« Mine responsable », un nouvel oxymore (2)

Suite de l’article d’hier

Le crash au décollage du comité de pilotage

Après ces deux premiers tableaux, revenons en France et à Mr Macron. Bien évidemment par sa position, sa formation et son brillant curriculum vitae, il n’est pas coutumier de cette littérature révélant les basses œuvres de son pays en terre d’Afrique ni de celle critique sur l’histoire de la technique. Envoyé au feu, l’adoubé  du Bilderberg de 2014 a mis les pieds dans le plat. En entrant dans la carrière, le « Young Leader » de la French-American Fondation, devait s’illustrer en rassembleur sur ce dossier devenu hautement sensible en France après la crise des gaz de schiste de 2010. Dans sa mission de meneur du peuple sur la l’American way de la mine, force est de constater qu’il a fait le vide autour de lui. Il faut dire que pour un début, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Gonflé par sa bonne image médiatique et manifestement désinhibé, le ministre s’est permis sans sourciller  un doublet d’oxymores : « mine responsable » pour le « développement durable ». La totale…

A propos de l’extraction de sable coquillé en baie de Lannion, le « Peuple des Dunes en Trégor » avait déjà découvert la tête de mule et la langue fourchue de Mr Macron. Mais si le ministre est resté sourd aux doléances légitimes des habitants de Bretagne Nord, ne voulant rien entendre ni rien savoir des risques environnementaux de l’extraction de sable, c’est qu’il est depuis longtemps la tête de pont transatlantique de Wall Street  dans l’Hexagone. Tout s’explique par ses affinités politiques outre-Atlantique. Connaissant un peu mieux  l’irréprochable curriculum vitae de notre héraut, le journaliste Jean-Michel Quatrepoint l’inscrit, sans détour, dans la liste déjà longue des « mercenaires » français à la solde des milieux d’affaires étasuniens.

Dans les manigances gouvernementales pour la relance des activités minières en France, un comité de pilotage « mine responsable » devait se mettre en place dans le cadre global de la Stratégie nationale de transition énergétique vers un développement durable (SNTEDD). Tout un programme. Si pour le casting, les acteurs économiques et institutionnels ne présentaient pas de problème, restait la délicate tâche de composition  du bouquet associatif.

Pour leur faire gober de la mine, les ONG environnementalistes furent appâtées sur le thème à la mode de la « transition énergétique », mais ce fut sans grand succès. D’emblée, en avril 2015, Les Amis de la Terre, flairant à plein nez le parfum funeste d’un Grenelle, déclinèrent l’invitation. Pour cette association, pas question « d’accompagner la « reprise des activités minières en métropole ».

Quelques temps après, en septembre 2015, ce fut au tour de deux autres ONG,  FNE et ISF SystExt (Ingénieurs sans frontières),  de quitter le groupe de travail organisé par le gouvernement. Pour ces deux associations qui avaient joué le jeu et participé aux réunions : « la mine verte n’est pas encore mûre ». Si elles durent jeter l’éponge pour ne pas se retrouver caution associative de projets désastreux, on sent par la formule prudente de leur communiqué de presse qu’elles gardent le souci de se ménager un porte de réentrée. Au cours de leur brève présence elles furent cependant témoins en première ligne des manigances méthodologiques pour exclure la société civile de tout droit de regard sur les activités extractives futures.

A ce stade la « mine responsable » a fait long feu. Désormais plus personne n’est dupe… Si même les ONG les plus consensuelles renoncent aux bavardages, la rupture est consommée et le dossier minier reste explosif en Métropole… comme  en Afrique. Il faut dire qu’après le précédent enfumage du Grenelle et les permis de forer accordés en douce de Mr Borloo,  la crise du gaz de schiste de 2010 a mis le feu aux poudres.

L’American Way de la mine

Si l’Afrique est une bonne entrée en matière premières, il n’est pas certain qu’elle puisse constituer un modèle pour une grande nation industrielle comme la France, libre et capable de décider en pleine souveraineté de sa politique minière et énergétique. Il en va de même de l’Amérique latine avec ses « veine toujours ouvertes » comme le montre, à la suite d’Eduardo Galeano, Anna Bednik dans son livre « Extractivisme ». Signalons que c’est sur ce continent que le rapport « On Dangerous Ground » dénombre les trois quarts des meurtres pour l’année 2015. On peut aussi écarter la Chine, grande puissance économique certes, mais tristement célèbre pour ses prouesses minières éminemment irresponsables, notamment en matière de « terres rares ».

Alors à tout seigneur de la mine, tout honneur… Puisque notre Young Leader rêve d’Amérique et que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France s’est accrochée au char triomphal de la croissance économique sur  modèle de l’American way, allons voir ce qui se passe à la mine outre-Atlantique.

Nous avons déjà abondamment parlé des gaz de schiste dans un livre. Puis un article récent « Gaz de schiste, la victoire à la Pyrrhus de Big Oil » a dressé un tableau du paroxysme de délinquance environnementale de cette activité pétrolière censée, pour ce siècle, sauver l’Amérique de la panne sèche.

Malgré le tapage médiatique sur l’immense potentiel énergétique de ce nouvel Eldorado, le « boum du gaz » n’a pas détrôné le charbon de sa première place dans la production d’énergie des Etats-Unis. Si, durant les années du Plan Marshall, les compagnies pétrolières étasuniennes faisaient leur beurre en gavant la vache à lait française avec du pétrole saoudien, les Etats-Unis eux  restèrent paisiblement accros au charbon. Juste avant la ruée sur la roche mère, paradoxalement dans ce grand  pays pétrolier, le charbon représentait 48 % de la production d’énergie, alors que, pour le monde en ordre de grandeur et chiffres ronds : le pétrole arrive en tête avec 30 % de la production, suivi du charbon 25 % et en troisième position avec 20 %  pour le gaz.

Il se trouve justement qu’au moment où Mr Macron lançait sa démarche « mine responsable », en Février 2015, Le Monde Diplomatique offrait à ses lecteurs et lectrices un tableau grandiose des « Appalaches décapitées » sous les soins diligents des compagnies charbonnières. Considéré du point de vue de l’efficacité  extractive et de la rentabilité économique, le secteur a été sans conteste métamorphosé par d’immenses progrès techniques. On quitte en effet l’univers confiné et obscur de la mine pour un travail au grand air. Mais si l’on s’éloigne de Verdun, on se rapproche d’Hiroshima.  Le « moutaintop removal » représente le nec plus ultra de la technologie minière. Plus besoin d’aller au charbon dans l’atmosphère humide et malsain de la mine ; c’est le charbon qui jaillit et se précipite directement à l’usine. Sous ce régime, les montagnes se transforment en cratères et des localités entières se métamorphosent en paysage lunaire. La puissance explosive mise en œuvre est proprement cataclysmique. Verdun puissance dix ou selon le mot du président d’une association environnementaliste  qui milite pour la fin de cette pratique, elle équivaut à « une bombe d’Hiroshima par semaine ». Précisons que son évaluation technique en kilotonnes de TNT ne vaut que pour une partie de l’extraction du charbon aux Etats-Unis : en Virginie Occidentale et dans le  Kentucky.

Bien évidemment la pulvérisation de montagne soulève d’immenses nuages qui retombent sur les villes et villages environnants. S’ils ne sont pas radioactifs ou immédiatement toxiques, on sait qu’ils véhiculent des particules fines dont la pollution atmosphérique des villes renforcée par les pratiques illicites de l’industrie automobile nous a définitivement confirmé qu’elles sont insidieusement cancérigènes et mortifères … comme les retombées des essais nucléaires.

Comme nous  l’a appris la ruée sur les gaz de schiste, on sait aussi qu’il y a du grisou ou « gaz de couche » dans le charbon et l’on ose à peine imaginer les quantités de gaz à effet de serre libérés dans l’atmosphère par le summum de la technologie minière au grand air.

Aux Etats-Unis deux choses sont sûres et réellement spectaculaires, récemment confirmées en 2005  par « l’Halliburton loophole » -l’échappatoire législatif dispensant l’industrie des gaz de schiste à respecter  la loi sur l’eau potable, « Safe Driking Water Act ». D’abord la mine est responsable de ravages environnementaux durables et d’une crise sanitaire majeure passée sous silence avec la complicité passive et parfois active des autorités fédérales. Ensuite tout se passe dans la stricte légalité car quel que soit le pensionnaire à la Maison Blanche ou la majorité au Congrès, ce sont les compagnies minières, charbonnières et pétrolières qui possèdent le territoire, écrivent les lois et assurent l’argent de poche des candidats en campagne électorales. Et pour que tout se passe bien dans le meilleur des monde, de puissantes agences de lobbying et de « relation publique » se chargent de tout : masquer les crimes environnementaux à la population, maquiller les transnationales en organisme de bienfaisance, assurer leur blanchiment écologique, corrompre les fonctionnaires et éliminer ceux un peu trop consciencieux, écrire les lois favorables (dites libérales) et les faire voter… Une gigantesque « industrie du mensonge » est à l’œuvre pour tromper le peuple dans cette Grande Démocratie.    En Amérique comme en Afrique, l’oxymore ne fait aucun doute.

Suite de cet article demain.