Le gouvernement rêve de policiers « cyborgs »

Des « agents-cyborgs », augmentés et équipés d’outils de surveillance de masse !

Telles sont les ambitions du gouvernement en matière de sécurité, inscrites dans un rapport annexé au projet de loi Lopmi, adopté le 22 novembre.

Des véhicules de police « augmentés », des uniformes truffés de biocapteurs et de caméras, de l’intelligence artificielle à ne plus savoir qu’en faire… Dans un

épais rapport

annexé à son projet de loi d’orientation et de programmation (Lopmi), adopté le 22 novembre à l’Assemblée nationale, le ministère de l’Intérieur dévoile les grandes lignes de sa « trajectoire » pour 2030. S’il n’a pas de valeur législative, ce texte donne tout de même une idée des ambitions à long terme du gouvernement en matière de sécurité : « transformer l’institution », en misant toujours davantage sur la technologie et les dispositifs de surveillance numérique.

Exosquelettes, caméras, casques intelligents…

La lecture des 83 pages de ce texte convoque rapidement des images de science-fiction. On y apprend que les policiers et les gendarmes de demain seront « augmentés » grâce à des « technologies de pointe ». Les textiles « intelligents » dont ils seront vêtus seront capables de « thermoréguler » leur corps, augure le ministère de l’Intérieur, et pourront donner en continu des indications sur leur état physiologique. Les capacités physiques des agents seront décuplées grâce à des « exosquelettes » — des équipements robotisés permettant d’amplifier ou de faciliter certains mouvements —, qui seront « interconnectés » avec les moyens numériques « présents et à venir ». Des caméras légères seront également déployées à grande échelle sur la poitrine et dans les voitures des forces de police. Ces dernières recourront de manière « accrue » à l’intelligence artificielle pour analyser les données, promet ce rapport.

C’est aux frontières que le ministère de l’Intérieur envisage la plus grande débauche de dispositifs technologiques. Les forces de police, selon les souhaits du gouvernement, y seront dotées de « moyens mobiles adaptés à l’environnement », comme des motoneiges ou des buggys, ainsi que de moyens de surveillance « innovants », tels que des drones à vision nocturne, des caméras infrarouges et thermiques, ou encore des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation. Plus surprenant : le document promeut l’utilisation de lunettes ou de casques de réalité augmentée, permettant aux forces de police de consulter des fichiers en direct lors de leurs interventions.

Le ministère de l’Intérieur envisage également de « refondre » le parcours des victimes : dès 2023, explique-t-il, il sera possible de déposer plainte ou d’effectuer des signalements en ligne sur une application, « Ma sécurité ». Dans certains commissariats, des « robots d’accueil » devraient être prochainement expérimentés. Afin de « renforcer » la « culture du risque » de la population, le ministère souhaite enfin instaurer, chaque année, une journée nationale dédiée aux « risques majeurs », durant laquelle la population devra participer à un exercice « grandeur nature » de prévention d’une catastrophe naturelle ou technologique. Coût global estimé du programme ministériel : 15 milliards d’euros supplémentaires sur la période 2023-2027.

« C’est effrayant »

Dans

un communiqué

publié fin octobre, lors des tractations sur le projet de loi, l’Observatoire des libertés et du numérique a décrié une projection « délirante », faisant la promotion d’une vision « fantasmée » du métier de policier, réduit à l’état « d’agent-cyborg ». « C’est effrayant, juge Noémie Levain, juriste au sein de l’association de défense des droits et des libertés numériques La Quadrature du net. Le rapport humain entre policiers et citoyens disparaît avec cette gadgetisation à outrance. »

La chargée d’analyses juridiques et politiques s’inquiète des répercussions de ce texte sur les libertés individuelles. Ce document, dit-elle, s’inscrit dans le prolongement de

la loi Sécurité globale

de 2021, qui avait déjà considérablement renforcé les pouvoirs et la capacité de surveillance des forces de police. « Nous sommes dans une accélération », analyse-t-elle. Bien que ce rapport n’ait pas de valeur législative, il constitue d’après elle un « programme politique » et « ancre » les volontés du ministère de l’Intérieur pour les dix prochaines années. « Il pourrait servir à légitimer certaines demandes sur le terrain », dit-elle.

La généralisation des outils de surveillance de masse défendue dans ce rapport pourrait « démultiplier le pouvoir et la potentialité de répression de la police », s’alarme la juriste. « Cela peut sembler difficile à entendre, mais ces dispositifs technologiques ne servent pas à assurer la sécurité, assure-t-elle. Les caméras de vidéosurveillance aident à résoudre moins de 2 % des enquêtes résolues. Ce ne sont pas elles qui permettent d’arrêter le trafic de drogue dans une ville. »

Plutôt que de miser sur des policiers augmentés, Noémie Levain recommande de lutter contre la criminalité à sa source, « par le soin », grâce à des mesures sociales et éducatives : « Dans les quartiers difficiles, par exemple, on pourrait accompagner les personnes exclues socialement, plutôt que de mettre des caméras partout. » Les fruits de ces politiques se récoltent cependant sur le temps long. « Forcément, c’est moins électoraliste. »

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