Ernesto « Che » Guevara

La fabrique française d’un mythe, 1957-1967

Un livre qui vient de paraitre ; d’Alexis Catuhe ; Éditions du félin

Alexis CATUHE sera à la librairie « le bateau livre » -154 rue Gambetta à Lille- le jeudi 23 novembre -19 h- pour une soirée-rencontre. Il présentera son livre -que vous pouvez acheter avant cette date- et débattera avec les personnes présentes.

Revue de presse (avec un extrait du livre et la table des matières) :

ErnestoCheGuevara_CP_extrait_Catuhe

Autre extrait

Introduction

« À chacun son Che », telle fut la conclusion de Laurent Flandre dans son article pour L’Humanité du 9 octobre 1997.

 Trente ans après sa mort, le journaliste s’interrogeait sur le retour d’Ernesto Guevara dans le paysage visuel et éditorial. Après avoir interviewé de jeunes Français captivés par ce phénomène médiatique et commercial, il constata que le mythe était plus vivant que jamais. Perçu comme un héros du peuple, l’image du révolutionnaire sur papier glacé – « seul élixir de jouvence qui vaille », l’emportait largement sur la connaissance de son engagement et de ses réalisations.

Depuis ces vingt dernières années, l’engouement pour Ernesto « Che » Guevara n’est pas retombé, et pas seulement dans la presse.

Régulièrement, des films documentaires lui sont consacrés, le plus souvent pour l’opposer à son ancien compagnon de la Sierra Maestra Fidel Castro, décédé le 25 novembre 2016 et qui fut à la tête de Cuba de 1959 à 2008. Le grand écran n’y est pas non plus indifférent, du Brésilien Walter Salles qui mit en images en 2004 les carnets de route du jeune Ernesto Guevara en Amérique latine à Steven Soderbergh, réalisateur états-unien plus bancable qui confia le rôle-titre de son film en deux parties retraçant les grandes lignes de sa vie politique et militaire à Benicio del Toro, premier prix d’interprétation masculine au festival de Cannes en 2008. deux films de fiction qui remplirent les salles à leur sortie en France.

Avant même cette récupération audiovisuelle tendant davantage à renforcer l’héroïsation du personnage qu’à remettre au goût du jour ses idées et aspirations, la publicité s’en est emparée pour en faire « un logo, une marque», profitant de l’attractivité du Guérillero heroico (Guérillero héroïque), ce portrait mondialement connu dont l’auteur – le photographe cubain Alberto díaz Gutiérrez – ne retira jamais aucun bénéfice et dont le nom reste quasiment inconnu du grand public.

Une image d’autant plus familière pour les Français qu’on la retrouve également dans les cortèges de manifestations diverses, des conflits sociaux aux mobilisations antiracistes et altermondialistes.

Des grandes figures marxistes, Ernesto « Che » Guevara est la seule à avoir  survécu à la dépréciation de la pensée communiste, d’où son utilisation par certains partis d’extrême gauche. Une référence surtout symbolique et morale, aussi bien pour les militants du NPA – anciennement LCR (Ligue communiste révolutionnaire) dont la ligne politique fut fortement inspirée par le guévarisme jusqu’en 1973 – que pour le PCF (Parti communiste français) qui considérait avant tout le révolutionnaire comme un « aventuriste bourgeois » de son vivant. Son héritage politique et idéologique est donc bien faible aujourd’hui, en dépit du succès de la réédition de ses œuvres depuis 1995.

Pour l’édition, Ernesto Guevara reste une valeur sûre et nul doute que le cinquantième anniversaire de sa mort va conforter ce constat.

Aux premières biographies publiées en France à partir de mai 1968 sont venues s’ajouter une bonne dizaine d’autres, la plus documentée étant celle de Pierre Kalfon, ancien correspondant du Monde au Chili sous la présidence de Salvador

Allende, séduit par cette « légende du siècle » en 1997. Un parti pris qui s’est largement amplifié ces dernières années, renvoyant dos à dos pourfendeurs et admirateurs du révolutionnaire mythique. Pour ne citer que les biographies les plus connues propres à susciter la controverse, on retrouve d’un côté La Face cachée du Che de Jacobo Machover, journaliste cubain résidant en France dont le but revendiqué est de contrebalancer les portraits majoritairement élogieux

tout en faisant le procès du castrisme ; de l’autre che Guevara, une braise qui brûle encore écrite à deux mains par l’universitaire trotskiste Michael Löwy – défenseur de « l’humanisme révolutionnaire » guévariste – et Olivier Besancenot, le candidat de la LCR aux élections présidentielles de 2007.

Difficile en effet d’étudier de manière dépassionnée la vie d’un personnage historique, surtout si celui-ci avait pour objectif de révolutionner le monde, mais force est de constater qu’à travers le prisme d’Ernesto « Che » Guevara, c’est bien souvent un point de vue politique sur la France et le monde d’hier et d’aujourd’hui qui s’exprime dans les livres qui lui sont consacrés. Cet essai ne prétend d’ailleurs pas à la neutralité absolue – quête impossible à atteindre, et on pourra sans aucun doute y trouver entre les lignes une orientation personnelle sur cette figure de gauche légendaire mondialement connue. Toutefois, par la confrontation de sources multiples et variées, provenant de divers horizons politiques et sociaux, il se propose de dépasser l’analyse biographique invariablement partisane et largement influencée par le contexte

d’écriture pour retracer les origines de la construction d’un mythe. Qui contribua à le forger et pourquoi ? Une question qui sert de fil conducteur afin d’éclairer le lecteur sur les raisons et les formes de sa postérité aujourd’hui, au-delà des schémas préétablis par des auteurs bien trop souvent détachés – volontairement ou non – du contexte politique, idéologique, social et culturel dans lequel le révolutionnaire et ses idées ont été « transférés » en France.

On pourrait en effet réduire sa résurgence à la simple nostalgie d’un temps révolu par ceux qui le vécurent ou à un effet de mode impulsé par les médias de masse, trop heureux de tirer profit de celui qui voulait détruire la société capitaliste aux dépens d’une jeunesse dépolitisée avide d’images fortes.

Deux interprétations diamétralement opposées qui ignorent les origines profondes de l’inscription d’Ernesto « Che » Guevara dans l’imaginaire collectif français depuis la fin des années 1950, dans le sillage de la Révolution cubaine et des luttes de libération du tiers-monde.

Alors que le cinquantième anniversaire de sa mort approche, un certain nombre de questions restent encore en suspens : pourquoi, en France, un révolutionnaire latino-américain est-il aussi populaire, tout en restant largement controversé ? Pourquoi est-il la seule figure communiste à survivre à la chute du Mur de Berlin ? Pourquoi, dans une société libérale si éloignée des idéaux révolutionnaires des années 1960-1970, son portrait est-il utilisé comme point de ralliement pour développer les luttes sociales et politiques contre l’ordre établi ?

Des questions auxquelles les études consacrées à Ernesto « Che » Guevara n’ont jamais répondu, leur objectif étant d’ailleurs bien moins de comprendre les raisons de son impact en France de son vivant et de sa postérité à long terme que de « surfer » sur la vague d’un mythe aux aspects multiples et variés. Pour en comprendre les origines, il faut replonger dans la période 1957-1967, dix années au cours desquelles le révolutionnaire apparut d’abord sur la scène politique cubaine avant de se projeter sur la scène internationale.

Tout en rappelant les grandes étapes de la vie d’Ernesto Guevara et de l’évolution du guévarisme, cet essai permet donc de revenir sur l’histoire politique et culturelle de la France de la fin des années 1950 à la fin des années 1960, période au cours de laquelle les aspirations à un monde nouveau étaient fortes et les interrogations sur les moyens pour y parvenir étaient au centre du débat politique, surtout à gauche. Figure historique et légendaire latino-américaine « importée », le guérillero au célèbre béret étoilé ne fut pas pour rien dans l’impact des idéaux révolutionnaires sur les mentalités françaises, sa vie et ses réalisations ayant suscité l’intérêt des faiseurs d’opinion. Il apparaît en effet comme un homme de son époque, largement politisé. Une époque au cours de laquelle l’hexagone et le Vieux Continent semblaient trop étriqués pour offrir des modèles de changement à ceux qui souhaitaient révolutionner la société héritée de l’après-guerre. Plus généralement, dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide, les regards se portaient davantage vers le tiers-monde et ses leaders. Ernesto « Che » Guevara fut un de ceux qui marquèrent le plus les esprits de leur empreinte. Un impact qui fut influencé par le contexte politique français, lui-même tributaire des relations internationales.