour tant d’autres aussi] au GPS, cette laisse électronique, et de s’en remettre aux assistants électroniques (Alexa, Google Home, Siri). Les Smartiens [habitants de la ‘‘smart city’’ où foisonnent les liens numériques entre habitants, objets connectés, police, administrations, etc] sont les passagers de leur propre vie – comme de leur voiture autonome. »

société industrielle administration de la (sur)vie

Allons un peu plus avant dans la critique anti-industrielle. Le premier souci des populations – y compris dans une société d’abondance comme la nôtre – reste la survie. En temps normal, il est implicite, invisibilisé même, mais on le voit (ré)apparaître au premier plan dès qu’une situation d’urgence survient : les rayons des épiceries sont dévalisés en prévision de la pénurie (vu en mars 2020 à l’arrivée du covid avec le confinement, vu en mars 2022 avec la guerre Russie-Ukraine) et le souci de la santé s’affiche dans tous les comportements. Le rôle de l’organisation sociale est de garantir – d’abord – cette survie. Des canaux sur le Nil planifiés par le pouvoir pharaonique il y a 5 000 ans aux confinements et mesures sanitaires drastiques il y a deux ans avec le virus, le pouvoir doit permettre cette survie et apparaître comme le sauveur de la collectivité. Il joue principalement sur la contrainte d’une administration à laquelle personne ne doit se soustraire. Et ce, non pas par la force et la coercition (qui pourra venir bien sûr) mais parce qu’en dehors de cette soumission à l’organisation sociale il n’y a objectivement aucun salut possible ! Sortir du groupe, c’est se retrouver dans l’incapacité de survivre. Ce fut la règle de fait dans bien des sociétés primitives.

L’homme est un « animal social » certes mais pas du fait d’une décision libre et éclairée, comme le voudraient les bonnes âmes libérales. Les hommes ont simplement toujours vécu en groupes plus ou moins grands. La marque de notre société industrielle est, par contre, que les individus n’ont plus vraiment d’impact sur la direction du groupe, devenu démesurément grand. Le théoricien libéral Benjamin Constant avait vu, en 1819, que « nous ne pouvons plus jouir de la liberté des Anciens, qui se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. » Et une des raisons les plus évidentes est l’énormité de nos entités politiques.

Les États sont immenses ; plus rien à voir avec la cité d’Athènes qui ne comptait que quelques dizaines de milliers de citoyens. Par ailleurs, il faut voir une cause de cette concentration hallucinante de populations, dans les développements de l’économie qui produisent de plus en plus de complexité depuis le XIX° siècle. En cela, elles dépossèdent les individus de leurs anciennes capacités et de leurs possibles initiatives. « Lorganisation scientifique, industrielle, technologique, de la production, prend le pas sur l’organisation politique, l’évince et la remplace. » Souvenons-nous, au passage, des Luddites : pendant l’expansion du premier capitalisme anglais, la bourgeoisie conquérante impose aux artisans d’en finir avec leurs ateliers et de travailler dans des usines. Ils sont alors enfermés dans ces structures rigides (dictées par la nouvelle technique de production) où ils ne contrôlent plus rien (à l’opposé de leurs anciens ateliers) mais sont par contre eux-mêmes très contrôlés. Cela les conduira à une lutte armée qui durera des années. Avec pour objectif de garder la maîtrise de leurs activités. Ils subiront le déferlement des armées anglaises avant d’être militairement défaits.

machinerie industrielle & autonomie

Aujourd’hui on constate amèrement que nous ne produisons rien nous-mêmes, de ce que nous mangeons, des vêtements que nous portons, des maisons que nous habitons, … Nous déléguons tout cela à un « système », une organisation qui les produit à laquelle nous participons de près ou de loin et dans laquelle nous ne pouvons rien, n’étant qu’une fluette goutte d’eau dans l’océan.

La majorité des gens sont très contents d’avoir à leur disposition toutes les marchandises pour des prix modiques. L’organisation mondiale de la production et du commerce est le filet dans lequel nous sommes prisonniers. Là encore, dès qu’advient un problème dans les rouages de cette gigantesque « machinerie sociale » on s’aperçoit qu’elle peut se gripper et tout l’édifice s’effondrer …sur nous ! Nous nous sommes notamment aperçus avec la crise dite « sanitaire » que nous ne fabriquions plus de médicaments et qu’en temps d’urgence, et donc de pénurie, chaque producteur les garde pour soi. Situation nous privant de ce que nous estimons être le nécessaire.

En dehors des risques – liés à la conjoncture – que nous courons lors des dérèglements de la ‘‘machine’’, la question de la liberté vis à vis de la dite ‘‘machine’’ reste la question essentielle : voulons-nous rester prisonnier de cet ordre rigide auquel nous participons et qui nous prend en charge ? Comme l’écrivait Jean-Jacques Rousseau : « On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s’y trouver bien ? »

Certainement, le système industriel mondial produit pour nous ce dont nous avons besoin… mais aussi bien au-delà ! Nous ne savons plus nous limiter à nos besoins « réels ». Nous ne le pouvons plus car l’évolution du monde dans lequel nous vivons ne connaît plus de limite. Par changements successifs, on en vient progressivement à produire tout un tas de choses indispensables (pas vraiment pour nous mais pour les composants de ce monde que nous sommes) sans lesquelles ce monde, qui s’impose à nous sans qu’on n’ait rien eu à dire, ne serait pas possible. On a affaire à une immense mécanique qui dévore la vie sociale de base pour y adjoindre des médiations de toutes sortes, qui nous séparent les uns des autres et nous rend au final étrangers à nous-mêmes.

Tel est le problème auquel nous sommes confrontés de façon toujours plus pressante. Devant toute la passivité et même souvent la « servitude volontaire » que l’on peut observer autour de nous, il se pourrait que nous devions conclure que « c’est la révolte, le goût de la liberté, qui est un facteur de connaissance » et pas l’inverse : les experts, les ingénieurs, les politiciens savants, les belles âmes moralisantes, etc, ceux-là, s’ils apportent un peu de connaissance, ne suscitent en rien le goût de la liberté ! Reste alors à apprendre en se révoltant. Quel beau programme… ! 

autonomie ‘‘matérielle’’

Si on se tourne vers le passé on se souvient que les communes villageoises produisaient jadis (jusqu’au début du XX°s.) une grande partie de leurs besoins en termes de nourriture mais aussi de vêtements et même parfois d’outils. Il n’y a pas si longtemps encore nos (arrières) grand-parents restés à la campagne pouvaient, de la même façon, organiser leurs vies d’une façon plus harmonieuse, en satisfaisant par eux-mêmes une bonne partie de ce qu’ils définissaient comme leurs besoins. Et ils savaient se contenter de cela. Certaines fermes pouvaient élever des bovins et des ovins, des porcs, cultiver du blé et de la vigne pour faire du pain et du vin. Ils avaient aussi les moyens de réparer leurs outils métalliques grâce à des forges qu’ils construisaient dans leurs lieux de vie .

« Longtemps les français ont été reclus dans leurs villages. » écrit, en les plaignant, un certain Emmanuel Macron dans son livre intitulé …« Révolution » ! Propos de progressiste ! Allons donc, en quoi cette vie sociale était-elle plus heureuse selon nous ? Eh bien, parce que, comme le savent les jeunes – et moins jeunes – qui choisissent de s’installer et travailler loin des villes pour y vivre, cette manière d’organiser sa vie a l’insigne avantage de conférer plus d’autonomie. On parle ici d’autonomie matérielle, c’est à dire de moyens de subsistance. En effet, faire pousser ses propres légumes amène une espèce de volupté du fait de maîtriser et produire au moins une partie de sa subsistance. N’importe quel jardinier du dimanche le sait bien. Les radis que l’on a cultivés, le vin que l’on a élaboré, tout ça est bien meilleur. Et c’est la vie-même qui s’en trouve plus savoureuse.

Certains diront qu’on peut aussi bien jubiler d’avoir fait un bon investissement bancaire ou revendu à bon prix des marchandises dans son commerce. Bien sûr, réussir ce que l’on entreprend est gratifiant pour le moral quelle que soit l’activité que l’on a. Les bourgeois nous le répètent bien assez ; eux qui se moquent de l’activité …pourvu qu’elle soit rémunératrice ! Mais il ne s’agit pas seulement de ça. Ici, non seulement on est heureux de ce que l’on fait mais on produit objectivement les moyens de sa survie. Alors que devenir un prospère exportateur de cacahuètes n’a pas du tout le même sens. Dans ce cas on est certes satisfait de gagner, …et de gagner de l’argent ( médium universel ) mais on est « intégralement dépendant d’un système sur lequel on n’a aucune prise. »

positionnement politique

Ces dernières considérations peuvent paraître plus strictement politiques (au sens d’organisation de la société humaine) que strictement écologistes. Et elles le sont. Si bien que certains auteurs de ces théories refusent le qualificatif d’écologistes : « Sur le marché de la pollution, les écologistes sont semblables aux militants syndicaux vis-à-vis du marché du travail : des intermédiaires intéressés par la régulation des contradictions causées par l’exploitation du territoire par les uns, et par l’exploitation de la force de travail par les autres. » et le même ajoute : « le mouvement écologiste, dès son origine, n’a cherché qu’à donner un prix à la destruction de l’environnement et, tout au plus, gérer la catastrophe, sans jamais bouleverser le cadre social existant. » C’est ce que dit en 2017 Miguel Amoros (qui fut membre du groupe de l’Encyclopédie des Nuisances). La critique de l’écologisme est ici radicale allant jusqu’à rejeter celle-ci dans le camp des… protecteurs du capital ! « …dès son origine ! » dit-il. Il situe tout le mouvement écolo, et pas seulement le parti EELV, dans la gestion du développement du capitalisme.

Les jeunes hirsutes retournant à la terre en communautés dans les années 70 se revendiquaient-ils de l’écologie ? Pas tous, en tous cas. Vu d’aujourd’hui on les rangerait dans ce camp mais eux se réclamaient d’une révolution de la vie quotidienne avant tout. Et leur retour à la terre constituait un moyen dans ce but. Le même Miguel Amoros dira : « Pour défendre efficacement la nature, il est nécessaire de transformer radicalement la société. » Voilà qui fixe une perspective différente. À l’opposé de tous les courants de gauche qui aujourd’hui, dans leur majorité, adoptent une posture écolo, y voyant un thème susceptible de mobiliser une clientèle électorale, ce courant anti-industriel produit une critique strictement incompatible avec la gestion du capitalisme. Ce n’est pas une petite différence.

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