Les enfants de Tchernobyl

La violence du nucléaire contre les plus innocents des civils.
Si la radioactivité ne peut pas se voir s’entendre ou même se sentir, ses répercussions sur la vie en général et sur la santé humaine en particulier sont extrêmement négatives.

Combien de cancers, de leucémies, de retards mentaux, d’avortements spontanés causés par cette filière énergétique se camouflent dans les statistiques. Dans le « bruit de fond » de la pollution et des modes de vie.
Le puissant lobby nucléaire joue en effet avec des modèles mathématiques et des astuces de calculs incompréhensibles par l’honnête citoyen. Pour gagner du temps, il entretient ainsi d’interminables controverses sur l’ampleur réelle des dommages causés par les doses de rayonnement.
A côté de ces jeux honteux, il y a des faits, indiscutables, crevants de vérité: d’Hiroshima à Tchernobyl, un cortège de centaines de milliers de victimes, parmi lesquelles, tout récemment, ces enfants.
Nous refusons de verser dans le voyeurisme ou dans la contemplation de la misère humaine. Nous avons donc mûrement réfléchi avant de décider de montrer ces photos. Car nous sommes conscients que leur vision peut profondément heurter la sensibilité de certains. La question de fond qui se posait était: peut-on honnêtement présenter un dossier sur le nucléaire en gommant le témoignage des principales victimes actuelles ? Notre réponse est non.
La parole de ces victimes est leur image. Nous nous devions donc de publier ces photos.
Les photographies de ces enfants mutilés ou très gravement handicapés, expriment la violence de l’agression qu’ils ont subie. Qui est celle du nucléaire contre les plus innocents des civils. Au lieu de susciter l’horreur ou la pitié, pour nous, ces images inclinent au respect. Au profond respect de la vie.
Valeur qui -il faut bien le constater- n’entre pas beaucoup en ligne de compte dans le bilan triomphant du secteur nucléaire.

Extrait d’un texte de Greenpeace.

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Le service pédiatrique de l’hôpital de Gomel

Institut de médecine de Gomel ou travaillait le Pr Bandajevsky avant son incarcération

Nous rencontrons le médecin-chef du service pédiatrique, Viatcheslav Stanislavovitch, dont voici l’essentiel du témoignage :

 » 70 % des retombées radioactives de la centrale de Tchernobyl se sont déposées sur le Bélarus. De ces 70% de retombées radioactives, 70% se sont déposées sur la région de Gomel. La moitié de tous les dépôts de cette explosion se trouve dans cette région. Gomel se situe dans la zone de 1 à 5 curies (soit de 37 000 à 185 000 Bq/m2), mais il y a des territoires proches qui se trouvent dans des zones où il y a plus de 15, voir plus de 40 curies. Il y a encore des personnes qui y vivent. Il n’y a pas de mesure limitant le déplacement des gens, des voitures, des marchandises et donc des aliments. Il peut aussi y avoir des phénomènes saisonniers d’augmentation des doses à cause des vents, des pluies. Il n’y a pas d’observation permanente de l’espace complet. Pas de frontières réelles.

1 million 500 000 habitants vivent ici, dont 290 000 enfants (de 0 à 15 ans). Tout enfant malade de la région de Gomel passe par cet hôpital. Ce sont des enfants d’un très jeune âge, qui ont des maladies très graves, avec des situations critiques. 11 000 à 11 500 enfants par an sont soignés dans cet hôpital. La moitié vient des districts les plus touchés par la catastrophe.

On examine obligatoirement tous les enfants à leur naissance, et ils sont classés par catégories de santé en 4 groupes :

  • Les enfants sans problème de santé (nés de parents sains après une grossesse sans problème) ;
    · Les enfants prédisposés à des maladies (nés de parents malades, ou après une grossesse à problèmes) ;
    · Les enfants avec des malformations à la naissance ;
    · Les enfants avec des malformations à la naissance entraînant la mort.

Durant les deux dernières années, seulement 16 à 17% des enfants ont été répertoriés dans la première catégorie.

En 1985, 1 an avant la catastrophe, 200 cas de malformations étaient répertoriés. En 2000, plus de 800 cas, malgré pourtant une baisse considérable des naissances : actuellement 14 à 15 000 naissances/an, contre 28 à 30 000 avant la catastrophe de Tchernobyl »

Le médecin-chef nous déclare :  » Actuellement, les malformations que nous constatons en tant que médecins sont beaucoup plus compliquées qu’avant. Ce sont en majorité des malformations du coeur, du système cardio-vasculaire, du tube digestif, des reins Ces altérations rendent les enfants invalides.

L’augmentation des leucémies et du cancer de la thyroïde est un des problèmes graves. Nous ne nous occupons pas, dans ce service, des enfants diabétiques qui sont traités dans un service d’endocrinologie, mais nous avons rencontré ici des cas de diabètes chez les nouveaux nés et savons qu’il y a une hausse de ces maladies. Nous constatons une grande baisse de l’immunité et beaucoup d’anémies ; les maladies infectieuses se manifestent avec beaucoup plus de gravité.

Nous observons aussi des maladies qui habituellement ne sont pas caractéristiques des enfants, liées à une forte tension artérielle, des altérations du rythme cardiaque. Les cataractes font partie des malformations de naissance. C’est une maladie pourtant très rare chez l’enfant et que l’on observe de plus en plus.

Il faut toutefois souligner que nos possibilités de détection de ces maladies sont devenues plus fiables.

Les malformations qui arrivent maintenant, nous pouvons les imputer à la catastrophe de Tchernobyl. On ne peut pas encore évaluer complètement les conséquences, car il est trop tôt. Les filles qui accouchent maintenant avaient deux – trois ans au moment de la catastrophe. Celles qui sont nées ou qui étaient dans le ventre de leurs mères au moment de l’accident, n’ont que 16 ou 17 ans et ne sont donc pas encore enceintes… »

Il y a un mécanisme de défense chez les populations, qui les pousse à oublier que la radioactivité est la cause de beaucoup de maladies. Dans la vie de tous les jours, on évite d’y penser. Ce comportement se retrouve surtout chez les habitants qui vivent dans les zones de fortes contaminations. Ceux-ci n’ont pas le choix, et pour nourrir la famille, ils sont obligés d’aller cueillir des champignons ou de récolter les produits de leur jardin. Malheureusement, c’est avec ce type de comportement que les gens se contaminent, et accumulent des radionucléides dans leur organisme. En moyenne, les populations sont pauvres et ne peuvent acheter les produits alimentaires importés.

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L’argent de l’occident : c’est donnant, donnant !

En avril dernier, deux représentants de la CRIIRAD (Romain Chazel, vice-président, et Martial Mazars, docteur en physique théorique) se sont rendus au Bélarus, pays le plus touché par la catastrophe de Tchernobyl. Au cours de leur séjour, Romain et Martial ont pu entrevoir comment se crée le décalage entre les constats de terrain et l’information qui nous parvient. L’un des schémas est le suivant : un chercheur biélorusse parvient à des résultats qu’il juge significatifs mais il n’a pas assez d’argent pour poursuivre ses travaux ; si l’information est jugée sensible, un partenaire occidental se propose aussitôt. Il apporte le financement mais impose sa règle du jeu – la confidentialité notamment – et s’emploie à vérifier la validité des résultats. Cette « vérification » démontre que les chiffres ne sont pas significatifs et qu’il n’y a donc pas lieu de modifier le bilan sanitaire de la catastrophe. Cette conclusion est largement diffusée sans que le chercheur biélorusse ne puisse développer ses arguments. Détail essentiel : le « partenaire » fait partie du lobby nucléaire ou lui est associé.
A Minsk, le professeur Ladjuk a expliqué à nos représentants que les données du registre des malformations montrent que certaines anomalies sont en augmentation. Impossible toutefois de nous communiquer les chiffres car ses partenaires français lui ont imposé la confidentialité.
Problèmes :
1/ ce partenaire n’est autre que l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire ;
2/ dans ses rapports, l’IRSN affirme, contrairement à Ladjuk, que les données du registre des malformations « souffrent de nombreuses lacunes méthodologiques et ne permettent pas de conclure «  (Tchernobyl, 17 ans après, disponible sur le site de l’IRSN).
N’ayant pu obtenir les chiffres, nous ne pouvons pousser plus loin l’analyse. Reste une suspicion légitime et d’autant plus forte qu’au Bélarus, l’IRSN n’hésite pas à s’associer à EDF, Cogéma-Areva et au CEA !

Extrait du Trait d’union n°25/26, Mission CRIIRAD au Bélarus en 2003