Quand cessera la farce des COP ?

 Un document de Jean Marc SEREKIAN

Après la tonitruante et triomphale COP 21 de 2015 à Paris  suivie du discret intermède touristique marocain à Marrakech de la COP 22, la conférence des Etats au chevet du climat est revenue en Europe, à Bonn en Novembre 2017. Mais l’ambiance était morose, le cœur n’y était plus… Les deux années d’inaction passées pesaient de plus en plus lourd. Le fameux « Accord de Paris » obtenu « au finish » était resté lettre morte…  Les observateurs et chroniqueurs n’attendaient pas grand de l’événement et c’est à peine si les négociations ont été  couverte par la presse française. La COP 23 est passée… Elle a accouché d’une souris et botté en touche avec un « Dialogue Talanoa » à débuter en janvier 2018 et le rappel du calendrier des nombreux évènements futurs. Bref la routine des COP et rapport du GIEC continue.

Qu’aurions-nous pu espérer ? Jouons un instant les Candide. Peut-être que dans la capitale germanique du capitalisme européen  qui a largement fait ses preuves pour l’ordre financier de l’union en imposant le TINA néolibéral au  peuple Grec avec le paiement, jusqu’au dernier kopek, de la dette souveraine illégitime, peut-être donc qu’en ce lieu de haute autorité politique, les Etats seront mis en demeure de concrétiser leur promesses.  Fallait-il cette fois-ci y croire ? En tout cas rien n’avait été laissé au hasard. Les conférences étasuniennes invitées en première partie d’ouverture du spectacle ont d’emblée chauffé les salles (1). L’ambiance était au moins assurée. Plus sérieusement, pour redonner un peu de crédibilité humanitaire et instiller un minimum de suspens à la 23e édition de ces conférences annuelles, la présidence de l’événement était cette fois-ci confiée aux Iles Fiji. Un Etat insulaire aux premières loges du défi climatique… Enorme déception, la souris du « Dialogue Talanoa », c’est le 1er ministre des Iles Fidji qui l’a sortie : des palabres à l’infini.

Après la COP 23, on peut se remémorer la fameuse formule reprise à la tribune lors de la COP 15, par Hugo Chavez et dire cette fois-ci : « décidément le climat n’est pas une banque, en conséquence les volontés manquent pour le sauver »

 Après la COP, le « Black Friday »

Mais redescendons sur terre : après la COP, le Black Friday. Dans la suite de l’inertie complice des Etats, la folie consumériste des masses. Ainsi, sans coup férir, les Etats-Unis reprennent leur leadership. Phénomène initialement nord-américain, le Black Friday a traversé l’Atlantique. Par la caisse de résonnance des « Géants du Web », il s’est renforcé d’un Cyber Monday et, tambour battant, vient vivifier la vieille Europe sur le séculaire modèle étasunien…

Sans vouloir jouer les trouble-fêtes, faut-il continuer à se bercer d’illusions avec ces conférences événementielles de mise en scène des Etats ? Encore une fois, la réponse ne réside pas dans la connaissance approfondie  physique de l’atmosphère et encore moins dans la géo-ingénierie de l’atmosphère, inscrites dans les options du GIEC. Seul un regard lucide sur l’histoire contemporaine et l’état du monde permet de répondre.

Disons-le d’emblée : la catastrophe n’est pas à venir, elle est globale et a largement commencé depuis les deux premières décennies d’après-guerre, comme le suggère le récent concept de « Great Acceleration » issu de la vaste discussion scientifique sur la datation du début de l’Anthropocène (2). Pour s’en convaincre dans le pays dudit « Accord de Paris », il suffit de lire ou relire « L’Utopie ou la Mort » de René Dumont. Dès le début des années 1960, la courbe de Keeling était largement informative (3). La concentration de CO2 augmentait rapidement et de façon préoccupante et, dès cette époque, le style catastrophiste de l’écologiste français était on ne peut plus de rigueur. C’était il y a un demi-siècle au moment du premier « choc pétrolier »… Le regard sur le présent est encore plus désespérant.

 Un monde plus que jamais unifié sur le Modèle Etasunien

Changement de siècle et de millénaire ou pas, fondamentalement, il n’y a rien de nouveau sous le soleil : aujourd’hui comme hier tous les Etats s’en foutent du climat… A commencer par ceux qui se sont militairement mis à la botte des Etats-Unis. La plupart des Etats de l’Union Européenne sont dans ce cas en tant que membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord… Après la chute de l’Empire soviétique, la situation ne s’est pas améliorée, l’effectif des pays passés sous la coupe du Pentagone a soudain doublé. Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, le dispositif de la Guerre Froide a redoublé d’intensité avec la disparition d’un de ses protagonistes. Les progrès fulgurant dans le secteur informatique ont plutôt poussé les Etats à perfectionner leur arme de destruction massive. Sur ce point, tous les états-majors sont d’accord, c’est donc reparti pour un tour. En tant « qu’activité humaine » -selon les termes du GIEC-, un exercice militaire aéronaval pour tenter d’impressionner l’adversaire, c’est au juste combien de tonnes de gaz à effet de serre inutilement largués dans l’atmosphère ?

Si l’on ne veut pas complétement noircir le tableau noir des négociations opaques et oiseuses sur le climat, subsistent en effet quelques Etats susceptibles d’être au moins intéressés par le résultat des négociations, voire  mobilisés pour que le réchauffement ne dépasse pas les fatidiques « deux degrés » du basculement climatique prévisible. Mais dans la masse des Etats qui ont émergé à la surface de la Terre sous le parrainage des Etats-Unis à la suite du second conflit mondial, il n’y a que les Etats insulaires qui sont réellement préoccupés par la menace du dérèglement climatique.  Et, en toute objectivité politique, il faut malheureusement faire une précision supplémentaire : parmi ce groupe, on ne compte que les rares Etats micro-insulaires autonomes directement menacés de disparition par la montée des eaux. La plupart des autres archipels micronésiques de l’Océan indien, d’Océanie et du Pacifique sont depuis le début du capitalisme possédés et administrés par les puissances occidentales, Etats-Unis, France et Royaume-Uni en tête, ce qui limite d’autant le nombre d’Etats insulaires autonomes. A la fin du 19e siècle commençait, en effet, l’expansionnisme étasunien vers le Levant par la route inverse du Pacifique ; presque tout ce qui en mer n’était ni Français ni Britannique  est passé sous la coupe des Etats-Unis.  Après le second conflit mondial et la fin de la Guerre du Pacifique, plus aucune île n’avait échappé à une confrontation armée. Paul Valéry  pouvait lancer sa célèbre sentence solennelle : « Le temps du monde fini commence ».

Ainsi, avec si peu de micro-Etats insulaires autonomes et la souris accouchée par les îles Fidji, les COP peuvent mouliner à l’infini avec la même efficacité spirituelle que des moulins à prière…

Plus généralement, cette effrayante fatalité d’un monde possédé est simplement  liée à l’unité économique fondamentale du monde d’après-guerre sous l’autorité politique supérieure des Etats-Unis avec la puissance énergétique irrésistible du pétrole. Ainsi, il n’y a qu’une seule loi -celle du capitalisme mondialisé- et, sous cette autorité, tous les Etats sans exceptions, insulaires compris, participent à la marchandisation destructrice de la Terre. Qui ne se souvient pas du boum économique à l’américaine de la « République Nauru », un micro-Etat de Micronésie ? En deux décennies d’extraction du phosphate, l’îlot se peupla de grosses bagnoles, de gros frigos et d’un mode de vie consumériste à l’américaine. Puis rapidement s’entassèrent les carcasses de voitures, de frigos et les montagnes de déchets autour du cratère minier désaffecté, suivirent les épaves humaines malades de la « malbouffe » : des obèses impotents et des diabétiques jusqu’à l’effondrement. En 20 ans, la Main invisible qui préside au « développement durable » des puissances industrielles du pôle occidentale avait fait son œuvre civilisatrice sur ce petit îlot.

Ailleurs dans le monde, elle s’est répliquée en redoublant sa vigueur extractive avec une nouvelle mégapole asiatique, la Chine, tout aussi avide de minerais et d’énergie fossile.

 Une Terre de réfugiés

Dans ce mouvement dit de « développement économique », initié sur le modèle étasunien après la Seconde Guerre mondiale, le statut de « réfugié » s’est banalisé pour devenir l’avenir du genre humain. Après la tornade de la  « Révolution Verte » des années 1960 et 1970, suivie aujourd’hui de la ruée financière d’accaparement  des terres agricoles au profit des transnationales pour une exploitation industrielle des surfaces arables, la Terre n’en finit  pas de se peupler de paysans sans terre… On en compte déjà près de 100 millions à travers le monde… La même logique industrielle productiviste frappe les pêcheurs locaux traditionnels avec, au-dessus de leur tête, la vente des droits de pêche par les Etats aux grands groupes transnationaux. Les eaux territoriales sont ratissées par des bateaux-usines et le poisson se fait rare. Toute l’économie vivrière locale disparaît…

Aux réfugiés politiques et économiques  viendront s’ajouter les réfugiés climatiques. Mais noyée dans ce destin général de l’humanité bien avancée, la nouvelle vague des victimes du déluge sera à peine perceptible : depuis l’An 2000 le monde baigne dans l’exacerbation de l’économie de pillage avec l’extractivisme tous azimuts et le rush financier privé et étatique d’accaparement des terres arables, le flux des migrants ne peut que croitre. Les prospections minières, l’extension actuelle des cultures pour les biocarburants ou de l’huile de palme et les violences mercenaires qui les accompagnent, remplissent aujourd’hui dans le nord de l’Afrique les boat-peoples pour l’Europe. Par voies directes ou détournées, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce qui est aujourd’hui responsable du réchauffement climatique – le modèle étasunien du dit « développement économique » – a déjà unifié les Etats…

De la Guerre de l’Opium à l’atelier du Monde

On apprend de source officielle que la Chine est désormais le premier émetteur de CO2… La belle affaire. Sur deux siècles, l’histoire de ce pays n’a été qu’un processus brutal d’intégration au capitalisme mondialisé. Quelques centaines de millions de morts violentes et de réfugiés après, des paroxysmes politiques : un Grand Bond en avant et une Révolution Culturelle… Le décor industriel est solidement planté. A part les idéogrammes et le vieux décorum du parti, par la magie des bulldozers pilotés du haut des cabinets transnationaux d’architecture, le paysage urbain d’Extrême-Orient a cédé la place au standard international…

Au 19e siècle, à la suite de la 1ère  Guerre de l’Opium (1839-1842), l’Empire du Milieu était devenu l’Eldorado du capitalisme occidental. Idée lumineuse et civilisatrice, les compagnies commerciales britanniques des Indes orientales, pour gagner sur tous les tableaux organisèrent un trafic d’opium en Chine ; l’entreprise fut d’une efficacité redoutable. Ainsi les navires britanniques qui, avant, arrivaient cale à vide en Chine sans rien à vendre sur le marché local, pouvaient désormais débarquer une marchandise instantanément lucrative par sa nature. La toxicomanie à l’opium se diffusa rapidement dans le pays, frappant en premier et à la tête l’élite intellectuelle qui fut littéralement décimée. Face la catastrophe sanitaire épidémique, les autorités chinoises réagirent avec force pour interdire le trafic. A Londres, la classe des capitalistes unanimes s’émut de ce blocage à la « liberté du commerce ». L’armada de sa très gracieuse majesté la reine Victoria dut œuvrer pour la bonne cause du « libre-échange ». En langage économique, en effet, les crimes du narcotrafic britannique en Chine secondés par la diplomatie de la canonnière furent désignés par l’euphémisme : « ouverture du marché chinois »…

A la suite de cette brèche ouverte, plus  aucune puissance impériale européenne et américaine ne pouvait se permettre de faire l’impasse de sa présence dans cet immense pays d’Extrême-Orient. La plupart des Etats occidentaux prirent leur quartier dans l’Empire du Milieu. En 1900, un reporter américain, John Hersey, résumait de façon frivole la situation pour la ville de Tianjin en aval de Pékin sur la rive du fleuve Hai He : « Je pouvais aller en pousse-pousse de chez moi en Angleterre, vers l’Italie, l’Allemagne, le Japon ou la Belgique. Je marchais jusqu’en France pour suivre des leçons de violon. Je devais traverser la rivière pour me rendre en Russie, ce que je ne manquais pas de faire parce que les Russes possédaient un beau parc boisé avec un lac (4). » C’était en Chine la Belle Epoque, quel bonheur d’appartenir à l’élite occidentale dans ce pays. Mais aussi quelle humiliation pour un intellectuel chinoise de savoir que cet état de fait résulte de la défaite face à de vulgaires narcotrafiquants.

La Chine multimillénaire et polytechnique n’avait rien à envier à l’Europe. Elle  pouvait encore largement se passer des  « bonnes œuvres civilisatrices » du monde occidental. Du tissu, du thé, du papier et même du charbon, elle savait faire… A l’inverse, le capitalisme industriel occidental, poussé par son développement fulgurant et se sentant de plus en plus à l’étroit dans le vieux monde, était rapidement devenu dépendant, quasi addictif d’un trafic de marchandises vers la Chine. Dans un seul élan, au cours du 19e siècle, tous les grands états-majors du monde s’étaient donné  le mot : le marché où il fallait être se situait dans l ’Empire du Milieu…

Un siècle et demi plus tard, en s’alignant sur le modèle étasunien de développement, la Chine, devenue « atelier du monde », s’affirme à nouveau comme le nouvel Eldorado des transnationales occidentales. Dans son nouveau rôle au service du capitalisme industriel mondialisé, elle s’est hissée en un temps record à la seconde place des puissances économiques et, dans la foulée, le pays se retrouve premier émetteur de gaz à effet de serre du monde.

D’un siècle à l’autre, d’un Eldorado à l’autre, une seule cause : l’expansionnisme de la civilisation industrielle désormais valorisée sous le patronage spirituel du modèle étasunien.

Aucun grand groupe automobile ne peut faire l’impasse du méga-marché chinois. Aucun géant de la micro-informatique de masse ne peut se passer des millions de petites mains laborieuses de l’Empire du Milieu généreusement mises à disposition par les camarades dirigeants du puissant PCC. Plus aucune industrie de haute-technologie  ne peut se permettre de faire la fine bouche ou d’ouvrir les yeux face aux conditions criminelles d’extraction et de purification des « terres rares » largement consenties par le Parti-Etat Chinois… Si les « classes créatives » s’activent dans les silicone-métropoles de la côte ouest des Etats-Unis, la concrétisation de leurs créations hautement climaticides ne peut se faire sans l’esclavage des masses laborieuses dans l’espace des mégalopoles de l’Empire du Milieu.

Mais rien de bien nouveau sous le soleil torique du capitalisme. Comme les Etats-Unis au début du 20e siècle, la Chine dans la première décennie du 21e siècle est devenu le premier producteur de voiture et le plus grand marché mondial de l’automobile… Les mêmes causes produisent les mêmes effets de part et d’autre du Pacifique…

Main dans la main pour la plus grande gloire du capitalisme, la poigne de fer laborieuse du Parti Communiste à la manœuvre en Chine vient prêter main-forte à vieille Main invisible de la science économique occidentale… Dans la ruche chinoise, la Fable des Abeilles de Mandeville reste toujours valide.

Ailleurs dans le monde et au hasard de l’actualité de la décennie, on peut puiser quelques hauts faits de la guerre économique pour illustrer l’imperturbable unité foncière du monde, militaire et pétrolière, héritée de la Seconde Guerre mondiale…

A suivre …

Note

(1) LE MONDE | 14.11.2017 | Par Simon Roger (Bonn (Allemagne), envoyé spécial) :

« A la COP23, l’hymne des Américains aux énergies fossiles »

http://www.lemonde.fr/climat/article/2017/11/14/a-la-cop23-l-hymne-des-americains-aux-energies-fossiles_5214479_1652612.html

(2) Will Steffen,Wendy Broadgate, Lisa Deutsch,Owen Gaffney and CorneliaLudwig

« The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration » The Anthropocene Review

2015, Vol. 2(1) 81– 98

http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2053019614564785

(3) La Météorologie – n° 72 – février 2011 49, Michel J. Rochas « Histoire : Les débuts de la mesure du CO2 atmosphérique »

http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/39841/meteo_2011_72_49.pdf?sequence=1

Résumé : Pour illustrer la grande variabilité des mesures de la concentration atmosphérique en gaz carbonique avant l’Année géophysique internationale, nous présentons les mesures scandinaves faites dans les années 1950. Ensuite, nous montrons comment David Keeling a révolutionné ces mesures en introduisant des méthodes physiques de mesure, et les difficultés qu’il a rencontrées pour faire reconnaître son programme de mesure comme activité de recherche auprès des agences américaines susceptibles de les financer.

(4) Le Monde vendredi 14 juillet 2017 Julie Clarini « Tianjin 1900, laboratoire e la mondialisation » Lecture du livre de l’historien  Pierre Singaravélou « Tianjin cosmopolis, une autre histoire de la mondialisation » Ed. Seuil 2017