Le gouvernement a les soutiens qu’il mérite

Dans le Monde du 23 juin 2016, Pierre Cahuc et André Zylberberg viennent de publier une tribune en soutien au projet de loi sur la casse du Code du travail que le Gouvernement s’apprête à faire passer par voix d’ordonnance.

Ces deux économistes se sont déjà, à de nombreuses reprises, fait les chantres de la déréglementation du marché du travail. Leur dernier ouvrage intitulé « Le Négationnisme économique et comment s’en débarrasser » constitue de ce point de vue un sommet de l’invective au service de la pensée néolibérale. Dans cet ouvrage nos deux compères s’en prennent aux économistes hétérodoxes (comprenez ceux qui refusent la vulgate libérale) les traitant de négationnistes, au même titre que ceux qui contestent l’existence des chambres à gaz ou du réchauffement climatique.

Partisans de tout temps de la baisse (voire de la suppression) du smic ou des 35 heures sous le prétexte (non prouvé scientifiquement) qu’ils constitueraient un frein à l’emploi, nos auteurs ré-enfourchent un de leurs vieux chevaux de bataille : les rigidités du code du travail comme frein à l’embauche. En l’occurrence ils s’attaquent dans cet article au principe de l’extension des accords de branche à l’ensemble des salariés relevant de la branche signataire. Ils se prononcent pour un abandon de cette mesure et, comme le propose le projet de loi d’habilitation, revendiquent la suprématie de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Selon eux le principe de l’extension « laisserait peu de place au dialogue social » et serait la source d’importants privilèges pour les organisations syndicales (entendez les financements troubles dont elles bénéficieraient), d’où leur volonté farouche de s’accrocher à un système soit disant défavorable à l’entreprise et à l’entreprenariat.

Qu’en est-il sur le fond ? Cahuc et Zylberberg débutent leur « démonstration » en indiquant que « la démocratie sociale est mal en point ». A l’appui de ces propos, à connotation clairement anti-syndicaliste, ils indiquent que moins d’un tiers des français font confiance aux syndicats. Mais ils occultent un autre chiffre qui invalide leur argument. En France le taux de participation aux élections professionnelles dépasse 60 %, et les deux tiers des salariés portent leur voix sur les listes syndicales. Loin de pointer un désaveu du syndicalisme ces chiffres montrent clairement que si le taux de syndicalisation est moins élevé que dans certains pays, le syndicalisme français marqué par une forte tradition revendicative ne se porte pas si mal. Ajoutons que plus d’un tiers des salariés déclarent ne pas se syndiquer par « peur des représailles » de la part de leur employeur, et nous aurons un tableau moins biaisé des relations sociales en France que celui livré par Cahuc et Zylberberg.

Mais, au delà du poids réel du syndicalisme en France, ces auteurs font surtout mine de méconnaître les fonctions de la branche professionnelle et son importance dans le contexte des relations sociales de notre pays. Ils font semblant d’ignorer que dans la plupart des pays européens (Belgique, Allemagne, Suède, Pays-Bas, Danemark…) le secteur d’activité reste un niveau important de la production de normes. Ils omettent de dire que dans ces pays le principe d’extension existe également (de manière formelle ou informelle) et que les taux de couverture des négociations collectives oscillent souvent entre 80 et 96 %. Ils ne disent pas non plus que le taux d’adhésion des entreprises aux organisations patronales y est parfois tellement élevé que la question de l’extension ne se pose même pas puisque, de fait, les employeurs reprennent à leur compte les accords signés au niveau des branches.

Gageons que nos deux économistes aimeraient bien que la France rejoigne le Royaume-Uni, marqué aujourd’hui encore par la période Thatcher, où moins de 30 % des salariés sont couverts par les négociations collectives, qui ne se font qu’en entreprise. S’il fallait une preuve que la négociation au niveau de l’entreprise n’est pas un accélérateur mais un frein aux accords entre salariés et employeurs l’exemple du Royaume Uni serait là pour nous le rappeler.

Enfin, dire comme Cahuc et Zylberberg que la dégradation des conditions de travail (souffrance au travail, stress, burn out) « sont les symptômes d’un dialogue social déficient » pourrait prêter à sourire si ce n’était pas la preuve manifeste d’un cynisme éhonté, quand on sait que le projet d’Emmanuel Macron consiste justement à fondre en une seule structure les différentes instances existantes (DP, CE,CHSCT) au risque évident de réduire les moyen des IRP et de vider de sa substance les CHSCT chargés de veiller aux respect des conditions de travail, en renforçant un processus de centralisation des instances représentatives ce qui contribue à les éloigner des salariés.

A l’inverse de ce que déclarent ces économistes libéraux, et avec eux le gouvernement, ce dont souffre la démocratie sociale en entreprise ce n’est pas de la « médiocre représentativité des acteurs » mais plutôt d’un déficit de droits des salariés face à un patronat qui a toujours refusé le fait syndical. Pour s’en convaincre il suffit de rappeler qu’en Allemagne les comités d’entreprises (qui peuvent s’implanter à partir de 5 salariés) jouissent de pouvoirs étendus, allant jusqu’au droit de veto dans certains domaines, là où les organisations syndicales françaises peinent à faire valoir leurs droits en matière d’information et de consultation.

Didier Gelot – Économiste, Fondation Copernic