Moi non plus, je ne peux plus rester muette

Je crois que ça va aller maintenant

Tous ces gens qui prennent la défense du monstre, qui parlent de présomption d’innocence, qui s’étalent dans une tribune pour nous demander de ne pas effacer Depardieu, ça suffit.

Extrait de la tribune parue dans Le Figaro du 25/12/2023, signée par 56 personnalités d’un autre monde : « Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs. Le dernier monstre sacré du cinéma. Nous ne pouvons plus rester muets face au lynchage qui s’abat sur lui, face au torrent de haine qui se déverse sur sa personne, sans nuance, dans l’amalgame le plus complet et au mépris d’une présomption d’innocence dont il aurait bénéficié, comme tout un chacun, s’il n’était pas le géant du cinéma qu’il est. »

Si j’y croyais, je dirais : de par Dieu, épargnez-nous vos jérémiades ! Je préfère croire la parole des femmes et dans le cas présent, les paroles du monstre me suffisent. Sa culpabilité est faite et ses mots me font vomir. Jamais je n’aurais pensé que ce si grand comédien, cet acteur incomparable, puisse tenir les propos dégueulés dans son dernier film et tellement abjects qu’en cinq ans, personne n’avait osé le diffuser.

Alors voilà, c’est fait. Après que plusieurs femmes aient porté plainte et que de nombreuses autres aient témoigné, l’enquête complémentaire a été diffusée et là, la parole s’est encore un peu plus libérée. Anouk Grinberg avait osé quelques semaines auparavant, mais c’était passé inaperçu, alors elle en a remis une couche il y a 15 jours sur France inter. Merci Anouk, même si toi aussi, tu t’es tue très longtemps. C’est pas comme ces 56 minables personnes qui n’ont rien vu, rien entendu, et en tout cas, pas de quoi effacer le bonhomme.

Mais personne ne veut l’effacer ! On veut le regarder droit dans les yeux et lui dire à quel point il est répugnant, à quel point ses paroles anéantissent tout ce qu’il a pu représenter dans ses costumes de grand acteur, même s’il devenait de plus en plus débectant. Au moins, maintenant, c’est clair, il est à gerber, il nous l’a dit lui-même. Il l’a craché à la figure de toutes les femmes, même si j’en ai compté plus d’une vingtaine à signer cette tribune parue dans Le Figaro. Je relis la liste des femmes et des hommes signataires, je n’y crois toujours pas ou plutôt je n’en reviens pas, je suis effondrée. J’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais aller au cinéma ou regarder un film avec ces gens. C’est con tout de même.

Alors qu’ils auraient pu avoir un peu d’empathie, un mot pour les victimes, non, ils leur crachent eux aussi leur mépris d’avoir osé briser l’omerta qu’ils entretiennent depuis si longtemps. Alors ils s’accrochent à une présomption d’innocence dont il n’est même pas question. De quoi parle-t-on ? On parle d’un homme qui a des paroles particulièrement salaces envers les femmes et qui dès qu’il voit une femme la transforme en objet sexuel pour lequel il s’octroie le droit d’en abuser par les gestes ou les paroles. Il les agresse avec ses grognements de brute épaisse, il en parle comme de la viande, il les regarde avec sa langue de chien lécheur, ses yeux exorbités d’ogre en rut.

Et Nadine Trintignant en redemande. Et Victoria Abril, Brigitte Fossey, Charlotte Rampling et tant d’autres le soutiennent, c’est un véritable cauchemar. Quant aux hommes signataires, ils doivent se reconnaître dans les paroles de leur vieil ami gégé qui déclarait il y a peu pour sa défense : « Je ne suis ni un violeur ni un prédateur. Je suis juste un homme… » Amen.

Zazaz ; abonnée de Mediapart

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Affaire Depardieu : les artistes qui ont signé la tribune en faveur de l’acteur montrent leur propre « sentiment de culpabilité », analyse une chercheuse

Pour Bérénice Hamidi, enseignante à l’université Lumière Lyon 2, cette tribune montre une « exception culturelle du cinéma français, qui refuse de considérer les actes commis par des artistes comme des violences et de les condamner ».

Nathalie Baye, Carole Bouquet, Jacques Weber, Pierre Richard ou encore Gérard Darmon… Autant d’actrices et d’acteurs qui figurent parmi la cinquantaine d’artistes signataires d’une tribune de soutien intitulée « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée lundi 25 décembre dans Le Figaro. Ils s’expriment quelques jours après qu’Emmanuel Macron a pris la défense de l’acteur, mis en examen pour viols et agressions sexuelles depuis 2020, par des mots qui ont suscité la critique.

Le comédien est de nouveau au cœur de la polémique depuis la diffusion, le 7 décembre sur France 2, d’un numéro du magazine « Complément d’enquête », dans lequel on voit et on entend l’acteur tenir des propos obscènes à l’égard des femmes, ainsi que d’une fillette dans un haras, en Corée du Nord, en 2018. « Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs. Le dernier monstre sacré du cinéma », écrivent notamment les signataires de la tribune, qui dénoncent un « lynchage qui s’abat sur lui ».

Comment expliquer un tel soutien d’une partie du milieu culturel français, malgré le retentissement causé par le mouvement #MeToo ? Franceinfo a interrogé Bérénice Hamidi, enseignante-chercheuse et professeure en esthétiques et politiques des arts vivants à l’université Lumière Lyon 2, pour comprendre la lente prise de conscience, voire son absence, dans le septième art en France.

Franceinfo : La vague #MeToo, qui a donné lieu à un mouvement de prise de parole publique des victimes de violences sexistes et sexuelles, est venue du monde du cinéma américain. Mais en France, ce milieu semble montrer des signes de surdité. Est-ce une spécificité de notre pays ?

Bérénice Hamidi : Oui, il y a une volonté de couvrir les voix des victimes par d’autres, dotées d’un fort écho médiatique, qui démentent et discréditent ces paroles. Que le mouvement #MeToo vienne du cinéma n’est pas anodin. C’est un milieu exposé aux violences sexistes et sexuelles, parce que ce sont des métiers précaires, parce que tout au long de la carrière la sélection repose sur des logiques de séduction, parce que la frontière entre vie privée et vie professionnelle est floue, tout comme la frontière entre réalité et fiction. 

Mais il y a une véritable exception culturelle du cinéma français, qui refuse de considérer les actes commis par des artistes comme des violences et de les condamner. C’est dit explicitement dans la tribune ou dans le discours du président de la République : Gérard Depardieu ne saurait être traité comme un homme ordinaire parce qu’il a du talent.

« L’échelle de valeur est claire : la vie des femmes qui se disent victimes de l’homme Depardieu ne vaut rien en comparaison de ce que vaut Depardieu l’artiste, et dénoncer les actes de cette personne, c’est attaquer l’art. » Bérénice Hamidi, enseignante-chercheuse à l’université Lumière Lyon 2

Selon cette conception, les lois ordinaires ne s’appliquent pas aux artistes. Notre conception de l’art est encore très marquée par la figure de l’artiste maudit héritée du XIXe siècle et par l’idée que créer supposerait de transgresser les lois ordinaires auxquelles est soumis le commun des mortels, de se connecter aux forces obscures, et donc impliquerait forcément souffrance et violence. D’où ce régime d’exception : cette impunité n’existe qu’en France. Cette croyance naïve qu’il faudrait détruire ou se détruire pour faire un chef-d’œuvre ou être un génie est un des socles de la culture du viol à la française.

Que révèlent, selon vous, ces soutiens apportés à Gérard Depardieu ?

Cette tribune peut se lire comme un mécanisme de défense collectif qui part d’un sentiment de culpabilité. Toutes les personnes témoins du comportement de Gérard Depardieu savent, au fond d’elles-mêmes, qu’elles ont été complices. L’actrice Anouk Grinberg a récemment déclaré que Gérard Depardieu était « un des monstres sacrés du cinéma », ce qui « l’a autorisé à devenir monstre tout court ». Mais il ne s’est pas autorisé tout seul. La responsabilité des personnes qui ont laissé proliférer son sentiment de toute-puissance est immense : ce sont elles qui ont créé le monstre. Certains ont laissé faire par lâcheté, d’autres se défendent ou défendent à travers Depardieu des proches qui se sont comportés de façon similaire.

N’est-ce pas également l’expression d’une lutte de classes ?

Effectivement, on sent des mécanismes d’alliance de classe. C’était déjà le cas pour l’affaire Roman Polanski. Quand, il y a quelques années, Fanny Ardant avait dit qu’elle suivrait le cinéaste jusqu’à l’échafaud, on a un peu l’impression de voir un inconscient à ciel ouvert ! Elle ne se vit pas comme une femme mais comme Marie-Antoinette, d’où son absence d’empathie pour des femmes dominées socialement.

Quant à l’actrice Carole Bouquet, elle affirme qu’il est « incapable de faire du mal à une femme », car elle a vécu dix ans avec lui. Mais ce n’est pas parce qu’elle n’a pas vu une face de sa personnalité qu’il ne l’a pas. Quand elle ou d’autres disent : « C’est Gérard », cette formule désigne aussi un être de fiction. « Gérard », ce n’est pas une personne, c’est le colonel Chabert, Cyrano de Bergerac…

Dans l’expression « ça va, c’est Gérard », on retrouve l’argument classique de la « séduction à la française » qui confond tristement séduction et agression. On entend aussi une piètre façon de maquiller en défense d’un humour graveleux la peur de déplaire à un homme de pouvoir. Mais on entend surtout l’impunité et même l’immunité spécifique dont jouissent les artistes qui commettent des violences sexuelles. Cela s’explique par le fait qu’ils ne sont pas considérés comme des personnes mais comme des êtres plus grands que nature, presque des personnages de fiction. On ne peut pas lui appliquer la loi ordinaire des hommes, il a en quelque sorte une immunité absolue. Il bénéficie de la peur, dont bénéficient tous les hommes de pouvoir. 

Les signataires de la tribune écrivent : « Se priver de cet immense acteur serait un drame, une défaite. La mort de l’art. La nôtre. » Y voyez-vous une volonté de « séparer l’homme de l’artiste » ?

Après la diffusion de « Complément d’enquête », certains ont voulu croire que les images étaient fausses, parce qu’il leur était tout de même insupportable que Gérard Depardieu ait bel et bien sexualisé une fillette de 11 ans. Il a été prouvé que les images sont authentiques, alors ils passent à l’argument infondé de la présomption d’innocence, de l’art et de la séduction, quand ce qu’ils défendent, c’est la liberté des puissants d’écraser les plus faibles et la liberté des hommes d’humilier verbalement et de détruire psychologiquement, voire physiquement les femmes, sur les plateaux, en coulisses, dans les œuvres.

Heureusement, des voix s’élèvent, comme celles des actrices Adèle Haenel, Judith Godrèche, Anouk Grinberg ou, à sa manière, Isabelle Adjani. Ecoutons-les. Le monde qu’elles portent est bien plus lumineux et désirable.

francetvinfo.fr

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La tribune de soutien à Gérard Depardieu « rappelle furieusement l’Ancien Régime »

https://www.huffingtonpost.fr/life/article/la-tribune-de-soutien-a-gerard-depardieu-rappelle-furieusement-l-ancien-regime_227536.html

Extraits

Qu’avez-vous pensé de la tribune de soutien à Gérard Depardieu publiée dans Le Figaro ?

Il existe dans le cinéma un droit de cuissage indéniable, qui s’exerce de la part des hommes de pouvoir sur des jeunes femmes qu’on force à se déshabiller jusqu’à ce qu’elles aient suffisamment de pouvoir pour pouvoir se rhabiller et imposer le respect.

Ce qui m’a frappée dans les réactions des femmes autour de Depardieu, c’est qu’il s’est bien gardé de harceler ou d’agresser toutes celles qu’il a rencontrées une fois qu’elles étaient déjà connues. Celles qui affirment avoir été agressées sont les petites mains, les techniciennes, les maquilleuses, les costumières, les jeunes actrices… Celles qui n’ont pas de pouvoir social.

« À l’étranger, où le mouvement MeToo a eu plus d’impact qu’en France, Depardieu ne fait plus du tout illusion. »

Sur France Inter, l’académicien Jean-Marie Rouart, qui est l’un des signataires de la tribune, a affirmé que « l’opinion (…) est en train de voir supprimer une liberté fondamentale et supprimer surtout ce qui fait le bonheur de la France, (…) cette indulgence que l’on avait avec la vie des grands artistes ». Cette indulgence n’est donc pas inconsciente, elle représente même selon lui « le bonheur de la France »…
Le système dont je vous parlais, l’autorisation qui est faite aux artistes d’être au-dessus des lois, est littéralement théorisé comme quelque chose qui serait l’identité de la France. C’est quand même hallucinant. Cela suppose que l’art est un permis de tuer, un permis de violer.

C’est caractéristique de la France que les artistes revendiquent le droit à la fois de dire et de faire tout ce qu’ils veulent sous prétexte de génie. Mais qui dit qu’ils ont du génie ? Leurs pairs. Il y a une sorte de conspiration qui s’organise à l’intérieur de la classe dominante qui permet à ceux qui ont été identifiés par cette classe comme des génies de faire et de dire tout ce qu’ils veulent. Pour une démocratie, c’est quand même un peu problématique.

Et puis c’est problématique, surtout, parce que c’est réservé aux hommes. C’est une façon détournée de faire perdurer la domination masculine via le prétexte du génie artistique.

Dans l’argumentaire de Macron comme dans la tribune, il y a cette idée que Depardieu participe au « rayonnement » de la France à l’étranger. Est-ce vraiment toujours le cas ?
Je crois qu’il y a un tournant qu’ils n’ont pas vu. C’est fini ça. Depardieu est sans doute le plus grand acteur français de la seconde moitié du XXe siècle, mais il a fait son temps. Certes, il a eu un rayonnement, mais déjà à l’époque de Cyrano, il a raté l’Oscar parce qu’il avait, dans des entretiens, parlé sans la moindre gêne des viols collectifs auxquels il avait participé à Châteauroux. Donc les Américains savent à quoi s’en tenir à propos de Depardieu depuis longtemps, ce qui n’empêche pas qu’un certain nombre de ses films aient pu avoir un succès d’estime et même aussi un succès public. Mais je crois qu’à l’étranger, où le mouvement MeToo a eu plus d’impact qu’en France, Depardieu ne fait plus du tout illusion.

Parmi les signataires de la tribune, il y a surtout des artistes de la génération de Depardieu, et peu, voire pas, d’artistes jeunes. Y voyez-vous un fossé générationnel ?
On est bien obligé de le constater. Les hommes et même certaines femmes de cette génération ont totalement fermé les yeux sur les comportements des hommes dans le milieu du cinéma. Et puis il y a cette tradition, là aussi tombée en désuétude, de la gauloiserie, de la grivoiserie qui fait rire, qui serait tellement française. C’est fini ça.

On parle d’un monde d’avant. Ils jettent leurs dernières munitions dans la bataille. Ça rappelle furieusement l’Ancien Régime. Et ça dit d’ailleurs beaucoup de choses sur les forces sur lesquelles Macron s’appuie. Il a derrière lui ce régiment de gens de plus de 60 ans qui défendent bec et ongles l’asymétrie des rapports hommes-femmes.