Lithium en Bretagne

L’État veut ouvrir des mines pour exploiter

Un important gisement de lithium a été découvert dans la baie d’Audierne, en Bretagne, au beau milieu d’une zone écologique protégée. Une ressource que le gouvernement souhaite exploiter. Les associations de protection de la baie s’inquiètent.

« J’ai eu connaissance de ce rapport totalement par hasard, au cours d’une discussion. Quand j’en ai parlé au maire de la commune, il est tombé de sa chaise ! » s’amuse Didier Deniel, journaliste au Télégramme. Rédigé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le rapport en question, pourtant disponible sur internet depuis décembre 2018, n’avait jusqu’ici pas connu une grande publicité. Ce document technique de 130 pages propose une « analyse potentielle par méthodes de prédictivité » des ressources métropolitaines en lithium à coup de graphiques, tableaux, acronymes, abréviations, unités de mesures mystérieuses, et noms de métaux inconnus. En le lisant attentivement, Didier Deniel a découvert une information surprenante : Tréguennec, un village de 320 habitants de la baie d’Audierne, abriterait 66 000 tonnes de lithium.

D’un côté le lithium, « minerai phare de la relance post-COVID ». De l’autre, ou plutôt au-dessus, un village bigouden, un « village du sud », comme on dit dans le Finistère — comprendre sud du département. Et sous les pieds des habitants un gisement comparable à une année de production des trois plus gros producteurs mondiaux (Australie, Chili et Argentine).

De quoi faire rêver les industriels depuis que la Commission européenne a annoncé le 14 juillet 2021 la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035. Une aubaine extraordinaire pour le lithium, qui est l’ingrédient essentiel des batteries des voitures électriques. En 2040, le monde pourrait ainsi consommer 42 fois plus de lithium qu’en 2020. Un autre rapport parle d’une hausse de 6 000 % de la demande d’ici à 2050. Le marché des minerais nécessaires à la transition énergétique (lithium et cuivre) devrait atteindre en 2040 l’équivalent du marché du charbon aujourd’hui.

Au cours du mois de janvier 2021, le prix de la tonne de lithium est passé de 9 600 dollars à 50 000 dollars. L’explosion de la demande n’explique pas tout. La multiplication des contestations locales des projets miniers menace également l’offre. Le site économique Bloomberg estimait récemment que l’opposition aux mines est « le plus grand défi [de l’industrie minière] pour l’avenir ». Élection d’un président de gauche au Chili (deuxième producteur mondial), contestation de l’entreprise Rio Tinto en Serbie, scandale écologique autour de la Southern Copper Corp au Pérou ou encore de l’entreprise Lithium Americas Corp au Nevada, « les habitants résistent en décidant que les avantages économiques ne l’emportent pas sur les coûts pour leur qualité de vie ». Un analyste minier cité par Bloomberg estime qu’« il est plus que jamais devenu difficile de construire une mine aujourd’hui ».

Triple protection écologique

À Tréguennec, le maire Stéphane Morel est catégorique : le lithium n’est pas à vendre et il restera sous terre. D’autant plus que le site, déjà classé Natura 2000, vient d’être labellisé Ramsar, label pour les zones humides d’importance internationales pour les oiseaux d’eau, il y a à peine quatre mois.

Un rapport du Muséum national d’histoire naturel (MNHN) d’avril 2021 établit que le site de la baie d’Audierne joue un « rôle capital comme halte migratoire pour des milliers d’oiseaux », mais représente aussi un « intérêt mondial » pour au moins deux espèces, dont l’anguille. Près de 1 000 espèces y ont été répertoriées, dont 320 oiseaux. Le rapport souligne que le site remplit six des neuf critères établis par la convention Ramsar pour obtenir le label, sachant que l’obtention d’un seul de ces critères aurait suffi. Ornithologue spécialiste des espèces migratrices au MNHN et auteur du rapport, Jean-François Siblet s’interroge : « Je ne vois pas comment on pourrait extraire proprement du lithium dans un endroit comme celui-ci. Qui plus est, du point de vue législatif, ça risque d’être un véritable casse-tête : la zone est propriété du Conservatoire du littoral et classée Natura 2000 et Ramsar. »

Un ancien ingénieur du BRGM interrogé par Reporterre confirme : « Il faudrait faire d’autres analyses pour savoir comment l’extraire. La mine, ça paraît compliqué vu qu’on est en zone humide. Quant à la carrière, son emprise au sol est énorme. Le rapport parle d’un tonnage, c’est-à-dire la quantité totale de roche à extraire pour arriver à ces 66 000 tonnes de lithium, de 8,5 millions de tonnes. Quand on sait que l’endroit bénéficie d’une triple protection écologique, ça paraît compliqué à envisager. »

Mais le ministère de la Transition écologique ne l’entend pas de cette oreille. Après que la France se soit abstenue lors de l’adoption d’une motion demandant un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins le 3 septembre 2021 lors du congrès de l’UICN à Marseille, Barbara Pompili affirmait qu’il « ne faut s’interdire de rien ». Pas même de rouvrir des mines en France.

Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique, s’est rendue à Tréguennec le 9 février, juste avant de rejoindre Brest où se tenait le One Ocean Summit. Mme Abba est restée une heure et demie à Tréguennec, où elle a parlé du lithium pour « préciser la découverte et son ampleur » en évoquant une « forte pression géostratégique ». Le maire n’a pas été « très rassuré ».

Le lendemain, Philippe Varin, ancien haut dirigeant de groupes automobiles et de sidérurgie, a remis aux ministres de la Transition écologique et de l’Économie un rapport commandé quatre mois plus tôt sur la sécurisation et l’approvisionnement en matières minérales. Le rapport, non publié car contenant des secrets industriels selon le ministère, préconise de consacrer un milliard d’euros du plan de relance 2030 à différents appels à projets autour de la question des métaux.

Le 12 février, Barbara Pompili déclarait à propos du lithium : « Nous en avons besoin pour nos téléphones, nos batteries, nos énergies renouvelables. […] Quand on a des gisements chez soi, il faut pouvoir les exploiter. » Et quelques jours plus tard, dans un documentaire vidéo réalisé par le journal Les Échos, « la France doit extraire du lithium sur son territoire ».

En France, la problématique de notre dépendance aux métaux a été mise en lumière par le journaliste Guillaume Pitron avec son livre à succès La guerre des métaux rares. Pitron y défend l’idée d’une souveraineté minérale nationale. Selon lui, la transition écologique a eu pour conséquence de délocaliser les pollutions et donc de les rendre invisibles. Rouvrir les mines en France, ce serait une façon de mettre cette transition face à ses contradictions. Une idée battue en brèche par Naïké Desquesnes et Mathieu Brier, auteurs du livre Mauvaises mines, pour qui « dans l’état actuel du rapport de forces entre les populations et les entreprises, une ouverture de mines en France qui permettrait d’en fermer ailleurs est une pure illusion. Sans une remise en cause radicale du modèle productiviste, les « besoins » sont tellement grands qu’une mine ici s’ajoutera simplement à toutes les autres. » Et de poursuivre : « Les industriels adorent ce récit qui permet de discuter du rôle écologique fantasmé des mines au lieu de parler des dégâts bien réels qu’elles entraînent partout. Pour faire preuve de responsabilité écologique, il faut réduire drastiquement la consommation, développer le recyclage, et bloquer l’industrie minière plutôt que de lui donner des alibis. »

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