Ces « chatelains » prêts à tout

Ils sont contre les éoliennes

Organisation reconnue d’utilité publique par l’État, la Demeure historique est farouchement opposée aux éoliennes.

Au point de fournir à ses adhérents, souvent châtelains, des tutoriels pour faire capoter les projets.

Lettres ouvertes, courriers aux élus, aux ministres ou aux préfets, actions en justice… L’association Demeure historique (DH) ne ménage pas ses efforts pour dénoncer « la politique d’implantation anarchique des éoliennes » — comme l’indique son site internet — et ralentir, voire faire capoter, les projets.

Consacrée à la défense du patrimoine monumental et paysager privé et des intérêts, notamment fiscaux, de ses propriétaires, c’est en 2004 qu’elle a commencé à prendre en grippe les mâts producteurs d’énergie, au moment où ceux-ci commençaient à se développer.

Que vaut à l’éolien cet acharnement de la part d’une association de défense du patrimoine historique privé ? Le principal grief adressé par la DH aux aérogénérateurs est leur atteinte supposée au patrimoine et aux paysages : les éoliennes « dégraderaient » les paysages et « mutileraient » les monuments au détriment de l’économie touristique et de ses emplois. Cette dernière préoccupation n’est pas totalement désintéressée : certains propriétaires ouvrent en effet leur monument à la visite, ou affectent une partie de celui-ci à l’accueil en chambres d’hôte.

L’opposition de la DH au « fléau » éolien dépasse toutefois la simple question de la protection du patrimoine et des emplois. L’inquiétude de l’association réside aussi dans la dépréciation des propriétés situées à proximité des mâts, un phénomène dont l’Ademe relativise cependant l’importance.

Un guide pour « parer à la menace »

Ce combat pour la défense du patrimoine immobilier et du cadre de vie d’une classe sociale privilégiée, le président de la DH Olivier de Lorgeril assure le mener au nom de « l’intérêt général de la protection du patrimoine ». Ayant lui-même eu à s’opposer à un projet éolien envisagé dans les environs de sa propriété, il revendique une certaine « virulence » dans les moyens déployés, lesquels sont formulés sans circonlocution dans le Guide éolien dont l’association réserve l’accès à ses adhérents.

Ce traité d’activisme anti-éolien décrit au lecteur « les étapes de [son] combat » et les adversaires et alliés qu’il trouvera face à lui. Le recours à l’intimidation et à l’agit-prop est assumé : au promoteur qui prospecterait le territoire d’une commune, il est conseillé d’écrire « une ou deux lettres très fermes » afin de le pousser à « quitter le secteur pour quelque temps ».

« Créer un courant hostile »

Si une enquête publique est lancée, l’association insiste sur la nécessité de « créer un courant hostile à l’avant-projet éolien » auprès du public, afin que cette cause ne soit pas « considérée comme une cause de châtelain ». Si, malgré ses efforts pour faire annuler le projet, le préfet signe l’autorisation, le propriétaire pourra se contenter d’obtenir du commissaire-enquêteur « un abaissement de la hauteur des engins suffisant pour épargner [son] monument ».

L’essentiel semble bien être de sauvegarder la valeur de son bien face à une dépréciation qui serait particulièrement marquée pour les résidences secondaires — dont les acheteurs recherchent « l’agrément du cadre » — et les monuments historiques — dont les acheteurs recherchent le « prestige, incompatible avec la présence d’éoliennes ».

Bien appliqués, ces conseils peuvent se révéler payants, comme l’atteste l’exemple de Bénédicte Coste-Leclerc de Hauteclocque. Propriétaire d’un château dans la Somme, cette « référente pour la protection de l’environnement et contre les éoliennes » à la DH est parvenue, via son association, à faire annuler en 2020 l’autorisation préfectorale d’un parc envisagé à 4 kilomètres de sa propriété.

Un lobbying soutenu fiscalement et politiquement

Cet intense lobbying anti-éolien est d’autant plus efficace qu’il est partiellement financé par l’argent public. En effet, en vertu d’une loi fiscale de 1964 dont la DH revendique la paternité, les frais de procédure engagés pour la défense des abords d’un monument historique sont déductibles des impôts.

Par ailleurs, la DH étant reconnue d’utilité publique, y adhérer ouvre droit à une réduction d’impôt égale à 66 % du prix de la cotisation. Ses adhérents peuvent donc bénéficier de son Guide éolien pour seulement 63 euros, les 125 euros restant étant pris en charge par l’État.

Bien que la DH assure ne pas être opposée à l’éolien par principe, elle défend une augmentation de la distance entre les turbines et les habitations ainsi qu’un moratoire de deux ans sur l’éolien — soit une suspension pure et simple du déploiement de cette énergie, dont l’intérêt pour lutter contre le réchauffement climatique est pourtant établi.

Cela n’empêche pas l’association de pouvoir compter sur le soutien d’une partie de la classe politique, en particulier à droite et à l’extrême droite. Elle entretient des contacts réguliers avec les pouvoirs publics, notamment via l’entremise du sénateur (LR) Louis-Jean de Nicolaÿ, administrateur de la DH chargé des relations de l’association avec les parlementaires.

Alignement avec le RN

Cette proximité lui permet de suggérer des modifications à apporter aux lois débattues au Parlement, les élus LR et RN se montrant particulièrement actifs en ce sens. Le parti lepéniste fonde en effet son maigre programme écologique sur un rejet total des aérogénérateurs au nom de la défense des identités locales.

L’alignement de ce courant sur les intérêts des propriétaires de monuments privés est clair : auprès de la DH, Marine Le Pen s’engageait, en cas de victoire en 2017, à introduire, pour l’estimation des monuments historiques dans le calcul de l’ISF, le critère de la perte de valeur d’un bien menacé par un projet éolien. Interrogé sur cette proximité idéologique, le président de la DH, Olivier de Lorgeril, se réjouit que des élus de tous bords s’emparent des demandes et des idées de l’association.

« On répond avec la même virulence »

Les châtelains peuvent également se recommander du soutien de Stéphane Bern, le « Monsieur Patrimoine » de l’Élysée. L’animateur compte en effet parmi les adhérents de la DH, et s’est engagé auprès d’elle à porter ses propositions auprès du pouvoir exécutif et des parlementaires. Bern est lui-même un opposant revendiqué aux éoliennes, et n’hésite jamais à profiter de son immense poids médiatique pour faire trébucher les projets qui ne lui conviennent pas.

En dépit de ces relations privilégiées avec les pouvoirs publics, Olivier de Lorgeril admet « a[voir] beaucoup de mal à faire changer la réglementation qui s’est de plus en plus durcie pour favoriser l’implantation d’éoliennes ». Une évolution qui conduit la DH à judiciariser son action à l’extrême.

Dans le Guide éolien, les étapes à suivre pour réussir son recours en justice face à un projet sont soigneusement décrites, et la DH se propose d’accompagner de telles démarches via la rédaction d’un mémoire en intervention volontaire ou bien via l’adoption de la position de corequérant. Olivier de Lorgeril assume de « se battre avec les armes qui nous sont données, et avec les mêmes outils que ceux qu’utilisent les promoteurs éoliens […] On répond avec la même virulence ».

Un « travail de désinformation contre l’éolien »

En 2020, des représentants de la filière éolienne, des associations et des élus écrivaient à Emmanuel Macron pour dénoncer le « travail de désinformation contre l’éolien » mené par certaines organisations « qui manipulent l’opinion en agitant des peurs factices », voire recourent à « l’intimidation, à la menace et à l’insulte ». Elles appelaient dans ce courrier à un « débat objectif et apaisé ».

Trois ans plus tard, la DH publiait la septième version de son Guide éolien, où elle plaide pour l’abandon total des aérogénérateurs en faveur de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. À l’unisson, là encore, avec le programme de l’extrême droite.

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