« Mine responsable », un nouvel oxymore (3)

Suite et fin de l’article d’hier

Transfert d’intelligence « voilà pourquoi on meurt »

Comme Mr Montebourg, Mr Macron n’est en définitive qu’un rouage du vaste dispositif médiatico-politique national. Et, dans cet appareillage d’interface de la société du spectacle, il n’y a pas de mystère, les pantomimes de deux personnages turbinent au service des grands projets  technologiques inutiles et imposés par Big Data et l’Oncle Sam. Dans une folie collective, partout en France les élites et les édiles rêvent de Silicon Valley et la flamme soudaine de Macron pour la « mine responsable » s’intègre dans le new deal historique de fuite précipitée dans le « tout numérique ». Transférer l’intelligence vers les machines et faire des écrans l’horizon indépassable de chaque individu pour toutes les activités et en toutes les circonstances. L’Age du « binary digit » généralisé aux objets ouvre en effet des perspectives de fuite virtuelles spectaculaires ; en de telles circonstances vertigineuses, Mr Macron sait garder la tête froide et les pieds sur terre. Car loin de dématérialiser l’économie, l’envers de l’invasion numérique c’est la mine, l’ère de l’extractivisme à outrance… et  des crimes.

Bientôt, le projet cher aux grands groupes industriels et Géants du Net de « l’école numérique », porté par leurs dévoués personnels politiques, va sortir des cartons. De la même façon on sait à quel point nos élites se décarcassent pour que vive la voiture électrique, intelligente et bientôt autonome…  On connaît la volonté aussi farouche qu’inutile mais suspecte des décideurs industriels pour le transfert d’intelligence aux compteurs d’électricité et de gaz… Mais là ne s’arrête pas la fuite dans la démesure numérique ; d’autres projets, encore plus grandioses, serpentent dans les  méninges des grosses têtes pensantes, comme par exemple la « route de 5e génération » intelligente, interactive, dépolluante, écologique, autoréparable, antibruit, anti-bouchon et à énergie positive. L’invasion de l’espace aérien par les drones de tout type -militaire, commercial, de surveillance et de répression- se profile à l’horizon dans l’Hexagone comme c’est déjà le cas dans les zones sous contrôle étasunien…

Bref, le transfert massif d’intelligence vers les machines, les objets et l’espace environnant, tel est le mythe fondateur de la nouvelle économie… et « voilà pourquoi on meurt » au Congo

Loin de toutes ces visions futuristes pour le 3e millénaire, en janvier 2016, deux ONG, Amnesty International et  African  Resources Watch (Afrewatch) nous tiraient sans pitié de notre « american dream » pour nous remettre sur la piste de la mine en Afrique. Pour ce safari de l’extrême dans le berceau de l’humanité, le titre du rapport ne faisait pas dans l’euphémisme ; d’emblée le lecteur est mis au parfum sur les activités minières dans la République démocratique du Congo (RDC) : « Voilà pourquoi on meurt ». « Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du Cobalt. ». L’innocent coupable, mobile du crime, apparait à la fin du long sous-titre : le Cobalt, un élément chimique de la série des métaux de transition dont le numéro atomique est 27. Dans la classification périodique des éléments il se trouve donc en première ligne entre le Fer et le Nickel. Sans être une « terre rare », on découvre par le crime que ce métal est hautement stratégique pour les industries de mise en bit du monde. On imagine à peine les besoins colossaux que les seuls grands projets « d’école numérique » et de voiture électrique peuvent générer. Par ce rapport les ONG révélaient que des enfants, au péril de leur vie, descendent aujourd’hui à la mine, comme au temps glorieux du capitalisme « paléo-technique » de l’Angleterre victorienne. Aussi sordide qu’elle soit, cette réalité du travail des enfants, ne doit cependant pas masquer l’hécatombe. Depuis le début des années 2000, quelques 3,5 millions de personnes en RDC trouvèrent la mort dans les violences perpétrées par des groupes armés censés protéger l’extraction des minerais au profit des multinationales…

Sans surprise dans l’euphorie numérique des élites de la République, le rapport à sa sortie n’a pas eu l’écho espéré par les ONG. Alors, en automne 2016, Amnesty International tentait d’en remettre une couche en s’invitant au Mondial de l’automobile. Mais là encore, il semble que dans son rôle du trouble-fête, elle n’ait pas obtenu plus de succès. Notons au passage que pour cette vieille ONG du temps de la Guerre Froide, il s’agit d’une première et d’un véritable virage stratégique. D’habitude elle se contentait de dénoncer les crimes des dictatures sans forcément faire le lien avec les commanditaires transnationaux et les bénéficiaires occidentaux. Là, on a la totale, avec un véritable crime de lèse-majesté contre le symbole de l’american way : « Voitures électriques : polluées par le travail des enfants ? » Même avec un point d’interrogation, l’attaque d’Amnesty International est frontale.

Les constructeurs automobiles étaient en train de tourner la page du « Dieselgate » et se montraient plein de dynamisme en prenant le virage du « tout électrique ». Au cours de cette communication événementielle internationale, les communicants débordèrent de bonnes intentions, le moteur « sale » et cancérigène au Diesel fut mis en sourdine le temps de la fête pour laisser la vedette au moteur « propre » des voitures électriques.

Inutile de noter l’imposture pour au final subir le sort de Cassandre… D’autres auteurs très compétents dans leur domaine ont déjà sabré les illusions renouvelables de la « croissance verte » et de « l’économie circulaire » ; parmi eux, Philippe Bihouix, l’auteur de « l’Age des Low tech » en 2014. Cet ingénieur, spécialiste de la finitude des ressources minières et de son étroite interaction avec la question énergétique, s’est récemment associé à  Karine Mauvilly, historienne, pour dénoncer  « Le désastre de l’école numérique ».

Bien sûr, l’invasion numérique ne représente que l’aspect sommital et le versant occidental de la criminalité de la mine. Très en amont des superstructures informatiques de la Société du spectacle, il faut aussi noter pour toutes les activités minières la vampirisation de l’eau douce et la destruction-pollutions durables des aquifères, comme on le sait pour gaz de schiste et comme le rappelle de manière générale un rapport de 2015 de l’Observatoire des multinationale « Droit à l’eau et industries extractives, la responsabilité des multinationales ».

 

« Libérer l’Avenir » Ivan Illich

« Les symptômes d’une crise planétaire qui va s’accélérant sont manifestes. On a de tout coté cherché le pourquoi. J’avance pour ma part l’explication suivante : la crise s’enracine dans l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la substitution de la machine à l’homme »

Dans les années 1970, l’informatique restait un domaine de pointe réservé aux recherches du développement des armes atomiques. L’invasion numérique n’avait pas encore atteint directement la société civile. Cependant Ivan Illich, l’auteur de la « Convivialité », situait exactement l’origine de la « crise planétaire ». La situation a bien sûr empiré depuis… et n’a fait que confirmer son diagnostic. La crise est devenue désastre planétaire, car, loin de reconnaître les caractères illusoires et funestes de « l’entreprise moderne », les élites transformèrent l’échec en challenge pour les sciences et techniques et en impératif politique. De l’aspect mécanique du remplacement de l’homme par la machine, on est passé aux dimensions polytechniques : neurophysiologique et biotechnologique, avec le projet de substitution-soumission de l’intelligence humaine, avec les investissements massifs dans l’intelligence artificielle.

Par cet entêtement de « l’entreprise moderne », la mine est devenue stratégique, car elle fournit les multiples briques révélées dans leur propriété physico-chimique par la Classification périodique des éléments. Big Data, servi par GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les Géants du Net et les startups satellites, veut devenu encore plus grand et dominant. Tous, inscrits dans une logique unique, veulent construire pour lui l’empire numérique de ce siècle… Mais l’on sait dès aujourd’hui et avec Ivan Illich que l’entreprise s’annonce comme la Tour de Babel du 3e millénaire. Une particularité est cependant à signaler : cette fois-ci tous les protagonistes s’expriment dans un même jargon technique, le langage numérique est unique. Par contre les mines qui livrent les minéraux et métaux stratégiques, s’expriment dans un registre plus terre-à-terre. Les briques risquent de manquer à l’édifice.

Pour conclure à la suite d’Ivan Illich, répétons notre résultat qui à ce stade d’avancement des dégâts n’est plus qu’un constat. Nous étions partis d’une question de rhétorique sur la nature de la mine et nous avons découvert un crime et son mobile. Un serial killer « classe affaires » hante la planète. Le projet orwellien du « New Digital Age » avec le transfert généralisé d’intelligence artificielle à tous les objets -en substitution et confrontation  à l’intelligence des êtres vivants-, impose un extractivisme à outrance, un Verdun permanent généralisé à l’ensemble de la planète. L’impérialisme  numérique : « voilà pourquoi on meurt » aujourd’hui en Afrique, en Asie et en Amérique latine… et probablement demain en Europe…

Novembre 2016, relu et corrigé en Janvier 2018

Jean-Marc Sérékian, co-auteur avec Jacques Ambroise de « Gaz de schiste le choix du pire » « La grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier » Ed. Le Sang de la Terre 2015

 

Pour lire l’article de JM Sérékian en entier : MineRespOxymore1801