ParcourSup

Nous ne sommes pas des dossiers

En raison de l’algorithme inégalitaire de Parcoursup, des jeunes, notamment issus des quartiers populaires, sont empêchés d’inscription à l’université. Un ensemble de personnalités, dont Frédéric Lordon, Assa Traoré, Annie Ernaux ou Robert Guédiguian, Gaël Quirante, Willy Pelletier, Geoffroy de Lagasnerie, Olivier Besancenot, Nathalie Arthaud demandent à « abolir la sur-sélection », ce combat essentiel que mènent les sans-facs à Nanterre. 

Il dit tout de la « modernité » libérale, des « logiciels » et des renoncements qui la font, le cas des jeunes empêchés d’inscription à l’université, jeunes toujours sans facs, avenirs fermés.

Au départ, un algorithme pensé verticalement, sans concertations : Parcoursup. Algorithme inégalitaire, qui laisse dans l’incertitude longtemps ou bien finalement hors-facs des lycéens issus d’établissements situés en quartiers populaires.

Ensuite des présidences d’université parfois initialement hostiles au principe de Parcoursup, mais qui ont, c’est leur fonction, à en gérer les effets. En l’occurrence des milliers de sans-facs. Alors, elles les gèrent. Comme des dossiers. C’est ainsi qu’à Nanterre, pour justifier la non-inscription de 21 sans-facs mobilisés, encore aujourd’hui, après 180 jours d’occupation et de lutte étudiante, un record, la présidence d’université argue d’un nombre de dossiers régularisés auparavant important.

Ce cas exprime un problème de civilisation, qui dépasse cette situation singulière. Sommes-nous, êtes-vous des dossiers ? Sommes-nous cette abstraction qui déshumanise ?

Fatima, sans-fac en lutte depuis la rentrée, est-elle un dossier ? Quelles conséquences à la réduire ainsi ? Quelles conséquences invisibles à ceux qui de la sorte la traitent ? Sénégalaise de nationalité, Fatima vit dans le 92 avec une partie de sa famille, son courage illumine qui la côtoie. Elle a validé sa licence de droit, la présidence d’université lui interdit depuis six mois, l’inscription en master de droit à Nanterre. Est-ce affaire de places ? Non, car il y a suffisamment de démissions en fac de droit pour libérer des places. Est-ce affaire de pédagogie ? Non, car Fatima a sans peine validé sa licence. Quels effets ? Si Fatima n’est pas inscrite cette année à l’université, son titre de séjour étudiant ne sera pas renouvelé. Et sans celui-ci elle aura obligation de quitter le territoire. À moins de basculer dans l’existence infernale des sans-papiers. Fatima est-elle ce dossier sans vie sur une pile, et qu’on ne règle pas, car d’autres ont déjà été traités ? Alors que Fatima est cette vie en risque d’être maltraitée, bousillée ; une vie pleine de joie, d’élan, de copines et de copains.

Mais Fatima n’est pas seulement Fatima. Elle est sa famille entière qui l’a portée, aidée dans des conditions impossibles, pour réussir à l’école.

Elle est également tous ces étudiants qui travaillent pendant qu’ils suivent leurs cours et qui, à force de sacrifices, de privations, de peines, d’existences à l’euro près, réussissent leurs examens. Nous qui lisons ces lignes, pour étudier, avons-nous vécu les galères insensées qu’a toujours surmontées Fatima ? Et nous a-t-on interdit d’université ?

L’École, la Fac, ne sont-elles pas faites pour que toutes les filles comme Fatima réussissent, s’ouvrent un futur plein de jours heureux ; forcent, bougent, la destinée tracée des enfants des quartiers.

Nous avons vu Fatima, pleine de rire et d’entrain. Elle dit : « j’occupe, nuit et jour, la tour de la présidence de Nanterre, y a-t-il une plus belle lettre de motivation que je puisse écrire, pour dire comme je suis remplie d’envie d’étudier ? ».

Parmi les sans-facs, cette année, combien de Fatima ? Des légions. Et l’an prochain, d’autres légions nombreuses. Il faut abolir la sur-sélection à l’entrée de l’Université, et c’est ce combat, légitime, que mènent les sans-facs à Nanterre.

Mais Fatima va au-delà de Fatima. Fatima, d’une certaine façon, c’est nous-mêmes. Nous-mêmes pareillement réduits si souvent, à n’être que dossiers gérés par les DRH. Nous-mêmes trop peu Fatima, lorsque résignés ou désolés, nous laissons faire, et finalement collaborons avec ce que par principe nous refusions ; nous-mêmes qu’abat alors la force des injustices qui brisent. Ou bien nous-mêmes quand nous sommes Fatima nous-mêmes, c’est-à-dire résistants, nuit debout s’il faut, parce qu’on le vaut bien. Et parce qu’ici l’inscription en fac n’est pas un privilège mais un droit. Et parce que, plus largement et par exemple, nos vies et nos droits valent plus que les profits et la réduction des budgets publics pour unique boussole. Nous-mêmes trop peu Fatima, lorsque « chacun seuls », en concurrence contre les plus proches, nous nous enfermons dans la guerre économique et un sauve qui peut général, dont les généraux se nomment Le Pen, Zemmour, Pécresse, Macron. Ou bien nous-mêmes quand nous sommes Fatima nous-mêmes, réunis, rebelles et constants, contre les discriminations et pour l’égalité.

Nous voulons l’inscription à l’université de Nanterre des 21 sans-facs restants, car leur combat n’est pas juste cette revendication d’égalité sociale si nécessaire. Il n’est pas juste ce refus des ségrégations spatiales, qui ghettoïsent. Il n’est pas juste l’anti-Zemmour incarné, sans même y penser, dans la solidarité permanente, sans frontières, que l’on porte le foulard ou pas, que l’on s’appelle Nalca, Benoit ou Jérémy. Il dit : nous ne sommes pas des dossiers, nous ne voulons pas d’une civilisation où nos vies sont faites dossiers et par là annulées.

 

Premiers signataires

Annie Ernaux (Écrivain) 
Frédéric Lordon (Directeur de recherches au CNRS), 
Mathilde Panot (Présidente du groupe la France insoumise à l’Assemblée nationale, Députée du Val-de-Marne), 
Geoffroy de Lagasnerie (Sociologue),  
Danièle Obono (Députée de Paris, La France insoumise), 
Rodrigo Arenas (Ancien président de la FCPE), 
Assa Traoré (Comité Vérité pour Adama), 
Mathilde Larrère (Historienne), 
Willy Pelletier (Sociologue, Université de Picardie Jules Verne), 
Taha Bouhafs (Journaliste indépendant), 
François Bégaudeau (écrivain et réalisateur), 
Gérard Filoche (Gauche démocratique et sociale, ancien inspecteur du travail), 
David Cormand (Député européen les Verts/ALE), 
Xavier Mathieu, Ex-porte-parole de la CGT Continental, comédien, 
Olivier Besancenot (Porte-parole de la campagne de Philippe Poutou, candidat du NPA), 
Aurore Koechlin (Sociologue), 
David Guiraud (Orateur national de la France insoumise), 
Philippe Poutou (Candidat du NPA à la présidentielle), 
Thomas Portes (Président de l’Observatoire de l’extrême-droite, membre de l’équipe d’animation du Parlement populaire) 
Jean-Pierre Mercier (Délégué syndical central CGT PSA), 
Christophe Mileschi (Professeur des universités en études italiennes à l’Université Paris Nanterre), 
Nathalie Arthaud (Candidate de Lutte ouvrière à la présidentielle), 
Fatima Benomar (Militante féministe), 
Gaël Quirante (Secrétaire départemental de Sud Poste 92), 
Robert Guédiguian (Réalisateur, producteur et scénariste), 
Armelle Pertus (Porte-parole de la campagne de Philippe Poutou, candidat du NPA), 
Romain Altmann (Secrétaire général d’Info’Com-CGT), 
Raphaël Arnault (Porte-parole de la Jeune Garde), 
Cemil Şanli (Journaliste au Média TV), 
Philippe Juraver (Conseiller régional d’Île-de-France, La France insoumise), 
William Martinet (Orateur national de la France insoumise), 
Olivier Vinay (Membre du Bureau national de la FSU), 
Sandrine Martin (Enseignante, une des quatre de Melle), 
Vianney Orjebin (Conseiller régional d’Île-de-France, La France insoumise), 
Anne-Claire Boux (Adjointe Europe Ecologie Les Verts à la maire de Paris en charge de la politique de la ville)
Mickael Wamen (Ancien représentant de la CGT Good Year), 
Stéphanie Chevrier (Éditrice) 
Raquel Garrido (Conseillère régionale d’Île-de-France)
Alain Sylvère Tsamas (Délégué syndical CGT Monoprix), 
Cendrine Berger (Ingénieur de recherche à la Sorbonne Université, syndicaliste CGT Ferc Sup), 
Julie Garnier (Conseillère régionale d’Île-de-France, La France insoumise), 
Nnoman (Journaliste indépendant), 
Christophe Prudhomme (Conseiller régional d’Île-de-France, la France insoumise), 
Irène García Galán (Militante féministe, autrice de La terreur féministe)

Collectif INTERSECTIONS