Une légalité illégitime

Voilà ce qu’aura accouché le scrutin du 12 juin 2022

53% des électeurs inscrits se sont abstenus d’aller déposer leur bulletin de vote dans l’urne (funéraire) de la démocratie. Soit environ 25 millions de Français qui n’ont pas voulu se faire représenter par une personne prétendant à la fonction de député. Ce score inédit traduit une massification du dégoût et de la lassitude éprouvés par la moitié du corps électoral.

Ce score est certes « légal », mais est-il pour autant légitime en tant que représentation parlementaire ?

J’avais déjà évoqué cette question entre légalité et légitimité dans un récent article traitant de la violence légitime ici.

La plupart des commentateurs politiques sont unanimes : quel que soit le résultat, il sera légitime, déclarent-ils en cœur sur les chaînes d’infos.

Or, il n’en est rien. Confondre légalité et légitimité relève soit de l’ignorance, soit de l’intention délibérée de tromper le public.

Est légal ce qui est conforme à la loi, à la législation. Est légitime ce qui est conforme au droit positif ou ce qui est conforme à l’équité ce qui est fondé sur la morale, le droit naturel ou encore la loi divine.

Un pouvoir issu des urnes est certes conforme à la loi, il est donc légal, mais lorsque 25 millions d’électeurs inscrits refusent de participer au scrutin, il perd la moitié de sa légitimité.

De même qu’une Loi peut devenir illégitime dans son application, un pouvoir de cette nature, dégradé, peut devenir également illégitime, c’est-à-dire fondamentalement non reconnu par 53% des électeurs, ce qui en fait le plus important « parti » de France.

L’illégitimité du pouvoir issu de ce type de scrutin pose dès lors un sérieux problème de gouvernance démocratique.

Depuis 2020, le déficit démocratique ne cesse de se creuser : parlement croupion, députés godillots, décrets, ordonnances, article 49.3, Lois d’urgence sanitaire, court-circuitages divers permettant de se passer d’un vrai débat délibératif, non-consultation des corps intermédiaires, absence de référendum populaire, etc.

Ce scrutin marqué par un taux record d’abstention est un signe, il dit quelque chose, quelque chose à entendre et à comprendre.

À défaut, il est à craindre que le niveau d’illégitimité continue d’augmenter en gagnant encore plus de terrain dans toutes les zones où le droit et la loi ne sont plus respectés, et donc plus légitimes.

À terme, ce déficit de légitimité pourrait déboucher sur un régime dont la légitimité serait considérablement rétrécie, voire tellement restreinte, ne tenant que par sa légalité, c’est-à-dire plus qu’à un fil.

Car le lien entre le peuple et le pouvoir, la démocratie (δῆμος / démos, et kratein, « commander) est constitué d’un tissage de légalité et de légitimité.

Un tel régime qui ne tiendrait qu’à son fil légal serait en péril existentiel et s’accrocherait à ce fil comme à son dernier rempart contre la violence légitime d’un peuple abandonné à son désarroi, ses ressentiments, ses déceptions, son désespoir, sa soif de vengeance et ses pulsions agressives.


Michel Rosenzweig est philosophe, auteur et essayiste.

francesoir.fr

Voir aussi :  De la violence légitime