Un permis de tuer pour les industriels de l’amiante ?

Contre le permis de tuer accordé par l’institution judiciaire française aux multinationales de l’amiante…. et autres

Communiqué de l’association Ban Asbestos, en date du 1er juillet 2017

Sous un prétexte fallacieux – la date précise de la contamination qui a provoqué la maladie et la mort de travailleurs victimes de décennies de contamination professionnelle à l’amiante serait inconnue – le Parquet de Paris demande de mettre fin aux investigations dans plusieurs enquêtes pénales concernant le scandale de l’amiante, en France.

Plus de 100 000 morts du fait d’intoxications à l’amiante et combien d’autres à venir ? Plus de 21 années d’instructions, d’atermoiements, d’entraves, de mobilisations pour une ultime humiliation lancée à la face des milliers de victimes et de leurs familles : une infamie !… dont témoigne le Collectif des Associations des Victimes de l’Amiante des usines Eternit France, dans le communiqué joint à cet appel. Mais cette affaire va bien au-delà de cette fibre tueuse. Si elle est suivie par les juges d’instruction, une telle décision permettrait d’ouvrir une voie royale à des non-lieux dans de nombreux dossiers emblématiques en cours. Elle ferait alors jurisprudence pour les autres crimes industriels du fait de la chimie, des pesticides, de la radioactivité, et autres intoxications aux métaux lourds ou aux perturbateurs endocriniens…. Les associations Ban Asbestos France et Henri Pézerat apportent leur soutien aux actions de mobilisation engagées par les associations de victimes de l’amiante des usines Eternit France, pour dénoncer l’attitude des pouvoirs publics qui criminalisent les militants syndicaux ou associatifs, agissant en défense des victimes de crimes industriels, tout en renforçant indéfiniment l’impunité des criminels en col blanc responsables de milliers de morts en France et dans tous les pays producteurs et utilisateurs d’amiante.

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Communiqué du Collectif des Associations des Victimes de l’Amiante des usines Eternit France

En Octobre 1996, quelques anciens salariés de la Société Eternit établissement de Thiant, malades de l’amiante, déposaient plainte accompagnés par le Caper auprès du Procureur de la République de Valenciennes. Depuis cette date de très nombreux malades les ont rejoint. En septembre 2005, quatre familles de l’établissement Eternit de Terssac déposaient devant le Procureur de la République d’Albi une plainte au Pénal venant s’ajouter à celles de Thiant. Après 21 ans d’investigations, d’interrogatoires de centaines de personnes, de perquisitions dans les locaux de la société Eternit, de nombreuses audiences, d’expertises des malades en grand nombre, les Juges d’Instruction chargés désormais au Pôle de Santé Publique à Paris de ce dossier viennent de décider qu’il n’était pas nécessaire de continuer les poursuites dans la mesure où on ne pourra jamais déterminer les personnes responsables, la date à laquelle les maladies ont été contractées étant inconnue. Autrement dit, ce que tout le monde sait depuis les années cinquante, à savoir qu’il y a un délai de latence important dans les maladies de l’amiante et que les travailleurs exposés à ce matériau toxique tombent malades vingt, trente et même parfois quarante ans après l’exposition serait un obstacle à la recherche des responsables de cette hécatombe. Dans la mesure où l’intoxication n’a pas de date certaine, personne ne pourrait en être tenu pour responsable. La plus grande catastrophe sanitaire française qui fait encore près de 3 000 morts par an, c’est à dire vingt ans après son interdiction serait le fait d’une malchance que personne n’aurait pu prévoir et donc prévenir. Tout cela est évidemment faux. Des industriels de l’amiante comme Eternit savaient précisément quel était le danger que représentait ce matériau pour la santé et pour la vie des personnes exposées et tablant sur la date d’apparition des maladies, ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger leurs salariés. La société Eternit qui est un des leaders mondiaux de l’amiante, savait parfaitement ce qu’il en était et pourtant ils n’ont pas respecté la réglementation. L’instruction a permis de le prouver, comme les salariés l’avaient indiqué dès le début de cette affaire en 1996. Les fautes sont établies comme d’ailleurs le prouvent les très nombreuses décisions de faute inexcusable prononcées par les Tribunaux et confirmées par la Cour de Cassation.

C’est donc uniquement parce qu’on ne peut pas dater le jour exact de la contamination qu’on ne peut savoir quelle personne physique doit en répondre. Des fautes ont bien été commises provoquant la maladie et la mort de centaines de victimes et aucun individu ne peut être jugé comme l’ayant commise puisqu’au cours de l’exposition de la victime plusieurs responsables se sont succédés. C’est ce qu’on appelle un raisonnement spécieux. Tous les responsables en fonction ont contribué à la maladie et à la mort. Après avoir considéré qu’aucun responsable public n’était coupable, qu’aucun membre du Comité Permanent Amiante, organisme de lobbying mis en place par les industriels pour protéger leurs profits, n’était non plus responsable, les anciens salariés étaient légitimement en droit d’attendre qu’après tant d’années de travail de la Justice les dirigeants d’Eternit répondent de leurs actes devant le Tribunal Correctionnel. Si nous ne nous mobilisons pas il n’en sera rien. À la catastrophe sanitaire s’ajoutera le naufrage judiciaire.

Pendant ce temps-là, trois anciens salariés d’Eternit qui travaillaient sur le site de Paray sont, eux, mis en examen devant un juge d’instruction de Versailles pour avoir fait sonner des cornes de brume dans les locaux d’Eternit lors d’une action pour s’opposer à la création d’une décharge amiante sur le site de Paray-le-Monial. Ils devront, eux, comparaître devant le Tribunal Correctionnel pour répondre de leurs actes.

C’est ce qu’on appelle une Justice de classe.

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Un article dans Politis.fr

Le 27 juin, le parquet de Paris a mis un terme à l’information judiciaire dans le dossier de l’amiante. La sociologue Annie Thébaud-Mony s’insurge contre le manque de courage face aux multinationales et dénonce une catastrophe sanitaire mondiale pire encore que le scandale du tabac. Entretien.

Vingt et un ans ont passé depuis l’ouverture de l’instruction. Plus de 100 000 personnes sont mortes du fait d’intoxications à l’amiante. L’Institut national de veille sanitaire (Inves) anticipe que ce cancérigène interdit en France depuis 1997 pourrait encore être à l’origine de 100 000 décès d’ici à 2050. Et ce, uniquement pour la France, car les industriels de l’amiante – Eternit, Saint-Gobain… – continuent leurs activités à l’étranger, notamment en Amérique latine. Les associations de victimes attendaient l’ouverture d’un procès quand la décision est tombée : le 27 juin, le parquet de Paris a mis un terme à l’information judiciaire et a recommandé un non-lieu dans au moins une dizaine d’affaires, au motif qu’il était impossible de déterminer avec certitude la date d’intoxication à l’amiante des salariés qui se sont retournés contre leur entreprise. Si ce non lieu l’emportait, il marquerait une catastrophe sanitaire pire encore que le scandale du tabac alerte Annie Thébaud-Mony. Directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), elle est aussi présidente de l’association Henri-Pézerat et porte-parole de l’association Ban Asbestos, qui n’hésitent pas à dénoncer dans le dossier de l’amiante un véritable « permis de tuer » accordé aux multinationales de l’amiante.

Entretien de Politis avec A. Thébaud-Mony

La décision du parquet de Paris le 27 juin de clore une information judiciaire de 21 ans mettant en cause plusieurs industriels dans des cas d’intoxications à l’amiante a-t-elle surpris les associations de victimes de l’amiante ?

Annie Thébaud-Mony : Complètement ! L’instruction étant close, nous attendions l’ouverture d’un procès. Dans cette perspective, une coordination nationale des collectifs de victimes de chaque usine Eternit s’est même constituée considérant l’importance d’opposer une parole commune à la défense des industriels. On pouvait penser que les procureurs mettraient ensemble les usines Eternit d’Albi, Thiant, Terssac, mais on ne se doutait pas qu’ils les mélangeraient avec les affaires de la Normed (Dunkerque) et Condé-sur-Noireau (Normandie) qui concernent des industriels différents : chantier naval et Honeywell. Historiquement, les plaintes ont été déposées à des moments différents. Pour les familles des victimes d’Eternit-Albi, il n’y avait aucun doute ni sur l’exposition à l’amiante ni sur le fait qu’elles aient été décimées par l’amiante Eternit. Dans un premier temps, c’est le procureur d’Albi qui a reçu la plainte. Et il s’en est dessaisi au profit du parquet de Paris. Nous étions pour notre part convaincus qu’il fallait que ces procès se tiennent sur les lieux du crime…

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