« Reprise en main » de l’École ?

Un article du Figaro du 8 juillet se fait l’écho de propos du Président de la République où il dit son intention de « durcir l’Éducation nationale pour remettre de l’autorité à l’école » pour reprendre le titre de la publication.

Ou comment cumuler erreur de diagnostic avec le fantasme d’un pouvoir vertical dans l’EN pour aboutir à malmener encore plus l’École, les élèves et les enseignants…

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Tout le reste de l’article du Figaro est du même tonneau. On y parle de faire de l’Éducation un « sujet régalien » (ie contrôlé par le Président…). On y rapporte aussi les propos d’un ministre : «L’Éducation nationale est un naufrage, Il va falloir se montrer très radical. Il faut tout désétatiser. Le drame de l’Éducation nationale, c’est que lorsque le président de la République ou la première ministre dit quelque chose, les syndicats n’en ont rien à faire. Ils empilent les circulaires en attendant la suite. Il y a un vrai sujet d’exécution en France. Or, sans exécution, la parole publique est discréditée.» En filigrane  de ce papier, le départ de Pap Ndiaye semble acté : pas assez présent et visible, pas assez préoccupé par l’autorité… On fantasme sur un homme à poigne du type du Général Georgelin qui pilote à marche forcée la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame.

Erreur de diagnostic

Déni ou diversion ? Emmanuel Macron se focalise sur les « problèmes d’autorité » pour expliquer les émeutes et le comportement des jeunes. Après avoir évoqué le rôle des réseaux sociaux, il a incriminé les parents qui ne tiendraient pas leurs gamins…
Outre le mépris de classe contenu dans cette posture, il y a surtout une méconnaissance totale de la crise latente mais explosive des banlieues. On l’a même entendu réutiliser la formule « 
Qui aurait pu prédire ce qui allait se passer ? ».
Une telle répétition dans la myopie voire l’aveuglement face aux tensions de la société devrait interroger sérieusement ceux qui ont encore des illusion sur sa capacité à gouverner. Ne pas prendre conscience des inégalités et de la ségrégation, nier les discriminations, conduit forcément à la répétition, en plus violent encore, des mêmes phénomènes.
Comment résoudre les problèmes ou du moins tenter de le faire quand on ne fait pas le bon diagnostic ?

Problème d’exécution ?

Dans un livre paru en 2021, j’avais évoqué le « syndrome de la rue de Grenelle ». Il parait que Jules Ferry dans son bureau ministériel à l’angle de la rue de Grenelle et de la rue de Bellechasse se vantait de savoir ce que chaque classe et chaque enfant faisaient en France à la même heure, tant les pratiques étaient encadrées par un ensemble de circulaires. C’est évidemment une chimère et on peut même douter de la véracité de l’anecdote. Mais celui-ci semble encore hanter les hautes sphères de l’Etat. Il n’y a pas si longtemps, on théorisait la verticalité jupitérienne, pendant que, rue de Grenelle, le prédécesseur de Pap Ndiaye assurait que « tout était prêt » à propos de l’enseignement à distance au moment du confinement.
Le syndrome de la rue de Grenelle relève de la pensée magique et du discours performatif. C’est un fantasme de croire qu’une décision prise dans l’Hôtel Rochechouart (et souvent déconnectée du terrain) va redescendre impeccablement jusque dans chaque salle de classe. Si certains se plaisent à comparer l’École à un monument historique, le système éducatif ne se gère  pas comme la cathédrale Notre-Dame !

On ne réforme pas l’École en cent jours, ni même en quatre ans. Est-ce à dire qu’elle est irréformable ? Non. Mais cela suppose de tenir compte de plusieurs paramètres.
En premier lieu, il faut rappeler ce qui devrait être une évidence : on ne réforme pas en malmenant les personnels. Tant que la question de la revalorisation ne sera pas réellement traitée, il sera difficile de mobiliser. Quant à la question de l’attractivité, ce n’est certainement pas en transformant cette profession en un métier d’exécution qu’on la résoudra !
Enfin, il est paradoxal d’incriminer le supposé pouvoir des syndicats alors que ceux-ci sont tenus à l’écart des réelles prises de décision. Il faudrait aussi considérer les établissements comme de réels lieux de délibération. La prise en compte de l’expertise de terrain est essentielle.
Donner du pouvoir d’agir aux enseignants serait certainement plus efficace que les claquements de doigts marqués par l’impatience d’un président qui n’a jamais compris le sens du mot « négociation »

Moins de circulaires et plus de directives !

L’Education Nationale est un immense organisme très bureaucratique. La comparaison avec le Mammouth n’est pas la bonne. Il faudrait plutôt aller voir du côté du diplodocus. Selon les spécialistes, la distance entre son cerveau et ses membres inférieurs (7 mètres !) conduisait à un temps de réponse très long et qui pouvait lui être fatal. Il pouvait se faire grignoter la queue avant que l’influx nerveux ne remonte au cerveau…

On produit des circulaires sur tout sauf sur l’essentiel. Quand l’enjeu est celui de la conformité à des procédures plutôt que de s’interroger sur le sens de ce qu’on fait, quand chacun défend un périmètre devenu un territoire, quand l’arrogance technocratique cherche à imposer une seule manière de faire,  comment changer l’école ? Quand une circulaire est inapplicable comment l’appliquer?
Il s’agirait de donner des objectifs (directives) et de faire confiance au niveau local pour les mettre en œuvre de la manière qui soit la plus appropriée. Évidemment, pour éviter les dérives, cela suppose qu’il y ait un contrôle et une évaluation a posteriori (et non plus a priori).
Une véritable école de la confiance (j’hésite à utiliser cette expression tant elle a été galvaudée) suppose qu’on abandonne l’urgence et même l’impatience politique pour se donner le temps de la concertation et de la co-construction avec les différents partenaires.

Conservatisme ?

Il est tentant de voir l’École et ses enseignants comme marqués par l’immobilisme et le conservatisme.
Certes, il peut y avoir de l’inertie mais comme je l’évoquais, c’est d’abord le résultat de la bureaucratie. Elle est aussi le produit de la méfiance. La succession des réformes venues d’en haut rend prudent et aboutit à de l’attentisme. On a besoin de temps pour s’approprier les marges de manœuvre.
C’est enfin le résultat de la maltraitance des enseignants. Le manque de reconnaissance se percute avec la culture en vigueur du  dévouement sans retour. Jusque là, on attendait des personnels qu’ils fassent du mieux qu’ils peuvent au nom de l’intérêt des enfants et du service public. Mais ce modèle est en train de disparaitre. Les enseignants,  y compris les plus impliqués et ceux qui sont les plus favorables à la transformation du système, sont de plus en épuisés et désabusés. La séquence actuelle du pacte et de la vraie fausse revalorisation n’a rien arrangé.

Il est facile  d’accabler Pap Ndiaye dont la marge de manœuvre n’a cessé de se réduire face à l’omniprésence du couple présidentiel. Le Président de la République devrait plutôt s’interroger sur sa propre pratique du pouvoir et ses fantasmes de toute puissance. Mais la modestie et l’auto-critique ne semblent pas faire partie du programme.
C’est pourtant lui qui devrait se « reprendre en main » !

Philippe Watrelot, le 9 juillet 2023 ; Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique

https://blogs.mediapart.fr/philippe-watrelot/blog/090723/reprise-en-main-de-l-ecole