Gestion de l’eau 

Le gouvernement néglige l’impératif de sobriété de l’agriculture

Pour faire face à la raréfaction de la ressource en eau, le chef de l’Etat a appelé à la sobriété. Mais le secteur agricole reste dispensé d’efforts sérieux. Une distorsion qui retarde une inévitable adaptation des pratiques culturales.


Dire qu’il était attendu est un euphémisme. Après les canicules de 2022, après la sécheresse hivernale de 2023, exceptionnelle avec ses trente-deux jours consécutifs sans pluie, le plan antipénuries du gouvernement suscitait beaucoup d’impatience, en particulier de la part des entreprises du secteur de l’eau et de l’assainissement – allait-on faire appel à leurs technologies ? –, et surtout d’interrogations chez les élus locaux – comment allaient-ils aborder l’été à venir qui s’annonce encore plus compliqué que le précédent dans de nombreuses régions ? Qu’allait retenir le gouvernement des très nombreuses propositions, recommandations, constats sévères, rapports, émanant respectivement du Comité national de l’eau, une instance consultative liée au ministère de la transition écologique, de la Cour des comptes, du Sénat, entre autres ?

Les augures sont obstinément alarmants : le 1er avril, 75 % des niveaux des nappes souterraines étaient bas, voire très bas. Malgré l’urgence, le Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau a été plusieurs fois repoussé avant d’être finalement présenté par Emmanuel Macron en personne, le 30 mars, près des rives du lac de Serre-Ponçon, dans les Hautes-Alpes. L’allocution du chef de l’Etat peut se résumer en un appel général à la sobriété. La France, pays aux vertes forêts et aux rivières glougloutantes, doit se réveiller : les sécheresses intenses ainsi que les inondations meurtrières qui frappent le reste du monde la concernent aussi.

En 2019, les Assises de l’eau, qui avaient réuni tous les usagers, s’étaient conclues par un objectif de 10 % de prélèvements en moins en 2025 et de 25 % d’ici à 2034. Le président de la République a ramené ce mot d’ordre à − 10 % d’ici à 2030, mais dans tous les territoires et dans tous les domaines. Tous ? Il semble qu’un irréductible secteur résiste encore.

Pas d’ « effort supplémentaire »

Bien que les usages agricoles représentent 58 % de la consommation d’eau en France, le ministre de l’agriculture n’était pas aux côtés d’Emmanuel Macron lors de ce déplacement officiel à Savines-le-Lac. Au même moment en effet, ledit ministre, Marc Fesneau, participait au congrès du syndicat agricole majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et y tenait des propos rassurants. Souveraineté alimentaire oblige, on ne lui demandera pas d’« effort supplémentaire ». Le lendemain, le ministre a à nouveau exposé sa pensée lors d’une conférence de presse où son homologue de la transition écologique, Christophe Béchu, détaillait les 53 mesures qui composent le plan Eau.

« Faire œuvre de sobriété en agriculture », selon Marc Fesneau, ne signifie pas puiser globalement moins d’eau. « Le prélèvement brut doit faire partie de la trajectoire des − 10 %, mais en prélèvement net, il y a besoin de stabiliser cette ressource », a-t-il explicité. Dit autrement, si des améliorations de pratiques et d’outils peuvent entraîner un peu plus de sobriété à l’hectare, les volumes totaux, eux, ne sont pas censés diminuer, car les surfaces irriguées devraient s’étendre. La logique mathématique conduit donc à déduire que, comme chaque territoire est appelé à préparer des programmes d’action en vue de réaliser 10 % d’économie, les autres usagers de l’eau vont forcément devoir consentir des efforts supérieurs si l’agriculture n’en prend pas sa part.

Or, la ressource en eau renouvelable a baissé de 14 % en France métropolitaine, en moyenne annuelle, entre les périodes 1990-2001 et 2002-2018. Dans ce contexte, le plan gouvernemental manque nettement d’ambition. L’une de ses mesures prévoit, par exemple, qu’il « sera progressivement mis fin aux autorisations de prélèvement au-delà de ce qui est soutenable dans les bassins-versants dits en déséquilibre ». Si les réserves naturelles y sont déjà exsangues, pourquoi remettre l’inéluctable à plus tard ?

Dégradation de la qualité

De surcroît, il n’évoque que très peu la question préoccupante de la dégradation de la qualité de l’eau et présente comme des nouveautés des politiques publiques déjà existantes, tel le plan Ecophyto, qui a échoué. Pourtant, les pollutions diffuses agricoles obligent depuis des décennies à fermer des captages et renchérissent le coût des traitements pour l’eau potable. Dès la mi-avril, les habitants de quatre communes des Pyrénées-Orientales ont déjà dû cesser de boire au robinet. Qu’importe. Le 30 mars, Marc Fesneau a publiquement remis en cause le projet d’interdire un herbicide très utilisé dans les parcelles de maïs et de soja, le S-métolachlore, responsable d’une pollution généralisée des nappes phréatiques et de la non-conformité de l’eau servie à plus de trois millions de Français en 2021.

Le message qu’il porte est donc loin d’annoncer le grand chambardement des pratiques agricoles. Pourtant, comme la plupart des rapports publiés récemment, celui du Comité économique social et environnemental (CESE) insiste sur la nécessité de « réaliser une véritable transition écologique et systémique de l’agriculture ». Il s’agit de revoir son modèle afin de développer de « meilleures pratiques environnementales protectrices de la qualité de l’eau ». La FNSEA a refusé de signer cet avis, sur lequel le CESE a travaillé durant un an et demi. Rendues publiques le 11 avril, ces préconisations sur « la gestion durable de l’eau » ont été un peu noyées dans le bruit médiatique du plan du gouvernement.

Au demeurant, tous ces appels à la sobriété sont nécessaires. Le changement climatique rend impératif de moins puiser dans la nature. A force d’entendre parler de la raréfaction de la ressource, les Français s’étonneront sans doute moins des difficultés d’approvisionnement qui les attendent. Ils comprendront mieux également les augmentations de leurs factures d’eau et d’assainissement puisqu’il va bien falloir investir pour faire face à la fois au manque et à la dégradation de l’eau. Ce sont les particuliers qui règlent la facture à plus des deux tiers.

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