La gestion du dossier des mégabassines

Gestion critiquée par six rapporteurs spéciaux des Nations unies

Dans une lettre rendue publique le 18 juillet, un groupe de rapporteurs spéciaux pointe les faiblesses des projets de stockage d’eau. Les autorités françaises n’ont pas encore répondu à cette missive.

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Ils sont six rapporteurs spéciaux des Nations unies à s’inquiéter du traitement par le gouvernement français du dossier sensible des mégabassines, ces projets de stockage d’eau pour l’agriculture, que ce soit sur leur utilité, leur impact ou encore le traitement politique et policier des mouvements qui s’y opposent.

Leur courrier, qui a été envoyé aux autorités françaises le 18 mai, mais qui devait rester confidentiel durant soixante jours, a donc été rendu public le 18 juillet. Avec ce document, la réponse du gouvernement français aurait dû aussi être publiée, mais cette dernière n’a pas été envoyée. Selon nos sources, le gouvernement aurait fait savoir qu’il était en retard, et qu’il transmettrait ses observations au mois de septembre.

Dans leur document d’une dizaine de pages, les rapporteurs spéciaux – Michael Fakhri (droit à l’alimentation), Ian Fry (promotion et protection des droits dans le contexte des changements climatiques), David R. Boyd (droits à bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable), Clément Nyaletsossi Voule (droit de réunion pacifique et liberté d’association), Mary Lawlor (situation des défenseurs et défenseuses des droits humains) et Pedro Arrojo-Agudo (droits à l’eau potable et à l’assainissement) – pointent les faiblesses du principe des mégabassines et préconisent les solutions visant à plafonner les volumes d’eau distribués aux exploitations agricoles.

« Les financements liés à l’eau en agriculture doivent être massivement réorientés vers le soutien et le développement de pratiques permettant de retenir l’eau dans les sols (couverts végétaux, haies, prairies permanentes, semences paysannes, bandes enherbées…), la protection de l’eau (réduction des intrants chimiques de synthèse) et l’économie des ressources en eau », écrivent les auteurs du courrier.

Les six rapporteurs spéciaux, personnalités indépendantes mandatées par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, avaient été saisis par la Confédération paysanne (membre de l’internationale paysanne Via Campesina) et le Centre d’étude, de recherche et d’information sur les mécanismes à l’origine du maldéveloppement (Cetim), une organisation internationale basée à Genève spécialisée dans les droits humains et les luttes paysannes, et qui a un statut d’observateur à l’Organisation des Nations unies (ONU).

Une saisine élargie après les affrontements de Sainte-Soline

Le sujet des mégabassines a été soulevé dès novembre 2022 par la Confédération paysanne auprès du Cetim afin de saisir le rapporteur spécial sur le droit à l’eau. Après la manifestation contre le réservoir géant de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars, et les affrontements violents qui ont fait de nombreux blessés et ont conduit, plusieurs semaines plus tard, à la dissolution des Soulèvements de la Terre, une des organisations (avec la Confédération paysanne) à l’origine de la mobilisation, la saisine s’est élargie. « Après Sainte-Soline, on a refait notre saisine pour dénoncer à la fois les effets néfastes sur les accès à l’eau, l’accaparement de cette ressource, les conséquences environnementales, et ajouter la question de la répression policière et de la liberté de manifester », raconte Raffaele Morgantini, représentant du Cetim aux Nations unies.

Dans leur missive au gouvernement français, les rapporteurs spéciaux accordent ainsi une large part au traitement réservé par les autorités au mouvement antibassines et, plus largement, aux associations de défense de l’environnement. « Nous sommes profondément préoccupés par la criminalisation des individus qui manifestent contre les mégabassines, mais aussi des organisations de défense des droits humains, ainsi que les dérives de la stratégie du maintien de l’ordre », écrivent les auteurs du document.

Déjà, dans un document rendu public le 15 juin, sept rapporteurs spéciaux avaient critiqué la répression par la France des mouvements de contestation. « La France doit respecter et promouvoir le droit à la réunion pacifique », avaient-ils écrit, évoquant aussi bien les manifestations écologiques que le mouvement contre la réforme des retraites. Mais cette adresse n’appelait pas de réponse de la part des autorités.

Pour le document rendu public le 18 juillet, une réponse est attendue. Sans que celle-ci puisse entraîner une quelconque sanction, puisque ces démarches de rapporteurs spéciaux des Nations unies n’ont pas cette finalité. « Ce sont des voix en plus qui critiquent la France sur le dossier des bassines et sur la répression contre nos mouvements, et ce sont les voix de rapporteurs des Nations unies, ce n’est pas rien ! », estime Laurence Marandola, porte-parole nationale de la Confédération paysanne.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/21/la-gestion-du-dossier-des-megabassines-sous-la-critique-de-six-rapporteurs-speciaux-des-nations-unies_6182947_3244.html

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Pour lire le rapport de l’ONU

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