Le communisme électronucléaire

Un cours du soir

Le Daubé l’avait annoncé :
« Que faire pour que la Terre reste habitable ? Conférence-débat avec Sylvestre Huet, auteur de
Le Giec – urgence climat (préface de Jean Jouzel). 15 février. 18h30, salle polyvalente de l’Île verte, 37 bis rue Blanche Monnier. »

On croit se rendre à une réunion d’information du Parti communiste sur le réchauffement climatique, et on se retrouve avec une centaines de personnes dans une féroce séance de bourrage de crâne en faveur de l’industrie et de l’électronucléaire : 20 EPR, 12 SMR (Small modular reactors) et la fuite en avant vers les centrales à neutrons rapides !

L’occasion de retrouver une vieille connaissance, Sylvestre Huet, ancien journaliste à Libération, venu éclairer ses camarades communistes sur le sens du Progrès.

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Extraits du compte-rendu

Comme je ne suis jamais allé dans cette salle, que j’ignorais même son existence, je demande mon chemin avec ma bouche à un être humain de type femelle, qui chemine également, mais d’un pas décidé, comme s’il savait où il allait. « – Vous allez aussi à la conférence ?, me dit l’être humain. – Oui, mais je ne sais pas où ça se trouve. – Moi, non plus, répond l’être humain, mais attendez, j’ai le GPS. » Puis l’être humain tripote une sorte de plaquette avec des touches et une lucarne lumineuse, et j’entends une voix non-humaine énoncer « … encore quinze mètres et à gauche. »

Nous rions. Je remercie. Nous arrivons. D’autres êtres humains, de type grisonnant et bedonnant, battent en effet la semelle devant une porte ouverte. On me laisse entrer quoique je sois en avance.

Une centaine de chaises, une banderole sur le mur de droite, de la société des lecteurs et lectrices de L’Humanité de Saint-Martin d’Hères, une affiche discrète sur un pilier annonçant que la réunion sera filmée et diffusée sur Youtube, une longue table couverte de livres en vente dans le coin à gauche, un écran au fond pour projeter le power point du conférencier.

Il se trouve que l’on connaît un peu Sylvestre Huet, ce communiste scientifique. Il avait attaqué en décembre 2006, en tant que chef du service Sciences de Libération, notre « discours confus » sur les nanotechnologies (nous, Pièces et main d’œuvre). Critique et réponse disponibles en annexe ci-dessous, et toujours en ligne sur www.piecesetmaindoeuvre.com.

Nous l’avons croisé en chair, en os et assez agressif, quatre ans plus tard, lors d’une conférence de presse à Paris, le 23 février 2010, où nous nous expliquions sur notre campagne de sabotages des pseudo-débats de la CNDP (Commission nationale du débat public), visant à l’acceptabilité des nanotechnologies, quatre ans après la mise en service de Minatec. 13 pseudo-débats annulés ou sabotés sur 17.

Note en passant, quand nous sabotons une réunion – nous, Pièces et main d’œuvre –, c’est au CEA, aux nucléocrates, aux biocrates de la biologie de synthèse, que nous nous en prenons. Et non pas aux êtres queer, trans & Cie, dont nous critiquons par ailleurs et par écrit, l’idéologie délirante.

Notre intervention lors de cette conférence et le bilan de cette campagne d’acceptabilité des nanotechnologies est toujours lisible sur Pièces et main d’œuvre.

Sylvestre Huet ne se présentait pas alors comme communiste scientifique, juste comme journaliste à Libé, diplômé en histoire des sciences. Discrétion et duplicité. Le nombre de militants de tous bords qui se présentent comme « historiens » ou « journalistes », alors qu’ils sont d’abord des militants sur le « front de la presse » ou sur « le front des idées ». Des propagandistes sous couverture scientifique ou médiatique.

Le militant Huet tient depuis 2017 la rubrique scientifique du Travailleur alpin, le journal communiste local ; ainsi qu’une chronique hebdomadaire, depuis 2022, à L’Humanité. J’ai sous les yeux celle du 12 février 2024, intitulée « Faut-il toujours chercher ? »

Rassurez-vous, il ne s’agit que d’attaquer Raison présente, la revue de l’Union rationaliste, coupable de s’être demandé dans son dernier numéro, « Tout est-il souhaitable en recherche ? », et d’avoir repris sous la plume du biophysicien François Graner, la question d’Alexandre Grothendieck, « faut-il interdire la recherche scientifique ? »

Si vous ne connaissez pas François Graner, ni Alexandre Grothendieck, vous pouvez lire les articles que le premier et nous-même avons consacrés au second. Et pardon de tous ces liens qui hérissent ce texte.

Dans sa chronique de L’Humanité, Sylvestre Huet s’en prend une fois de plus à la « confusion », qui semble être son épouvantail fétiche lorsque l’on ose critiquer les technosciences et la société industrielle. Sylvestre l’avisé nous rappelle que les paysans du néolithique n’ont pas eu besoin de tronçonneuses pour raser la forêt. Que les massacreurs des temps passés ou des pays ruraux (Cambodge, Rwanda), n’ont pas eu besoin d’armements sophistiqués pour massacrer. Tout dépend de ce que l’on fait des haches et des tronçonneuses ; des haches et des armements sophistiqués. Il est donc « confus », selon Huet, d’inculper la société industrielle et technoscientifique pour sa production de bombes nucléaires, biologiques, chimiques, et pour toutes ses armes de destruction massive. Comme si ces armes n’avaient pas rendu la destruction plus facile, plus rapide, plus extrême, plus efficace. Comme si elles n’avaient pas permis un « saut qualitatif » dans la capacité de destruction. Comme si la tronçonneuse et le bulldozer à l’œuvre dans la forêt amazonienne n’accomplissaient pas en quelques décennies la destruction que les haches du néolithique avaient mis des millénaires à accomplir en Europe.

Mais dans ce cas, Sylvestre Huet, pourquoi produire des bombes et des tronçonneuses ? A quoi bon si elles ne sont pas plus performantes que des haches de pierre ? Où est le progrès alors ? Où est l’essor des « forces productives » (destructives), qui oriente pour tout communiste scientifique le « sens de l’histoire » ? Comment la production et la population mondiales ont-elles pu décupler, centupler, ravager les sols, les sous-sols, les eaux et les airs depuis deux siècles ? Il a bien fallu des moyens matériels, on n’arrive pas à un pareil résultat en jetant simplement et littéralement de l’argent par les fenêtres, ni en l’entassant dans un coffre – où, stupide valeur numérique abstraite, il s’accroît abstraitement, numériquement, en dormant ? Il faut bien que cet argent investi serve, soit asservi à la recherche et à la découverte scientifique, à la mise en œuvre industrielle de nouveaux moyens de production.

« Surtout, » insiste Sylvestre le clairvoyant, que « la plupart des résultats de recherche, en physique, chimie ou biologie, n’ont débouché sur aucune application technologique et industrielle. » Voilà une sentence qu’on pourrait relire sans se lasser comme rarissime symptôme d’insanité, tout en contemplant de sa fenêtre, les lignes électriques, les antennes 5G, les trains, les trams, les enseignes, les voitures et tous les signes apparents de la machinerie qui structure en surface et en sous-sol, la métropole contemporaine. Mais Sylvestre ne veut pas rien dire.

« Qui a choisi celles (Ndr : « les applications technologiques et industrielles ») qu’il fallait utiliser et celles qu’il fallait négliger ? En fonction de quels intérêts et objectifs ?

Ce fait indique que c’est plutôt vers l’organisation sociale, les intérêts de classe et les idéologies qui en surgissent qu’il faudrait tourner l’analyse. »

Nous y revoilà. Tout dépend de qui choisit les applications technologiques et industrielles de la science. Pour notre communiste scientifique, c’est « l’appétit de profit rapide qui guide les choix des entreprises privées » et on s’explique donc que « la plupart des résultats de recherche, en physique, chimie ou biologie, n’ont débouché sur aucune application technologique et industrielle. » Les capitalistes sont avides et avares. Ils n’investissent que dans très peu de développements, uniquement ceux susceptibles de leur rapporter vite et gros, délaissant toutes ces recherches n’ayant débouché sur nulle innovation « technologique et industrielle. » Gâchis, gaspillage, gabegie capitaliste ! Ah, si l’anticapitalisme et les anticapitalistes dirigeaient la société, ils transformeraient le monde – scien-ti-fi-que-ment – en un rien de temps, comme ils l’ont fait dans ce « camp socialiste » qu’ils ont dirigé assez longtemps pour en faire une des pires étendues empoisonnées et dévastées de la surface terrestre.

Quant aux États et aux gouvernements (« l’organisation sociale »), libéraux, ultra-libéraux (« les idéologies »), ils sont au service des capitalistes, nous enseigne Sylvestre le sagace, et voilà pourquoi notre climat se réchauffe. Alors que « seul un contrôle démocratique éclairé par les connaissances – donc par la recherche – pourrait hisser (la prudence) comme guide des décisions citoyennes et politiques. »

Traduction : le communisme scientifique et vice-versa. Le communisme ne peut être que scientifique et la science ne peut être que communiste. Où l’on retrouve sous le patelinage « démocratique » et « citoyen » de nos experts climatiseurs l’arrogance de Marx et d’Engels, la volonté de « contrôle politique », et la prétention au « gouvernement des savants », des « éclairés/éclaireurs », dénoncée en son temps par l’anarchiste Bakounine.

Pour lire le compte-rendu complet et ses annexes, ouvrir le PDF :

https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/electronucle_aire-.pdf