Le discours macroniste

« C’est un disque rayé qui doit prétendre au renouveau »

Un entretien avec Damon Mayaffre

Assisté par un algorithme, le linguiste Damon Mayaffre épluche les discours du chef de l’État depuis 2017 pour en décrypter les ressorts rhétoriques.

Pour l’Humanité, il revient sur ce qui a changé (ou pas) depuis sa réélection.

Lors du discours de réélection d’Emmanuel Macron, au Trocadéro en avril, vous parliez dans Libération de « disque rayé ». Huit mois plus tard, est-ce que vous confirmez ?

Oui, mais je préciserai que c’est un disque rayé qui se doit, en permanence, de prétendre qu’il n’est pas un disque rayé. Le discours macroniste doit toujours prétendre au renouveau, au changement, à la « renaissance ». Mais ces formules, précisément, ont déjà été employées et usées en 2016 et 2017, lors de sa première campagne. Cinq ans après, c’est difficile de refaire ce coup sans paraître répétitif. De plus, sa sociologie électorale reste fondamentalement la même qu’il y a cinq ans : les classes aisées, les personnes âgées ; son discours a donc pour but de flatter toujours les mêmes personnes. Même s’il y a eu une droitisation de sa politique – la retraite à 65 ans, c’est une idée vieille comme Balladur – et donc de son discours. Mais, pour l’essentiel, mon algorithme identifie les mêmes termes qui reviennent : « projet », « confiance », le « parce que » quand il faut faire de la « pédagogie » sur les réformes…

Existe-t-il cependant des mots nouveaux chez Macron depuis sa réélection ?

Oui et non. Car ça ne date pas forcément de sa réélection. En fait, l’idée de rupture avec ce second quinquennat est relativement fausse : les évolutions du discours que j’ai observées datent d’un peu avant, à partir de la crise du Covid. Depuis la pandémie, on a une répétition des termes « collectivement », « ensemble », pour afficher une rupture avec le jupitérisme. Mais prenons un exemple récent : le choix de renommer son parti Renaissance. Ce n’est pas le seul signal sémantique de cet acabit. On parle de Conseil national de la refondation, du ministère du Renouveau démocratique, attribué à Olivier Véran. « Restaurer », « refonder »… tous ces mots sont historiquement marqués à l’extrême droite. Le « renouveau français », c’est un marqueur du maréchal Pétain. Éric Zemmour nomme son parti Reconquête. Chez Trump, on parle de « rendre à l’Amérique sa grandeur ». Cela renvoie à une gloire passée qu’il s’agirait de retrouver. C’est une caresse à l’électorat conservateur, d’autant plus hallucinante pour un président sortant : quand il parle de « redonner à l’école de la République », par exemple, c’est son propre bilan qu’il critique. Le fait qu’il change le nom de son parti relève aussi de cette idée que le macronisme doit donner l’impression constante d’être en mouvement, comme si c’était sa raison d’être. C’est inédit de voir un parti politique aussi jeune changer de nom trois fois (En marche ! est devenu la République en marche, puis Renaissance – NDLR).

Qu’en est-il des mots « sobriété » ou « planification écologique », apparus à partir de la campagne présidentielle en Macronie ?

Avec ces mots-là, Macron renoue avec sa promesse d’être « en même temps » de gauche et de droite. La réforme des retraites, de l’assurance-chômage, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, la fiscalité favorable aux plus riches… n’importe quel observateur peut voir que la politique de Macron penche à droite. Face à cela, il doit donc donner des gages discursifs à gauche sur le « sociétal » et l’écologie, sans bien sûr toucher à l’économie de marché. Ça se fait davantage au niveau des mots que des actes : chez Emmanuel Macron, il y a une autonomisation du langage par rapport au réel. On peut parler de « planification écologique » tout en étant accroché au credo libéral, ou de « grand débat » tout en multipliant les 49.3. Ou reprendre le sigle « CNR » tout en liquidant l’héritage du Conseil national de la Résistance. Le « en même temps », in fine, n’est plus que lexical, puisqu’il ne s’interdit pas de parler de « valeur travail » par ailleurs, un terme cher à Sarkozy. Sauf que, chez ce dernier, c’était simple, on savait où on était. Chez Emmanuel Macron, il y a une volonté de maintenir l’ambiguïté sur son corpus idéologique, de maintenir par le discours une sorte d’écran de fumée, en parlant de mouvement, de progrès, en restant vague.

La majorité relative a changé la donne politique. Est-ce que vous avez noté une inflexion du discours macronien vis-à-vis de ses oppositions depuis les législatives ?

Ce qui est nouveau, c’est une agressivité dont il pouvait faire l’économie précédemment. Emmanuel Macron est dans la contre-attaque. Dans l’absolu, lors du premier quinquennat, tout roulait à peu près comme il voulait et il pouvait se permettre y compris de flatter une opposition qui ne le gênait pas vraiment. Les motions de censure et les batailles sur chaque vote l’obligent à donner dans l’hyperbole, à dire que l’opposition est « dans le camp du cynisme et du désordre ». Jusqu’à Élisabeth Borne, qui tente d’inverser complètement la réalité en disant : « Pourquoi avez-vous peur du débat ? » au moment de déclencher un nouveau 49.3. Il sait qu’il ne sera pas réélu, donc il a plus de latitude à se lâcher contre ses adversaires.