« Les JO doivent être soumis à référendum »

Le 13 septembre, Paris devrait se voir attribuer les Jeux 2024. Les opposants dénoncent une gabegie et un déni de démocratie.

Paris ou Los Angeles ? Il ne restait plus que deux villes en lice pour l’attribution des Jeux olympiques de 2024, après le retrait de Boston, Toronto, Hambourg, Rome et Budapest. Devant cette pénurie, le Comité international olympique (CIO) a choisi, le 11 juillet, d’attribuer d’un coup les JO de 2024 et de 2028, pour éviter de perdre l’une de ces « excellentes candidatures ».

Paris tenant à tout prix à 2024, Los Angeles aurait choisi de lui laisser la place, moyennant une rallonge financière du CIO. Décision officielle le 13 septembre à Lima. Frédéric Viale, membre du collectif NON aux JO 2024 à Paris, explique ici pourquoi ces Jeux seraient un gouffre financier, et en quoi ils nous sont imposés par une véritable propagande.

Pourquoi ne pas croire que Paris pourrait rompre avec la « malédiction » des Jeux olympiques déficitaires ?

Frédéric Viale : Parce que rien ne le laisse imaginer ! On connaît le mécanisme : les JO sont attribués par le CIO, organe privé de droit suisse dont l’intérêt est de s’assurer que les Jeux seront le plus spectaculaire possible, afin de maximiser la vente des droits de retransmission dont il est propriétaire. Une manne considérable : les JO sont regardés par 5 milliards de personnes ! Leur prestige demeure tel que les villes candidates à l’accueil font assaut de « mieux-disant » pour l’emporter. Depuis 1988, les coûts ont toujours explosé.

Sauf que, cette fois-ci, il ne restait plus que Paris et Los Angeles en course, les autres villes ayant jeté l’éponge devant les budgets requis…

Mais il y avait l’acharnement de Paris à voir revenir les Jeux dans la capitale, un siècle après 1924, et les ambitions politiques, notamment d’Anne Hidalgo. Alors que le déficit de candidatures a forcé le CIO à décider l’attribution simultanée de deux Jeux consécutifs, Paris a cédé sur tout et n’a rien négocié.

Ce que Los Angeles a fait, acceptant d’attendre 2028 pour ses propres Jeux…

En 1984, seule candidate, la ville avait aussi obtenu des conditions plus favorables : le Comité avait accepté de couvrir le dépassement éventuel des dépenses publiques. Ces Jeux sont les seuls qui n’ont pas connu de déficit sur ce poste.

Qu’est-ce qui vous fait redouter que les contribuables français en soient de leur poche ?

Tout d’abord, le budget prévisionnel augmente régulièrement. De 6 milliards d’euros début 2017, il est désormais à 6,8 milliards. Le CIO couvre les frais des délégations sportives – déplacement et logement –, soit 3,8 milliards d’euros pour la quinzaine olympique. Mais nul ne sait exactement comment l’organisation gère ses revenus, exonérés d’impôts dans le pays d’accueil. Certaines chaînes de télévision seraient prêtes à aligner plusieurs milliards d’euros pour les droits de retransmission… Ensuite, les sponsors apporteront 1,5 milliard d’euros. Et les pouvoirs publics français autant : un milliard pour l’État, un demi-milliard pour Paris. Mais ce n’est absolument pas crédible !

Le comité français affirme qu’il n’y aura que très peu d’infrastructures à financer…

Certes. Mais, sans même supposer de dérive budgétaire, le poste « rénovation » est très sous-estimé. La mise à niveau du Stade de France, par exemple, est évaluée à 70 millions d’euros, bien en deçà des normes de la profession.

Ensuite, la sécurité n’est pas prise en compte. On nous assure que les militaires et les policiers affectés à cette tâche sont salariés, quelle que soit leur mission. On « oublie » les primes de déplacement et de logement, les coûts pour les remplacer sur les sites d’où ils auront été extraits, etc. Londres, en 2012, avait dépensé plus d’un milliard d’euros pour cela. Comment la France pourrait-elle s’en tirer à moins ?

Enfin, les JO vont accélérer le passage au Grand Paris, affirment leurs promoteurs. Un retournement dialectique de pure propagande : ils présentent comme un formidable atout cette contrainte forte, puisque ce chantier, prévu pour durer jusqu’en 2030, devra donc s’achever en 2024. Alors que la simple prise en compte des intérêts financiers des emprunts conduit à un dépassement de 2,5 milliards d’euros, rien n’est prévu au budget des JO ! Et puis, le Grand Paris, ce sont surtout des infrastructures de transport, poste majoritairement responsable de la dérive des coûts aux JO. Au total, on peut attendre une facture publique d’au moins 5 milliards d’euros – et non de 1,5 milliard.

Selon le Centre de droit et d’économie du sport, les retombées économiques de l’événement pourraient atteindre 10,7 milliards d’euros. N’est-il pas biaisé de n’argumenter que sur les dépenses ?

Cette étude est contestable du fait des liens qui existent entre le comité de candidature, son commanditaire et une agence qui y a participé. Par ailleurs, des économistes indépendants, tel Wladimir Andreff, montrent que les retombées des JO ont toujours été négatives pour les économies des pays organisateurs, notamment en raison d’un endettement public à long terme assumé par les populations. Et puis l’étude ne prend pas en compte l’effet d’éviction : à Athènes ou à Londres, par exemple, le cirque des Jeux a dissuadé de nombreux touristes de visiter le pays. Et, enfin, pour qui seraient les « retombées » ? Certes, les caisses de l’État profiteraient de rentrées supplémentaires de TVA, mais l’essentiel irait au privé ! Comme toujours, les arguments économiques escamotent la question démocratique.

Vous réclamez un référendum sur la tenue des JO à Paris…

C’est qu’il s’agit d’un choix de société ! Il n’y aurait plus d’argent pour les hôpitaux, les emplois aidés, et l’on trouverait 5 milliards d’euros pour la fête du « sport spectacle » ? Ce double discours est inacceptable ! Et l’entourloupe de la nouvelle ligne de métro reliant Puteaux à l’aéroport de Roissy ? Elle prévoit un crochet de cinq stations – un demi-milliard d’euros – pour desservir le futur méga-centre commercial EuropaCity du Triangle de Gonesse, et faire passer en contrebande ce projet très contesté. On atteint un summum d’hypocrisie avec la satisfaction des élus devant « l’accélération du Grand Paris » : on se réjouit de voir une organisation suisse privée nous dire quand, où et à quelle vitesse nous allons réaliser nos infrastructures ! Idem pour l’accès des personnes handicapées aux équipements ou le développement des logements sociaux, quand la loi française l’impose depuis des années. Et cela ne mériterait aucune discussion, alors que Paris lance des débats participatifs dès qu’il s’agit de planter trois bosquets…

Les JO sont-ils autre chose qu’une opération commerciale d’ampleur exceptionnelle, au service de grandes entreprises de travaux publics, d’équipement sportifs ou de télécommunications à la recherche de débouchés ? C’est la fuite en avant du vieux système néolibéral. Et quelle méthode plus efficace que le détournement de l’argent public ? La nouvelle frontière du profit : à la fin, c’est le contribuable qui paie…

Jusqu’où le CIO peut-il imposer ses conditions ?

Cela va jusqu’à l’obligation systématique, pour le pays organisateur, de voter une « loi olympique » suspendant l’application de certaines règles urbanistiques, environnementales et sociales, pour garantir au mieux le déroulement des Jeux. Par exemple, les 32 000 bénévoles que le CIO prévoit de mobiliser pour la quinzaine ne pourront pas voir leur tâche requalifiée en contrat de travail dissimulé si l’envie leur prend de saisir un juge. Les cinq grands syndicats se sont contentés d’une charte sociale assurant « une démarche humaine et responsable » dans l’organisation de l’événement. En échange, semble-t-il, de la promesse de ne pas faire grève.

À Rio ou à Londres, les sponsors avaient obtenu de pouvoir interdire l’entrée des « fan-zones » aux personnes arborant la marque d’équipements ou produits concurrents !

La ville de Paris promet des Jeux propres, une tendance constante depuis les JO de Sydney en 2000. Pourquoi ne pas lui faire crédit ?

Le chapitre environnemental est réduit à des déclarations d’intentions. Ainsi, on nous annonce la construction « bas carbone » pour les nouveaux bâtiments. Mais ceux-ci vont engendrer des pollutions, par le chantier, les déplacements et surtout le fait que certains, comme l’Arena 2 – qui va détruire une partie du parc de Bercy –, deviendront inutiles dès la quinzaine olympique achevée. Et, sur les trois millions de visiteurs attendus, beaucoup viendront en avion et ne circuleront pas en Vélib’ dans Paris ! Tout cela n’est guère sérieux…

Mais les Jeux, n’est-ce pas bon pour le moral de la population ?

La foule immense sur les Champs-Élysées pour la victoire des Bleus en 1998, la société « black-blanc-beur », etc. ? Quatre ans plus tard, on avait Le Pen au second tour de la présidentielle… Je suis très dubitatif sur le pouvoir de ces élans collectifs. Ils durent le temps d’une fête et ne règlent aucun problème de société.

Aimez-vous le sport ?

Notre collectif NON aux JO 2024 à Paris compte des professeurs de sport. Pour ma part, je cours de temps à autre, mais je ne me lève pas la nuit pour regarder un match à la télé. Je fais la distinction entre l’activité sportive et le « sport spectacle », qui conduit au culte de la performance, au dopage, à la destruction des individus, au pourrissement par le fric.

On n’a jamais vu des JO empêchés, même en 2016, au Brésil, quand des millions de personnes ont manifesté contre le pouvoir. Votre combat n’est-il pas condamné à rester symbolique ?

Certes, notre mouvement n’a démarré qu’en novembre dernier, bien plus tard que dans d’autres pays auparavant. Mais la longue séquence présidentielle et législative a absorbé les énergies. Et puis la candidature de Paris avait un côté gag, après trois échecs en 1992, en 2008 et en 2012.

Quoi qu’il en soit, hors de question de nous muer en gentils accompagnateurs des JO pour limiter leur impact négatif. Nous avons sept ans pour les faire capoter. Et qui sait ? La politique est versatile, et les gens sont de moins en moins enclins à tolérer les dépenses excessives.

Frédéric Viale Juriste, membre du collectif NON aux JO 2024 à Paris

politis.fr