Remise des diplômes AgroParisTech

Appel à déserter … et à se rassembler !

AgroParisTech, c’est “L’institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement, sous tutelle des ministères en charge de l’agriculture et de l’enseignement supérieur.”

Pour voir la première vidéo : 

https://youtu.be/5DMLLfeevFM

Lors de leur cérémonie de remise de diplôme, huit jeunes ingénieur·es AgroParisTech ont appelé leurs camarades de promotion à déserter de leurs postes. « N’attendons pas le 12ème rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses derniers espoirs dans les révoltes populaires. Vous pouvez bifurquer maintenant. »

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Les diplômé.es de 2022 sont aujourd’hui réuni.es une dernière fois après trois ou quatre années à AgroParisTech. Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. Nous ne nous considérons pas comme les « Talents d’une planète soutenable » [nouvelle devise d’AgroParisTech].

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Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des « enjeux » ou des « défis » auxquels nous devrions trouver des « solutions » en tant qu’ingénieures.

Nous ne croyons pas que nous avons besoin de « toutes les agricultures ».

Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre.

Nous ne voyons pas les sciences et les techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovation technologique et les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme.

Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte, ni à la « transition écologique », une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant.

AgroParisTech forme chaque année des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie de diverses manières :

– Trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui renforcent l’asservissement des agricultrices et les agriculteurs.

– Concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les maladies causées,

– Inventer des labels « bonne conscience » pour permettre aux cadres de se croire héroïques en mangeant mieux que les autres,

– Développer des énergies dites « vertes » qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde,

– Pondre des rapports RSE d’autant plus longs et délirants que les crimes qu’ils masquent sont scandaleux, ou encore compter des grenouilles et des papillons pour que les bétonneurs puissent les faire disparaitre légalement,

À nos yeux, ces jobs sont destructeurs et les choisir c’est nuire, en servant les intérêts de quelques uns.

C’est pourtant ces débouchés qui nous ont été présentés tout au long de notre cursus à AgroParisTech. En revanche, on ne nous a jamais parlé des diplômé.es qui considèrent que ces métiers font davantage partie des problèmes que des solutions et qui ont choisi de déserter.

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Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent :

À vous qui avez accepté un boulot parce qu' »il faut bien une première expérience », à vous dont les proches travaillent à perpétuer le système, et qui sentez le poids de leur regard sur vos choix professionnels, à vous qui, assis.es derrière un bureau, regardez par la fenêtre en rêvant d’espace et de liberté, vous qui prenez le TGV tous les week-ends, en quête d’un bien-être jamais trouvé, à vous qui sentez un malaise monter sans pouvoir le nommer, qui trouvez souvent que ce monde est fou, qui avez envie de faire quelque chose mais ne savez pas trop quoi, ou qui espériez changer les choses de l’intérieur et n’y croyez déjà plus.

Nous voulons vous dire que vous n’êtes pas seul.es à trouver qu’il y a quelque chose qui cloche, car il y a vraiment quelque chose qui cloche.

Nous avons douté, et nous doutons parfois encore. Mais nous refusons de de servir ce système et nous avons décidé de chercher d’autre voies, de construire nos propres chemins.

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Comment est-ce que ça a commencé ?

Nous avons rencontré des gens qui luttaient et nous les avons suivis sur leurs terrains de lutte. Ils nous ont fait voir l’envers des projets qu’on aurait pu mener en tant qu’ingénieur.es.

Je pense à Cristiana et Emmanuel, qui voient le béton couler sur leurs terres du plateau de Saclay,

Ou à ce trou desséché, compensation dérisoire à une mare pleine de tritons, et à Nico, qui voit de sa tour d’immeuble les jardins populaires de son enfance rasés pour la construction d’un écoquartier.

Ici et là, nous avons rencontré des personnes qui expérimentent d’autres modes de vies, qui se réapproprient des savoirs et savoirs-faire pour ne plus dépendre du monopole d’industries polluantes, des personnes qui comprennent leur territoire pour vivre de lui sans l’épuiser, qui luttent activement contre des projets nuisibles, qui pratiquent au quotidien une écologie populaire, décoloniale et féministe, qui retrouvent le temps de vivre bien et de prendre soin les uns et les unes des autres.

Toutes ces rencontres nous ont inspiré.es pour imaginer nos propres voies : Je suis en cours d’installation en apiculture dans le Dauphiné. J’habite depuis deux ans à la ZAD de Notre Dame des Landes où je fais de l’agriculture collective et vivrière, entre autres choses. J’ai rejoint le mouvement des Soulèvements de la terre pour lutter contre l’accaparement et la bétonisation des terres agricoles à travers la France.

Je vis à la montagne où j’ai fait un boulot saisonnier et je me lance dans le dessin. On s’installe en collectif dans le Tarn, sur une ferme Terres de Liens, avec un paysan- boulanger, des brasseurs et des arboriculteurs.

Je m’engage contre le nucléaire près de Bure.
Je me forme aujourd’hui pour m’installer demain et travailler de mes mains.

Nous considérons que ces façons de vivre sont plus que nécessaires et nous savons qu’elles nous rendront plus fort.es et plus heureux.ses.

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Vous avez peur de faire un pas de côté parce qu’il ne ferait pas bien sur votre CV ? De vous éloigner de votre famille et de votre réseau ?
De vous priver de la reconnaissance que vous vaudrait une carrière d’ingé agro ?

Mais de quelle vie voulons-nous ?

Un patron cynique, un salaire qui permet de prendre l’avion, un emprunt sur 30 ans pour un pavillon, tout juste 5 semaines par an pour souffler dans un gîte insolite, un SUV électrique, un fairphone et une carte de fidélité à la Biocoop ?

Et puis.. un burn-out à quarante ans ?

Ne perdons pas notre temps !

Et surtout ne laissons pas filer cette énergie qui bout quelque part en nous ! Désertons avant d’être coincés par des obligations financières.

N’attendons pas que nos mômes nous réclament des sous pour faire du shopping dans le métavers, parce que nous aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose.

N’attendons pas d’être incapable d’autre chose qu’une pseudo-reconversion dans le même taf, mais repeint en vert.

N’attendons pas le 12ème rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses derniers espoirs dans les révoltes populaires.

Vous pouvez bifurquer maintenant.

Commencer une formation de paysan-boulanger, partir pour quelques mois de wwoofing, participer à un chantier dans une ZAD ou ailleurs, vous investir dans un atelier de vélo autogéré, ou rejoindre un week-end de lutte avec les Soulèvements de la Terre, Ça peut commencer comme ça.

À vous de trouver vos manières de bifurquer.

Des agros qui bifurquent

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Bifurquons, maintenant !

Un second et ultime appel des diplômés d’AgroParisTech, daté du 128 mai

A midi, vient d’être mis en ligne un second appel qu’ils présentent comme le dernier et qui s’achève par une invitation et un rendez-vous. Le voici.

Le constat est clair : ce système est un monstre à bout de souffle.
Personne ne nous a contredit sur ce point.
Et des millions ont même partagé notre cri de liberté.
Vous êtes si nombreuses à nous en avoir parlé, à en avoir parlé à d’autres !

Nous nous adressons aujourd’hui à vous qui avez été remuées.
A vous qui avez déjà refusé la voie tracée par ce système,
celle promue par vos parents, par vos études, ou par vos collègues.
A vous qui luttez pour protéger un bout de la beauté du monde.
Et aussi à vous qui rêvez de le faire.
Il est difficile de bifurquer, et pour beaucoup, bien plus difficile que pour nous.

Nous avons toutes vécu cette peur d’être jugées, que ce soit par le milieu qu’on veut quitter ou par le milieu qu’on veut rejoindre.
Toutes vécu cette crainte de ne pas savoir quoi faire de nos deux mains,
Et cette solitude vertigineuse qui précède le premier pas.
Ce sont des rencontres, qui nous ont décidées,
Qui nous ont amenées à nous faire confiance.
Ce sont des rencontres qui nous ont propulsées vers la vie que nous voulons.
Alors : rencontrons-nous !

Désormais, ce qui importe, c’est ce qui va se passer dans les semaines qui viennent.
Ce qui importe, c’est ce qui va être discuté maintenant, ce qui va être fait maintenant, hors de l’écran que vous êtes en train de regarder.
Vous qui avez déjà bifurqué, ou lutté, qui avez tant de choses à partager.
Vous qui hésitez, ou qui rêvez de bifurquer, qui avez tant de choses à essayer.

Commençons par déserter l’absurdité d’internet et la fascination des écrans
Retrouvons nous samedi midi, devant la mairie de la ville la plus proche
Pour partager un repas, des idées, du concret,
Pour nous donner les moyens de quitter nos boulots nuisibles sans craindre la fin du mois,
Pour construire notre autonomie matérielle localement, sans les multinationales, sans les Gafams, et sans la bureaucratie
Pour créer des espaces communs qui permettent la bifurcation : des fermes, des ateliers, des cafés
Pour nous réapproprier des savoirs et des savoirs-faire, de la médecine au travail du bois, du potager à la poésie.
Pour renforcer les collectifs qui luttent contre les inégalités et les oppressions,
Pour mettre en déroute les projets nuisibles autour de nous,
Et faire ce premier pas vers de nouvelles façons de vivre.

Osons inviter celles et ceux qui vivent autour de nous,
Allons-y ensemble,
Et décidons par nous-mêmes comment continuer.

Samedi 21.05 à midi
devant la mairie de la ville la plus proche.

 

lundi.am

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Comme il fallait s’y attendre, ce type d’évènement a faire réagir certaines personnes.

Un discours clivant, salué ou vilipendé

Une chose est sûre : cette intervention a fait jaser. Publiée le 10 mai au soir, la vidéo a franchi la barre des 450 000 vues et a rapidement animé les réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire.

Sans surprise, Jean-Luc Mélenchon a salué le courage de ces étudiants, à l’instar du chercheur et contributeur au GIEC François Gemenne (université de Liège) et du médecin réanimateur Louis Fouché : « Merci à ces « agros » qui bifurquent ! Puissent ils ouvrir des possibles pour un monde meilleur »

D’autres, en revanche, politiquement plus à droite, se sont ouvertement moqués. L’économiste Philippe Herlin, par exemple, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : « Des abrutis de gauchistes anti-science et anticapitalistes. Remboursez vos études et allez vivre dans des cavernes. » Toujours prompte à défendre « la science », la journaliste du Point Géraldine Woessner s’est elle aussi indignée : « L’idéologie triomphante. Quand des militants d’ultra-gauche, étudiants d’@AgroParisTech, appellent à politiser sciences et techniques, et à jeter aux horties (!!!) tout modèle qui ne serait ni décroissant, ni collectiviste, on peut s’inquiéter pour la démocratie. »

De son côté, AgroParisTech réalise une jolie pirouette et écrit sur son site : « L’intervention de ces huit diplômés, comme celles – plus nombreuses – de leurs camarades qui ont choisi d’autres voies, confirme que l’enseignement d’AgroParisTech s’inscrit au cœur des enjeux et débats qui traversent notre société. »

De quel monde voulons-nous ?

S’ils sont vivement critiqués, ces appels écologistes se font de plus en plus nombreux. Comme le rappelle fièrement Le Monde, le 11 mai dernier, des étudiants des Écoles normales supérieures ont eux aussi signé une tribune pour répondre « aux enjeux impérieux de ce siècle » grâce à la science. En 2018, c’étaient des étudiants de Polytechnique et HEC qui donnaient le la.

Tous ne prévoient pas d’emprunter le même chemin, mais ils s’accordent pour dire qu’un changement de paradigme est nécessaire. Les fonceurs se tourneront vers des personnalités telles que Christophe Doré ou Bertrand Alliot, défenseurs de ce qui pourrait s’appeler une « écologie de droite et de solutions ».

D’autres, plus philosophes et peut-être plus radicaux, pencheront davantage vers l’astrophysicien Aurélien Barrau, auteur de « Il faut une révolution politique, poétique et philosophique » (éditions Zulma) et défenseur d’une plus riche biodiversité. Au micro de France Inter le lundi 9 mai, il expliquait que le choix des mots est primordial pour éviter d’opposer les choses entre elles : l’homme et l’environnement, par exemple. Il s’amusait à dire que « ce qui tue aujourd’hui, c’est notre manque d’imagination », et conseillait aux jeunes ingénieurs de militer pour faire fermer leurs écoles. Selon son analyse, qui rejoint dans la forme celle de Mehdi Belhaj Kacem, il est inutile de chercher à résoudre le problème sans savoir ce que l’on veut, in fine. « Quand le postulat de départ est faux, tout le reste l’est aussi », nous confiait le philosophe autodidacte de Turenne. Aussi faudrait-il, avant d’entreprendre quoi que ce soit — du bétonnage des terres à l’invention d’un avion à moteur hydraulique — et de choisir un camp plutôt qu’un autre, prendre du temps pour répondre à une question fondamentale : de quel monde voulons-nous ?

Francesoir.fr