Benjamin Griveaux, pêcheur à la dérive

Comment montrer que MACron est le président de l’homme pauvre !

Benjamin Griveaux avance Confucius pour prouver qu’Emmanuel Macron est le président de « l’homme pauvre ». Une plaisanterie parlante.

 C’est l’histoire du sparadrap du capitaine Haddock. Cette histoire de « président des riches » qui colle aux doigts d’Emmanuel Macron et dont il ne parvient pas à se débarrasser. D’abord, il a tenté de vendre à l’opinion une version légèrement modifiée de la théorie du ruissellement selon laquelle les milliards d’euros accordés aux plus riches allaient spontanément se transformer en investissement puis en emplois. En vain. Alors, voici que ce président à prétention littéraire tente autre chose : la philosophie. Mardi il a ainsi tenté d’enterrer le plan Borloo sur les banlieues par la proposition d’une « philosophie » qui pourrait résumer comme ceci : les riches vont investir en banlieue grâce à notre politique. Merci donc d’être patient.

Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a, ce dimanche dans Le Parisien, remis une couche de cette justification philosophique. Dans une tribune où, selon une technique de communication bien connu, il inverse l’accusation à son profit et déclare que « l’homme pauvre est au cœur du combat » du gouvernement et où donc, par la grâce de son bras droit, Emmanuel Macron devient le « président des pauvres », il s’appuie sur une citation de Confucius.

Cette citation est un lieu commun de la pensée libérale. Elle déclare que si un homme a faim, il lui est plus utile de lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. En termes modernes, ceci remet en cause la perte sèche que représenterait tout transfert social, qui ne serait guère qu’une façon de maintenir les « nécessiteux » dans la dépendance et la paresse. La dépense sociale n’est donc alors pas seulement coûteuse, elle est contre-productive. Ce qu’il faut, c’est remettre le pauvre au travail, lui apprendre à satisfaire à ses besoins par lui-même.

C’est cette pensée que Benjamin Griveaux développe dans sa tribune, attaquant un « État-providence sans boussole » qui arrose une population et le maintient dans d’improductifs délices de Capoue, lesquels promettent à la France la même triste fin que la décadente Carthage. Il fustige une « aumône républicaine » qu’est pour lui la solidarité nationale. Et que veut alors notre président ? En finir avec cela et rétablir l’homme pauvre français dans sa dignité en lui redonnant le goût du travail et de la responsabilité !

Il est amusant de noter combien à chacune des justifications de l’actuel pouvoir pour assurer son souci du social, il dévoile un peu plus sa vraie nature. Citer Confucius n’est pas anodin. Le penseur chinois n’est pas qu’une aimable référence d’une « philosophie orientale » à la mode, c’est le pilier du conservatisme de la Chine impériale. C’est une pensée du respect des hiérarchies et de l’ordre. Et c’est bien ce que veut dire ce petit aphorisme qui dispense le pouvoir de toute solidarité en rejetant la cause de la faim vers celui qui a faim.

Or, rien n’est plus contestable, en vérité. Apprendre à pêcher, est-ce vraiment la solution contre la faim ? S’il n’y a plus de poisson (parce qu’il y a eu de la pêche intensive, par exemple), s’il n’est pas possible légalement de pêcher (parce que la zone de pêche a été privatisée par exemple), servira-t-il à celui qui a faim de pêcher ? Et s’il peut pêcher, celui qui a faim pourra-t-il vivre de sa seule pêche ou devra-t-il vendre à vil prix le produit de sa pêche à celui qui lui a appris à pêcher, de sorte que lui et sa famille risquent d’avoir encore faim malgré son savoir ?

Ces quelques réflexions échappent-elles à la pensée complexe de l’exécutif ? Ce serait fâcheux parce que c’est bien ici le nœud du problème. La France se meurt-elle de masses passives, ignorantes et paresseuses ? Les Français ne veulent-ils pas travailler ou se former sous prétexte que la dépense publique pourvoira à tout ? Derrière sa sollicitude, Benjamin Griveaux dissimule donc cette vision classique d’un homme pauvre assisté et ignare chère à la droite. La réalité est bien différente : les chômeurs français, dont la moitié ne sont pas indemnisés, veulent dans leur immense majorité, trouver un emploi ou une formation qui permet de trouver un emploi.

Mais à quoi bon se former lorsque l’emploi manque ? À quoi bon travailler lorsque l’on est malgré tout pauvre en travaillant ? Benjamin Griveaux n’a donc jamais entendu parler de ces « travailleurs pauvres » dont l’existence même devrait faire oublier l’aphorisme de Confucius ? Ce que le pouvoir actuel ne dit jamais, ce qu’il oublie toujours à dessein, c’est que ce ne sont pas les chômeurs et les salariés qui ont conduit la France à la perte de compétitivité économique et qui l’ont enfermé dans un niveau de gamme intenable. Est-ce les salariés et les chômeurs qui rendent les PME incapables de s’internationaliser ? Sont-ce eux qui ont fait le choix de la facilité de la délocalisation à celui de l’investissement ? Ce n’est pas la dépense publique qui a conduit à la perte de compétitivité, c’est parce que la France a perdu sa compétitivité, que la part des dépenses publiques dans le PIB a dû progresser. Et si elle a progressé, c’est parce que l’on s’est jeté dans l’illusion que les baisses de cotisations, les dépenses fiscales et les subventions sauveraient le pays. C’est l’inverse qui s’est produit. Les premiers assistés sont les riches et les entreprises, pas « l’homme pauvre ». Et que font Benjamin Griveaux et Emmanuel Macron, toujours prompts à dénoncer les « politiques menées depuis trente ans » ? Ils accélèrent encore cette politique, l’approfondissent. Ils tentent de nous faire croire que leur fuite en avant dans ce qui a échoué sans cesse depuis quarante ans est l’issue.

En réalité, si « l’homme pauvre » a faim, ce n’est pas parce qu’il ne sait pas pêcher, c’est parce qu’on a rendu son savoir de pêcheur inutile. Et qu’il ne peut plus vivre de l’activité qu’on lui propose. Pendant trente ans, ceux qui se sont repus de dépenses fiscales et d’avantages fiscaux, ceux qui ont exfiltré leur richesse à l’étranger, ceux qui ont délocalisé, ont détruit des savoirs-faire et n’ont pas investi dans la population française. Et puis ils se tournent maintenant vers le pauvre en le jugeant responsable et en lui faisant la leçon.

Peu importe si Benjamin Griveaux croit à son propos insensé, la politique qui s’en inspire, elle, ne profitera pas à « l’homme pauvre ». L’humanisme intrinsèque de l’homme riche est dans le capitalisme mondial, non seulement un mythe, mais un mythe nuisible. En lisant la tribune du porte-parole du gouvernement, on ne peut s’empêcher de n’y voir qu’une nouvelle justification de la baisse des transferts sociaux et de la destruction à venir de l’État providence pour un seul objectif : financer les nouvelles baisses d’impôts à venir. Benjamin Griveaux essaie de nous payer de philosophie ce nouvel effort.

En mai 1871, à la Commune de Paris, on proposa (et adopta) la création d’un « comité de salut public ». Un des députés de la Commune se leva, s’y opposa, et déclara : « ce n’est qu’un mot et le peuple s’est suffisamment payé de mots ». Rien ne semble plus d’actualité encore 147 années plus tard.

Blog de Romaric Godin sur mediapart