L’Appel de Sablé

Cet appel date du 1er avril

On a coutume en Histoire de baptiser un Appel destiné à rester dans la mémoire collective, en le faisant suivre de sa date ou du nom de lieu d’où il fut lancé.

C’est ainsi que nous parlons de l’Appel du 18 Juin, et encore de l’Appel de Sablé-sur-Sarthe. Ce ne sont pas les mêmes, vous allez le découvrir.

Le premier, glorieusement inscrit dans le roman national, celui du 18 Juin 1940 fut lancé à Londres, des studios de la BBC. Il appelait la France à dire non à la Capitulation, à entrer en Résistance. Le second, l’Appel de Sablé, petite bourgade de la Sarthe, fut émis, lui, de la sacristie de l’église paroissiale hâtivement réaménagée en studio télévisé lors de la funeste soirée du séisme du 23 Avril 2017.

 Quelques instants auparavant, coïncidence ou malveillance, était apparue en ligne sur E Bay la vente de plusieurs costumes taillés sur mesure.

Toujours soucieux d’anticiper, nous avons voulu vous restituer la teneur de ce fameux Appel de Sablé, et, à ce motif, sommes retournés à la rencontre, 27 rue Saint Guillaume, à Paris, au siège du CEVIPOF (Centre d’Études de la Vie Politique Française de Sciences-Po Paris), à la rencontre de Pascal Perrimet.

Nous ne vous présentons plus Pascal Perrimet, spécialiste éminent de sociologie électorale et de l’histoire des Constitutions, fondateur de la Politologie Prédictive.

Qu’est-ce donc que la politologie prédictive ? Elle est précisément ce qui va nous permettre de connaître dès aujourd’hui la teneur de l’Appel de Sablé. Vous jugerez vous-même du sérieux de la chose.

Vous connaissiez déjà la médecine prédictive qui, nous promet-on, nous permettra d’être soignés et guéris avant même que de tomber malades. Vous connaissez également la police prédictive, celle mise en scène en 2002 par Steven Spielberg, dans son film Minority Report. À Washington, en 2054, la société du futur a éradiqué le crime grâce à un sophistiqué système de prévention-dtection : dissimulés au Ministère de la Justice, trois ordinateurs géants captent en permanence les signes annonciateurs des violences homicides et les transmettent au chef de la brigade « Précrime ». Son escouade intervient aussitôt pour arrêter les coupables. Ceci avant même qu’ils n’aient eu la moindre intention d’agir.

Pascal Perrimet, avant d’entrer dans le vif de notre sujet, le décryptage de l’Appel de Sablé, dites-nous donc en un mot en quoi consiste la Politologie Prédictive.

Très volontiers, cher ami. Lors d’un récent séjour aux États-Unis, j’ai pu, avec l’aide d’un jeune doctorant en informatique de l’Université de Santa Clara de Californie, j’ai pu mettre au point un algorithme permettant, ayant au préalable encodé en langage mathématique les déclarations programmatiques d’un homme politique en campagne électorale, j’ai pu mettre au point, vous disais-je, un algorithme permettant de prévoir ses réactions à l’annonce des résultats du scrutin.

Attention ! Je ne dis pas par là que tout est écrit d’avance. L’encodage de tous les faits encore à venir d’ici le 23 Avril, modifiera probablement encore le résultat final. Mais nous avons aujourd’hui, à trois semaines de la date fatidique, suffisamment d’éléments pour « prédire », c’est le mot, le contenu de l’Appel de Sablé. Et que votre parallèle criminologie prédictive – politologie prédictive n’aille pas plus loin : tous les politiques ne sont pas des criminels, même si le sont de nombreuses politiques.

Pascal Perrimet, merci de votre introduction. Sur vos écrans, à la date d’aujourd’hui, même si beaucoup d’événements peuvent encore intervenir, l’aboutissement de la recherche de paternité de Zohra Dati, l’arrestation en Colombie du sarko-trafiquant Paul Bismuth, voire la prise de la Smala de Daech par le duc d’Aumale, que pouvez-vous nous dire aujourd’hui de l’Appel de Sablé ?

À 21 heures, le 23 Avril, sur nos écrans télévisés, après que les premières estimations suffisamment affinées par les ordinateurs du Ministère de l’Intérieur aient rendu compte de l’énorme secousse tellurique d’un François Fillon effondré à moins de 15 %, en quatrième position derrière les deux favoris annoncés depuis plusieurs semaines et le candidat de la France Insoumise à 19 %, un duplex télévisé de Cognacq-Jay avec la sacristie de l’église de Sablé-sur-Sarthe nous permettra d’entendre ce véritable appel d’outre-tombe :

« Françaises, Français, la Droite a perdu une bataille ; elle n’a pas perdu la guerre. Elle demeure et se relèvera. Je prends acte de votre décision souveraine en me retirant de la vie politique pour me consacrer à ma société de conseil. Ainsi, le 7 Mai, je ne vous dicterai pas votre choix, mais vous donnerai un conseil, pour une fois gratuit : à chacun en son âme et conscience ! Vive la Droite ! »

Mais, Pascal Perrimet, ce que vous nous prédisez là est plus qu’une explosion, c’est un sabordage, une disparition de la Droite. En tous les cas, pas de quoi Sablé le champagne.

Non mon cher ! La vie est une perpétuelle transformation. La Droite, cette donnée structurante de la vie politique française depuis plus de 200 ans, n’a jamais cessé d’évoluer et de se transformer, de reclassement en recomposition.

Après le monarchisme de la Restauration, le bonapartisme du Second Empire, l’antidreyfusisme et l’Action Française de Charles Maurras, le pétainisme de 1940, puis le gaullisme et son avatar pompidolo-chiraquien dégénéré dans l’atlantisme néolibéral du sarkozysme, la Droite n’a jamais cessé de se transformer.

Je vous renvoie à ce sujet à l’excellent ouvrage synthétique, paru en 2005, de l’historien René RémondLes droites aujourd’hui. L’ouvrage reste une référence en la matière. Les deux composantes essentielles de cette Droite, alliées jusqu’à aujourd’hui, la Droite conservatrice et contre-révolutionnaire et la Droite libérale vont se séparer et se recomposer au soir du 7 Mai. La petite frange de la droite républicaine, sociale et jacobine, quant à elle, avait déjà rejoint la France Insoumise dans la journée du 23 Avril.

Le 7 Mai achevait la recomposition, la Droite libérale rejoignant Emmanuel Macron pour la poursuite d’un capitalisme financiarisé ; la Droite contre-révolutionnaire opérant sa jonction avec sa sœur identitaire lepéniste.

Mais, Pascal Perrimet, vous évoquez là la création d’un parti fasciste en France. La Droite se fascisera-t-elle ?

Votre question met en évidence la grande erreur sémantique et donc stratégique, celle du prétendu antifascisme de gauche des 30 dernières années. Celle d’avoir parlé de Fascisme à propos du recyclage pseudo-nationaliste de l’antidreyfusisme, de l’antisémitisme, du maurrassisme et du pétainisme. Ces idées ont toujours été des idées de droite, même si la Droite ne se résume pas à elles.

La période de recomposition d’aujourd’hui permet tout simplement de leur redonner la pôle-position dans l’amalgame des droites. Je vous concède que cela n’est pas rien. Mais cela ne peut autoriser à parler de fascisme. Le lepénisme durant ces 30 dernières années ne fut que la mise en couveuse d’une nouvelle Droite destinée à prendre la relève de celle sombrée dans le Néolibéralisme et discréditée auprès de nombre de ses électeurs.

Quant à ce dernier, le Néolibéralisme, ce sera une difficulté pour lui, tant lui est précieux ce que l’on qualifie d’alternance, la succession d’une équipe gestionnaire à une autre pour une même politique, le Néolibéralisme va se retrouver porté par la seule Gauche, du moins une certaine Gauche. Je n’en dirai pas plus, tant cette affirmation est sujette à débats et interrogations.

L’Appel du 18 Juin avait recomposé l’arc politique français entre Collaboration et Résistance. L’Appel de Sablé devrait opérer de même entre Néolibéralisme et Droite autoritaire / identitaire ? N’oublions pas cependant, un instant éclipsé par cet appel d’outre-tombe, le troisième terme de la tripartition qui s’annonce après le 23 Avril, celui de la Résistance / Insoumission.

Jean Casanova

entreleslignesentrelesmots.wordpress.com